Off d’Avignon: « Penetrator » : un huis clos politique et psychologique en forme de chef d’œuvre au Théâtre Notre-Dame

Publié le 9 juillet 2019 à  16h23 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h00

Destimed penetrator photo karine boutroycopie
C’était en 2009 au Théâtre du Roi René dans le cadre du Off d’Avignon. Ce fut un événement créé par Fabienne Maitre, traductrice et metteure en scène de «Penetrator», la pièce d’Anthony Neilson. Un choc pour les spectateurs porté par Fabien Ducommun, Olivier Gilot, et Antoine Segard, trois comédiens d’exception. Un moment de théâtre unique décrivant une immersion psychologique, et politique à l’intérieur d’un univers feutré et violent, où l’oisiveté des personnages laissait peu à peu place à la confusion, à la folie. Voilà que «Penetrator» revient dans le cadre du Off d’Avignon. Toujours avec la même traduction de Fabienne Maitre, mais dans une nouvelle production, un metteur en scène, et des comédiens différents. Impression similaire de perfection, densité égale, avec davantage d’émotion encore pour le public. Animé d’un esprit de troupe -celle de la Compagnie Nacéo qui réussit ici des prouesses tant au niveau du jeu que dans l’exposition brut des faits et gestes de tous les protagonistes- «Penetrator» n’a rien perdu ici de sa force. La radicalité du propos et des intentions des trois antihéros de la pièce demeure la même. On s’aperçoit alors au fil des minutes combien il s’agit d’un texte anglo-saxon d’un de ces écrivains du grand dehors, tels que Faulkner, Steinbeck, Kerouac, Harrison, Mc Carty, ou Rick Bass qui ont placé le poids du fatum au centre de leur problématique narrative. On songe surtout à l’écriture violente de Brest Easton-Ellis dans cette façon de lier entre eux les destins de Max, d’Alan, deux jeunes Américains bullant dans leur appartement qu’ils partagent en colocation et de Dick, venu trouver refuge chez Max son ami d’enfance. Les deux premiers garçons, sortes de doubles de la série télévisée «Bloqués» sont assis sur un canapé et discutent de tout et de rien. Résumant eux aussi leur choix de vie à cette phrase : «En attendant qu’il se passe quelque chose, ils ont décidé de ne rien faire.» Ils délirent entre joints et alcools, histoires salaces, philosophie de jeu vidéo et propos assez machistes sur la vie et les femmes. L’arrivée de Dick va faire voler en éclats l’harmonie (peu sereine au demeurant) construite de façon anarchique mais finalement efficace. Notons combien les objets du décor, et leur agencement particulier contribuent à magnifier la beauté sauvage de la scénographie signée Karine Boutroy. Ex-militaire ayant déserté sa garnison, Dick est à la fois l’élément perturbateur du récit, et celui qui en fait libèrera les pensées, et les corps. Ange gardien des âmes de Max et Alan devenues noires par excès de souffrance, il est aussi le bourreau de leurs existences en miettes. Ne démontrant jamais, mais montrant sans en rajouter, Olivier Sanquer, le metteur en scène transforme ce huis-clos en drame antique. Nous touchons là à une sorte de grâce, portée à son paroxysme par tous les comédiens de la Compagnie Nacéo qui jouent la pièce en alternance.

Compagnie et comédiens d’exception

Depuis sa création en 2011 en Suisse, par Olivier Sanquer lui-même, la Compagnie Nacéo présente des textes puissants, épiques, rares. «Rares car peu joués, souvent oubliés, négligés» précise-t-il. Ainsi Nacéo est une compagnie Ovni brassant des comédiens dissidents laissés en marge du système actuel. Une compagnie se définissant comme «anti-perfectionniste, allant à l’essentiel, comme une compagnie touriste faisant fi des codes et des mondanités, le tout dans un va-et-vient entre fiction et réalité.» On ne saurait mieux dire, et on acquiescera après avoir assisté, comme ce fut mon cas, à différentes représentations de la pièce jouée chacun à leur tour par Frédéric Alves, Nicolas Argudin, Axel Arnault, Maxime Peyron, et Alexandre Simoens, tous prodigieux d’inventivité et de rigueur, et ne tirant jamais la couverture à soi. Le déplacement sur la scène, précis, presque chorégraphique est rendu extrêmement intense par l’apport de sons évoquant la guerre à laquelle participa Dick -on précisera ici que «Penetrator» désigne une bombe de fabrication américaine-. Olivier Sanquer qui multiplie les lectures possibles du texte, n’élude ni la question de la violence, -sociétale, privée, et de l’armée-, ni celle des racines liées à l’enfance, et encore moins celle de l’homosexualité. Comme les acteurs il travaille en artiste et non en théoricien, et fait de «Penetrator » qu’il rend facile d’accès, un chef d’œuvre visuel, et intellectuel. Après avoir monté cette pièce au dénouement terrible signée Anthony Neilson -dramaturge écossais né en 1967-, et celle de Michel-Marc Bouchard «Les feluettes ou la répétition d’un drame romantique», la Compagnie Nacéo a pour intention de pouvoir jouer «Tom à la ferme » de ce même écrivain québécois. Franchement on croise les doigts pour que ce projet aboutisse.
Jean-Rémi BARLAND

«Penetrator» d’Anthony Neilson, Traduit par Fabienne Maitre. Mise en scène de Olivier Sanquer. Jusqu’au 28 juillet à 22 h au Théâtre Notre-Dame au 13 à 17 rue du Collège d’Annecy. Avignon – Tél : 04 90 85 06 – theatrenotredame.com

Articles similaires

Aller au contenu principal