On a vu « Du chœur à l’ouvrage » à La Criée : l’étrange Noël des choristes naufragés sur l’île horticole

Publié le 14 mars 2018 à  21h22 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Implication totale des membres de la maîtrise des Bouches-du-Rhône pour faire le succès de cette production originale et intéressante. (Photo Agnès Mellon)
Implication totale des membres de la maîtrise des Bouches-du-Rhône pour faire le succès de cette production originale et intéressante. (Photo Agnès Mellon)
Faut-il crever les yeux du pinson afin qu’il retrouve la luminosité de son chant, tout comme la sirène à sacrifié ses jambes pour trouver l’amour ? La question hante l’esprit des membres de cette Maîtrise naufragés sur cette île qu’ils qualifient d’horticole. Aucun adulte avec eux : le maître est noyé et se trouve avec le plancton, la directrice, elle aussi noyée, est bouffée par les poissons… Alors cette micro-société, dans son innocence, va bâtir une communauté avec ses leaders, ses rebelles, ses codes et son insouciance. C’est à cette communauté que la librettiste Marie Desplechin et le compositeur Benjamin Dupé vont insuffler la vie en mots et en notes créant ainsi l’opéra pour voix d’enfants «Du chœur à l’ouvrage». A l’instar du pinson, faut-il brûler les yeux du jeune prodige de la manécanterie qui, en cette nuit de Noël va perdre sa voix ? Il était comme un phare pour la petite société. D’un coup, d’un seul, il s’est éteint détruisant dans son naufrage vocal pas mal d’espoirs, de codes et de repères. Finalement ce sont les rebelles, ceux qui voulaient danser, ceux qui chantaient seulement pour faire plaisir aux parents, qui lui permettront de conserver intacte sa vue, chacun abandonnant ensuite sur cette île une part de son enfance avant de grimper dans un improbable hélicoptère salvateur.
Marie Desplechin s’est immergée dans la vie d’une Maîtrise, celle du Théâtre de Caen, avant d’écrire ce livret ; nul ne peut l’ignorer tant ce texte est proche de l’enfance, d’un quotidien de choriste, mais aussi empli de gravité et de profondeur. Et le final, un tantinet cruel, est une réalité qu’il ne faut pas ignorer, l’artiste enfant perdant souvent son potentiel vocal en grandissant. Mais la vie continue, tout comme le spectacle.
Pour son premier opéra, Benjamin Dupé, livre une partition à la hauteur de l’enjeu et des voix qui lui sont proposées. L’écriture est dynamique, la construction solide et le jeu avec les sons, permanent. Une musique à laquelle adhérent les jeunes choristes même si ceux qui affrontent les airs en solistes sont confrontés à une réelle difficulté, le compositeur n’ayant pas hésité à place la barre assez haut. C’était nécessaire pour donner sa dimension à cet opéra qui n’est pas destiné qu’aux enfants, loin s’en faut. Dans la fosse, les musiciens de «L’Instant donné» communient en permanence avec le plateau et contribuent grandement à la cohésion de l’ensemble avec une mention particulière, ses camarades ne nous en voudront pas, à Maxime Echardour, maître des percussions et dont on peut penser qu’il aimerait bien, lui aussi, faire partie de cette chorale naufragée… Efficace et dynamique, la mise en scène de Benjamin Dupé aurait certainement mérité quelques jours de plus de travail in situ, surtout pour les mouvements de masse entre cour et jardin mais, l’homme de l’art a bénéficié d’une adhésion totale de chacun des membres de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône qui se sont totalement investis dans leurs rôles. On connaissait les talents vocaux de ces enfants, petits et grands, qui participent régulièrement à des productions opératiques et à des concerts un peu partout en France, mais on leur proposait ici de devenir les acteurs complets d’une production. Ce qu’ils ont accepté au prix, parfois, d’un travail intense, mais le résultat est là. Émotion, frissons, angoisse, joie : tout y est avec ce petit plus d’insouciance qui fluidifie les choses au lieu de les figer. Les chœurs sont superbes, très denses, et les airs, dont nous parlons plus haut, donnés avec assurance et qualité. Que l’on ne vienne pas nous dire, après ça, que la Maîtrise des Bouches-du-Rhône est menacée ! S’il y a bien une structure éducative et musicale qu’il faut conserver c’est celle-là ; elle est un modèle de cohésion sociale et d’ouverture aux autres dans la pratique artistique et l’éducation au quotidien. A l’heure d’attribuer des subventions, les édiles et les autres feraient bien d’y penser…
Michel EGEA
Bientôt à Château Arnoux et en juin à Aix-en-Provence – Une seconde et dernière représentation est programmée ce jeudi 15 mars à La Criée à 20 heures (Réservations: 04 91 54 70 54). «Du Chœur à l’ouvrage» sera ensuite donné le 30 mars à 21 heures au Théâtre Durance à Château-Arnoux-St-Auban (04), réservations par téléphone du lundi au vendredi de 8h30 à 12 heures et de 14 heures à 17h30 (04 92 64 27 34), ainsi que les 13 et 14 juin à 20h30 au Grand Théâtre de Provence en coréalisation avec le Festival d’Aix-en-Provence (Réservations 08 2013 2013).

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