On a vu au Festival Off d’Avignon: Patrick Chesnais incarne Dostoïevski

Publié le 19 juillet 2014 à  8h11 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h57

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Il ne joue pas Dostoïevski. Il est véritablement le grand auteur russe.
En quelques minutes Patrick Chesnais force le respect et récolte tous les suffrages. On s’attendait à une simple lecture de lettres extraites d’une correspondance particulière, et par la puissance d’évocation de l’acteur on assiste à un grand moment de théâtre d’où l’on sort éblouis, avec le sentiment supplémentaire d’avoir mieux appréhendé la genèse d’œuvres comme «Crime et châtiment » ou «L’idiot». S’appuyant avec intelligence sur l’adaptation des lettres signée Virgil Tanase, ce kaléidoscope à la fois littéraire et artistique, prend pour sujet Dostoïevski et le jeu. L’enfer de la roulette devrait-on préciser, pas la russe, mais celle des casinos (allemands, pour la plupart) dans lesquels l’écrivain dilapidera sa fortune. Addicte au jeu, gagnant et perdant immédiatement tout, Fiodor se confie, étranglé de remords, mais incapable de résister à sa passion maudite. La voix de Patrick Chesnais épousant les contours de la psychologie de son personnage nous envoûte et nous fait découvrir au passage un monde disparu, un artiste au travail et les difficiles rapports que tout créateur entretient avec le pouvoir politique. Alors Fiodor écrit. A beaucoup de monde et notamment à son ami Alexandre Egorovitch, à qui il serait reconnaissant s’il pouvait lui prêter «trois cents roubles, même deux-cents», précise-t-il. On verra aussi combien Dostoïevski n’hésite pas à solliciter son éditeur de lui envoyer de l’argent à valoir sur la sortie de ses romans publiés d’abord en feuilleton dans un journal. Seul en scène Patrick Chesnais est rejoint au milieu de la pièce par la magnifique Beata Nilska qui interprète la nouvelle épouse du romancier, qui, humble, compatissante, tient avant tout à ce qu’il termine son œuvre. Quitte à être presque ruinée par les dettes de jeu de son mari. Actrice sublime, Beata Nilska apporte un jeu tout en nuances, sublimé par la mise en scène d’Isabelle Rattier qui ne surligne jamais et qui insiste sur les silences, les douleurs intérieurs du couple et la certitude affichée par Dostoïevski de composer de grands livres. La rencontre d’un homme avec ses démons et son travail. C’est exceptionnel de densité et Patrick Chesnais, investi dans le projet, sobre, et qui refuse tous les effets faciles, demeure inoubliable.
Jean-Rémi BARLAND

« Fiodor Dostoïevski, l’enfer du jeu ». Actuel Théâtre au 80 rue Guillaume Puy, 84000 Avignon.Tous les jours à 19h05 jusqu’au 27 juillet. Réservations au 04 90 82 04 02

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