On a vu au Festival d’Aix-en-Provence : « La Flûte enchantée » revisitée par Simon McBurney, c’est magique !

Publié le 3 juillet 2014 à  16h04 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h55

L’épreuve de l’eau pour Tamino et Pamina, l’un des tableaux magiques inventés par Simon McBurney pour cette production de « La Flûte enchantée » qui fera date (Photo Pascal Victor)
L’épreuve de l’eau pour Tamino et Pamina, l’un des tableaux magiques inventés par Simon McBurney pour cette production de « La Flûte enchantée » qui fera date (Photo Pascal Victor)

On en a vu des vertes et des pas mûres, des fines et des grossières, des sombres et des éblouissantes, des harmonieuses et des détestables, des comiques et des sérieuses, mais après celle de Simon McBurney que reste-t-il à inventer à un metteur en scène d’aujourd’hui pour illuminer, électriser même, « La Flûte enchantée », l’œuvre mythique de Mozart ? La question mérite d’être posée au soir de la première donnée ce mercredi 2 juillet au Grand Théâtre de Provence pour frapper les trois coups de l’édition 2014 du Festival d’Aix-en-Provence.
Car il fait fort, l’Anglais, très fort. S’il avoue, à longueur d’interviews, avoir accouché ses idées pour « La Flûte » après la lecture de « La Tempête » de Shakespeare, il place haut cette mise en scène très personnelle sur une virtuelle échelle de Richter qui serait consacrée aux ondes du bonheur provoquées par une production lyrique. Et c’est une salle fort secouée, mais debout, qui a salué cette production hors du commun, fruit de McBurney et du travail des autres. Car, intermittents ou non, tout le monde œuvre sans répit pour triompher. A commencer par une distribution frisant la perfection pour cette première et sur laquelle nous revenons plus loin.

Dans cette grande salle du GTP, le metteur en scène a créé un immense espace opératique, rehaussant la fosse pour placer l’orchestre à mi-scène, positionnant la cabine de bruitage (et non, ce n’était pas une cave à vin d’appartement !) côté cour et tout le matériel vidéo côté jardin. Et tout se fait à vue : la magie en direct.
McBurney utilise de nombreuses techniques et unit les ancestrales ombres chinoises aux projections les plus modernes. Les épreuves du feu et de l’eau sont des moments extraordinaires. Tout est fait avec du sens et du génie. La Reine de la nuit est une vieille femme sur une chaise roulante, les trois garçons sont grimés en vieillards, là où d’autres font faire semblant à Tamino de jouer de la flûte et à Papageno du Glokenspiel, ce sont des musiciens qui s’intègrent à l’action sans fausse note. Ce qui est impressionnant dans le travail du metteur en scène, c’est qu’il est raccord à 100% avec le rythme de la partition; tout est calculé au millimètre, à la seconde près. Il y a aussi de nombreux clins d’œil, des ambiances étonnantes comme cette Assemblée des Nations qui ouvre le deuxième acte, ou la séquence très «Star Wars», intergalactique, de la rencontre entre Pamina et la Reine de la nuit, toujours au deuxième acte, sous le regard de Monostatos accroché à un vaisseau interstellaire. Et tout ça sans aucun contresens, sans aucune hérésie qui aurait pu faire se retourner «Wolfi» dans sa fosse commune viennoise. On s’en délecte et on en redemande. Autant dire que les trois heures de spectacle passent très, très vite…

Un sommet vocal et musical

Pour incarner cette quête de l’harmonie, de la paix, de l’amour, le couple formé par Pamina et Tamino est idéal. Marie Eriksmoen et Stanislas de Barbeyrac apportent la fraîcheur de leur jeunesse et leurs qualités vocales à cette production. Les deux adhèrent totalement au propos de McBurney et leur chant est limpide, précis et puissant. La finesse d’Eriksmoen, la couleur et le volume de Barbeyrac font aussi de cette flûte un intense moment lyrique. Une performance remarquable du ténor français, distingué aux dernières victoires de la musique comme révélation lyrique, très sollicité physiquement par le metteur en scène, et qui ne perd pas une once de maîtrise vocale.
A leurs côtés, c’est d’abord la Reine de la nuit, incarnée par Kathryn Lewek qui est éblouissante. Scéniquement, elle doit composer avec son personnage de vieille femme, ce qui n’est pas le plus simple. Comédienne hors pair, elle est d’une rectitude vocale exemplaire à l’attaque de ses airs qu’elle livre dans leur intégralité avec aisance, puissance et clarté. Du grand art. Impeccable prestation vocale, aussi, pour Thomas Oliemans qui campe un Papageno facétieux sans excès; sa voix est dense, bénéficiant d’une belle projection et d’une souplesse qui lui permet de chanter sans défaut même dans des moments où le risque est réel.
Christof Fischesser est un Sarastro à la voix ample et profonde, Maarten Koningsberger prête ses traits à un Orateur à large tessiture, Le Monostatos d’Andreas Conrad étant, quant à lui, aigrelet à souhait.
La Papagena de Regula Mühlemann et les trois dames, incarnées par Ana-Maria Labin, Silvia de La Muela et Claudia Huckle, ainsi que Elmar Gilbertsson et Krzysztof Baczyk, prêtres et gardiens sont au niveau de la qualité d’ensemble, tout comme les trois garçons, solistes du chœur de garçons de l’Académie de Dortmund. Vocalement, toujours, une mention très bien pour les choristes de l’English Voices qui d’année en année, nous font toujours entendre l’excellence.

Enfin, il y a l’orchestre et le directeur musical. Pour qui pouvait douter (mais y en avait-il ?) du niveau du Freiburger Barockorchester la prestation de cet ensemble, mercredi soir, a levé tous les doutes.
Quelle merveille, quel joyau de musique. Les instruments sonnent à la perfection. On détaille chaque pupitre et la précision de chacun crée la perfection de l’ensemble. La direction, on ne peut plus intelligente et inspirée de Pablo Heras-Casado, exacerbe les couleurs et les nuances d’une partition qui est un sommet de finesse et de subtilité. Les tutti sont ronds, amples, les cordes sont suaves, la petite harmonie délicate et les cuivres étincelants. De la belle ouvrage. Il va désormais être difficile pour les retardataires de trouver une place afin de pouvoir dire « j’y étais…»
Michel EGEA

Pratique
Autres représentations les 4, 6, 9, 11, 17, 20 et 23 juillet à 19 heures, les 14 et 19 juillet à 17 heures.
Réservations : 08 20 922 923. Festival d’Aix.


A la télé et à la radio : « La Flûte enchantée » sera retransmise le 9 juillet à partir de 20 h 40 sur Arte et diffusée sur France Musique le 25 juillet à partir de 20 heures.
Sur écrans géants : Cette production sera diffusée sur grands écrans le 9 juillet à 20 h 40 à Rousset et à partir de 21 h 30, à Aix-en-Provence, Aubagne, Cannes, Veynes communauté de communes des deux Buëch, Coudoux, Cucuron, Digne-les-bains, Eguilles, Fuveau-Gardanne, Gréoux-les-bains, Loguivy de la mer, Marseille, Pertuis, Le Tholonet, Vauvenargues, Venelles et Londres (institut français).

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