On a vu au Festival d’Aix-en-Provence : « Ariodante » sur un fil à l’Archevêché

Publié le 4 juillet 2014 à  13h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h55

Une drôle de boite pour héberger en forme de décor unique et assez laid cet Ariodante qui brille plus par la musique et les voix (Photo Pascal Victor)
Une drôle de boite pour héberger en forme de décor unique et assez laid cet Ariodante qui brille plus par la musique et les voix (Photo Pascal Victor)

Les intermittents qui font leur tintamarre à l’extérieur du théâtre, un « sabotage » à la sirène à l’intérieur, une prise de position d’Edwy Plenel diffusée en préambule à l’opéra après une « minute de silence » en présence des intermittents travaillant sur la production, le tout diversement apprécié par le public, le vent tempétueux qui se lève et la pluie qui goutte au final : « Ariodante » et la musique de Haendel ont été chahutés, jeudi, pour la deuxième soirée festivalière aixoise.
Malgré une qualité d’écoute loin d’être au top, surtout pendant le premier acte tout au long duquel une cinquantaine de manifestants ont hurlé et tapé sur tout ce qui pouvait faire du bruit, que retenir de cette production ?

Tout d’abord, qu’elle est scéniquement sinistre. Le metteur en scène Richard Jones installe les protagonistes, une pieuse communauté, dans une grande demeure du nord de l’Ecosse. Nous sommes dans les années soixante du siècle dernier. Les costumes de Ultz sont d’une incommensurable laideur, tout comme ses décors. Il ne manque plus que le saumon et la tête de brochet empaillés et accrochés sur le mur pour y être. Et comme en raison du conflit social du moment nous n’avons pas eu droit à la totalité des éclairages, nous sommes restés sur notre faim, pour le moins. Et nous ne fûmes pas les seuls puisque l’équipe de scène a été copieusement sifflée aux saluts. Rarissime à l’Archevêché ; encore que la première du Don Giovanni de Tcherniakov il y a quelques années avait eu droit à une belle bronca.
Décor unique, donc, et mise en scène maigrichonne de Jones qui meuble l’espace et fait passer le temps à coup d’entrées et de sorties, par des portes, des fenêtres et même des portes qui n’existent pas. A sauver, cependant, une superbe utilisation de marionnettes qui vient appuyer le drame pendant les longs intermèdes musicaux. Les puppets sont belles et efficacement manipulées. Du grand art.

Alors, direz-vous, comment tenir pendant quatre heures dans ces conditions ? Une fois partis les manifestants à la fin du premier acte, une fois neutralisée l’alarme de poche posée au pied de l’arbre emblématique du théâtre et vraisemblablement déclenchée à distance, il restait la musique de Haendel et les voix. On dit souvent d’Ariodante qu’il est l’opéra le plus parfait du compositeur. Que l’on partage, ou non, cet avis, force est de constater la puissance et la présence de la musique. Servie par un Freiburger Barockorchester en grande formation, sous la direction d’Andrea Marcon qui assure aussi une partie de clavecin du continuo, la partition a la grande qualité de tenir les sens en éveil. D’autant plus que le maestro, grand connaisseur de cette œuvre, n’a aucun mal à lui donner consistance et relief. Sur scène, place à la virtuosité. Celle de la mezzo Sarah Connelly, tout d’abord.

Malheureusement peu mise en valeur par un costume hideux, la dame fait tout oublier lorsqu’elle chante. Elle maîtrise parfaitement son registre et sa projection est parfaite. De la virtuosité, aussi, chez Patricia Petibon qui monte très haut sans faillir. Et comme elle excelle dans ces rôles qui frisent la folie, elle est une parfaite Ginevra. Dans le rôle psychologiquement complexe de Dalinda, Sandrine Piau est idéale. Mal à l’aise, effacée, hésitante et totalement dominée, elle livre ses airs avec l’assurance qu’on lui connaît. Très présent, aussi, le Polinesso de Sonia Prina, qui arrive à faire oublier son travestissement. Elle vocalise comme d’autres parlent, naturellement avec de la puissance et du souffle. Quant à Luca Tittoto il impose son rôle de Roi d’Ecosse, avec une voix puissante et affublé d’un kilt qui ne laisse planer aucun doute sur sa nationalité ! David Portillo, enfin, ne peut pas nier être le frère d’Ariodante, il a le même pantalon horrible que lui. Mais il a un beau brin de voix tout comme Christopher Diffey qui incarne Edoardo.
Tous nous permettent d’arriver au bout de la nuit, ou presque. Il est une heure trente le lendemain matin et la pluie commence à tomber… Il est fort cet Haendel !
Michel EGEA

Pratique
Cinq représentations jusqu’au 28 juillet. Renseignements et réservations : la Boutique du Festival, place des Martyrs de la Résistance, 13100 Aix-en-Provence. Tél. 0820 922 923. Site : Festival d’Aix

A la télé et à la radio : Opéra en direct sur Mezzo le 12 juillet à partir de 21 heures. En direct, aussi, sur les ondes de Radio Classique, le 10 juillet à 21 heures.
Sur écrans géants : Le 12 juillet à partir de 21 h 30 à Aix-en-Provence, Cucuron, Marseille et Rousset.

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