On a vu au Gymnase Karin Viard, émouvante dans la descente aux enfers de « Vera »

Publié le 2 décembre 2016 à  22h01 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h45

Karin Viard au Gymnase dans
Karin Viard au Gymnase dans

C’est le récit d’une chute lente, profonde, totale et inexorable. Celle d’une certaine Vera qui, directrice de casting riche et célèbre se retrouvera virée de son boulot, sans le sou et pratiquement SDF. Au début de cette pièce féroce signée Petr Zelenka adaptée en français par Pierre Notte, nous découvrons une jeune femme cynique, à qui tout réussit. Venant de fusionner son agence qui s’occupe d’acteurs et d’actrices de cinéma et de télévision avec une importante structure anglaise, Vera étale sa puissance, son goût du pouvoir, son amour de l’argent. A la fin de cette comédie dramatique nous la voyons allongée par terre, presque suicidaire, et pleurant enfin la mort d’un père qu’elle a méprisé, et humilié en lui retirant la présence d’une aide soignante à domicile qui était sincèrement tombée amoureuse de lui. En mots crus où elle affrontera des individualistes, plus pourris qu’elle, Vera souffre et se plaint. La peinture des gens qui l’entourent brossée en portraits sans illusions sur la nature humaine par un auteur offrant du monde une réalité volontairement exagérée glace d’effroi. La mise en scène intelligente de Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo tire la pièce vers la fable, et le procès à charge d’une époque propice à la manipulation mentale et sociale. Le fric, la mode, la télévision, la prostitution, le mensonge, la perversion, l’avidité, autant d’éléments narratifs explorés de manière très cinématographique, rappelant par certains aspects les films de Fassbinder. L’utilisation d’une musique additionnelle et l’emploi de moments vidéos montrant comment nos vies se trouvent explorées, espionnées, jetées en pâture sur le Net, structurent le regard des deux metteurs en scène dont l’un Marcial Di Fonzo Bo interprète également plusieurs rôles. Acteur assez magique dans «L’homme que j’aime» tourné à Marseille ou «Copi» où il travaillait déjà avec Élise Vigier, «La mère» de Zeller, ou «Les démons» de Lars Noren, ce Français né en Argentine travaille un peu comme Alfredo Arias dans le sens où il creuse les vérités intimes qui se cachent derrière le masque des apparences.

Karin Viard prodigieuse

Et puis il y a dans le rôle de Vera l’immense Karin Viard une fois encore époustouflante dont la prestation émeut. Elle incarne le seul personnage qui ne soit pas seulement un discours, auquel on finit par s’attacher, qui agace et qui nous invite à la compassion. On semble découvrir une pièce qui aurait été écrite spécialement pour elle, tant elle ne joue pas seulement Vera, elle lui donne un supplément d’âme. A elle seule elle mérite de voir cette pièce terrible, dure, âpre, où il y a quand même dans les dernières minutes la mis en forme d’un rêve de rédemption. Un beau moment de théâtre à la Krystian Lupa. C’est-à-dire estampillé prise de risques, inventivité, cohérence formelle, et art de déranger le spectateur. Un théâtre d’urgence à voir urgemment.

Jean-Rémi BARLAND

Au Gymnase à 20h30 jusqu’au samedi 3 décembre inclus

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