On a vu au Gymnase de Marseille le « Lorenzaccio » très politique de Catherine Marnas

Publié le 5 novembre 2015 à  21h37 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h43

Seul en scène, faisant les cent pas dans une sorte de manteau bleu Lorenzaccio attend que le noir se fasse et que le spectacle commence. Puis, au signal que tout est fin prêt, il ôte son pardessus et se lance dans une danse très déjantée habillé d’habits moulants aux couleurs criardes. Nous voilà prévenus ! Catherine Marnas qui met en scène la pièce de Musset a choisi de dépoussiérer l’ensemble, d’y ajouter musiques et chorégraphies psychédéliques et surtout, on va très vite s’en rendre compte, d’insister sur l’aspect politique de la pièce.

Vincent Dissez (Lorenzaccio) ©Pierre Grobois
Vincent Dissez (Lorenzaccio) ©Pierre Grobois

Nécessitant de nombreux changements de décors, construite autour d’une multitude de personnages, Lorenzaccio écrit en 1834 ne fut monté au théâtre qu’à partir de 1896 au moment où Sarah Bernhard endossa le rôle titre, et ouvrit la voie à des interprétations strictement romantiques durant lesquelles le héros de Musset était joué par des femmes. Il faudra attendre Jean Vilar et son adaptation pour Gérard Philipe courant 1952 pour que soit mis en avant l’aspect politique du sujet. C’est vers cette lecture que tend le projet de Catherine Marnas dont la mise en scène décrit avec minutie le combat de Lorenzo (sorte de frère de Hamlet surnommé Lorenzaccio) contre le pouvoir autoritaire d’Alexandre de Médicis. Devenu par stratégie d’approche son complice dans l’accomplissement de ses basses œuvres, il tuera ce duc sanguinaire suppléant ainsi l’inefficacité des Républicains emmenés par Strozzi, libérant Florence de sa vilenie sans empêcher que le cardinal Cibo, (le vrai vainqueur de la pièce), impose un nouveau tyran. Mourant dans des circonstances troubles mais, sachant très bien qu’il en sera ainsi, Lorenzaccio incarne le désenchantement moral de ceux qui croient que les idéaux de vertu peuvent triompher du mal.

Catherine Marnas a élagué l’intrigue, coupé dans le texte, supprimé des personnages et proposé un Lorenzaccio rythmé en diable

Transposant l’action de la pièce sous le règne de Louis-Philippe, époque offrant d’après elle des similitudes avec nos temps actuels troublés, Catherine Marnas a élagué l’intrigue, coupé dans le texte, supprimé des personnages et proposé un Lorenzaccio rythmé en diable où le libertinage a remplacé le romantisme.
Trahison que tout cela ? Certes non ! Au contraire elle rend la pièce de Musset lisible par tous ! Même si on peut regretter des excès d’une illustration par trop sonore, son travail est en tout point remarquable. Visuellement d’abord avec un seul décor et des costumes réalisés par ses soins et ceux d’Édith Traverso. Scéniquement ensuite (on songe à l’univers de Genet et Koltès et aux films italiens où apparaissent des gangsters sans foi ni loi), avec une direction d’acteurs où de mon point de vue se distinguent quatre comédiens au-dessus du lot : Frédéric Constant est un Cardinal Cibio d’une densité exceptionnelle; Franck Manzoni incarne un Strozzi douloureux et fragile; mais, la palme revient au duo Julien Duval (Alexandre de Médicis) et Vincent Dissez (Lorenzaccio) époustouflants l’un comme l’autre. Julien Duval d’abord ! Cynique à souhait son personnage tient du Dom Juan de Molière et Lorenzaccio pourrait bien être sa statue du Commandeur. Acteur au charisme immédiat que l’on a vu déjà dirigé par Catherine Marnas dans (entre autres) «Lignes de failles» de Nancy Huston et «Le retour au désert» de Koltès, metteur en scène lui-même notamment de la pièce de Rémi De Vos «Alpenstock», Julien Duval montre et ne démontre pas, et son jeu rend plus inquiétant encore ce Médicis haï de tous. Habitué aux textes politiques («Les justes» de Camus dans la mise en scène de Stanislas Nordey «Richard II» et «Richard III» de Shakespeare) Vincent Dissez s’emploie à rendre crédible ce que dit son personnage. Et par lui, on comprend mieux des phrases comme « la Cour…, le peuple le porte sur son dos », «Un peuple malheureux fait les grands artistes», «Je ne hais point les hommes. Le tort des livres et des historiens est de nous les montrer différents de ce qu’ils sont» qui sont au cœur des fondements de la pensée sociale de Musset. Acteur puissant, Vincent Dissez évite les clichés avec lesquels on habille parfois Lorenzaccio d’un oripeau souffreteux. Du coup, il impose un personnage à la psychologie complexe et le rend plus universel. Assurément un spectacle formidablement novateur, décapant, avec des moments certes inégaux mais porté par une sincérité et une intelligence qui assumant ses excès impose une vision assez magique de Lorenzaccio et de ceux qui l’entourent.Comme c’est formidable du théâtre intelligent !
Jean-Rémi BARLAND

Au Théâtre du Gymnase jusqu’au 6 novembre à 20h30. Le samedi 7 novembre à 17h. Plus d’info:lestheatres.net

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