Opéra – Les carnets du festivalier entre Aix-en-Provence et Orange

Publié le 10 juillet 2023 à  12h40 - Dernière mise à  jour le 1 août 2023 à  22h19

Entre le Festival d’Aix-en-Provence, qui fête ses 75 ans cette année, et les Chorégies d’Orange qui sont, rappelons-le, le plus ancien festival de France, les passionnés d’opéra ont fort à faire depuis quelques jours. En leur compagnie nous avons parcouru les routes provençales pour être présents aux rendez-vous proposés par les deux manifestations.

Festival d'Aix Cosi fan tutte
Cosi fan Tutte (Photo Monica Rittershaus )

Après une ouverture du Festival d’Aix-en-Provence avec « L’opéra de quat’sous » de Kurt Weill donné au Théâtre de l’Archevêché et qui, même s’il consacre l’entrée de la Comédie Française en ces lieux, ne laissera pas un souvenir impérissable, Mozart retrouvait « son » théâtre estival deux jours plus tard avec « Cosi fan Tutte » pour se souvenir que c’est cet ouvrage qui, en 1948, dirigé par Hans Rosbaud, frappait les trois coups d’une manifestation qui allait s’imposer comme l’une des plus importantes, et des plus prisées, au monde. Mais en confiant la mise en scène de l’ouvrage à Dmitri Tcherniakov, le risque de ne pas faire l’unanimité était réel… La suite l’a prouvé.

L’échangisme et Mozart ne font pas bon ménage

Pour cette production festivalière, le metteur en scène russe avait décidé de transformer les tourtereaux du 18e siècle en sexagénaires d’aujourd’hui venus chercher du piquant dans leurs relations amoureuses au cours d’un week-end échangiste « animé » par un couple pervers composé de Don Alfonso et Despina. Pourquoi pas ? Mais très vite le propos perd du sens au fur et à mesure que l’action doit faire face à un livret inadapté. Et comme pour aller au bout de sa pensée, Tcherniakov a réuni sur scène un quatuor de protagonistes en rapport d’âge avec son parti pris, supprimant totalement l’esprit « giocoso » de la pièce, le plaisir des oreilles ne vient hélas pas compenser le déplaisir des yeux.

On reconnaîtra à Agneta Eichenholz, Fiordiligi, Claudia Mahnke, Dorabella, Reiner Trost, Ferrando, Russel Braun, Guglielmo, le courage d’avoir accepté d’affronter un challenge, mais la maturité et la technique vocale n’ont pas suffit. Seuls Georg Nigl, don Alfonso, et Nicole Chevalier, Despina sont à leur place, idéaux interprètes de personnages pervers et violents tant scéniquement que vocalement. Une violence agressive, à la limite du soutenable, qui semble satisfaire un metteur en scène qui, une fois de plus, a tenté d’actualiser, sans succès à notre sens, une œuvre signée Mozart et Da Ponte, génies en leur temps, qui n’a nul besoin d’être ainsi maltraitée. Signalons, au passage, que dans la fosse, même Thomas Hengelbrock, à la tête de l’orchestre Balthasar Neumann, a eu du mal à servir l’œuvre… Lorsqu’on connaît les qualités de l’ensemble et de son directeur musical, on peut penser que le mal était profond.

Wozzeck : éblouissante lumière noire

Wozzeck Festival d'Aix
Wozzeck (Photo Monica Rittershaus)

Deux jours plus tard, la rédemption arrivait au Grand Théâtre de Provence avec la première représentation de « Wozzeck », l’opéra d’Alban Berg. Un condensé de solitude, de misère, d’angoisse, de folie, de violences physiques et intellectuelles qui font de cette partition l’une des plus sombres de l’histoire de l’opéra. Mais aussi l’une des plus lumineuses lorsqu’elle est donnée comme actuellement au Festival d’Aix-en-Provence. Il faut dire que le directeur de la manifestation, Pierre Audi, n’a pas lésiné sur le casting en signant des deux Simon, McBurney pour la mise en scène et Sir Rattle pour la direction musicale à la tête de « son » London Symphony Orhestra. Une heure quarante en apnée, ou presque, devant ce drame si sordide, mais si réaliste, mettant en scène un couple déchiré et déchirant, le soldat Wozzeck, incarné par Christian Gerhaher, grand spécialiste du rôle qui confère à son personnage une dimension démesurément poignante et Marie incarnée par Malyn Byström irradiante de sensibilité, mère et femme face au précipice d’une vie inachevée, en proie à de perpétuels questionnements. Le tout dans un univers ciselé par Simon McBurney qui ne laisse rien au hasard.  Une production qui fera date à Aix-en-Provence.

La femme est l’avenir de Carmen

Carmen aux chorégies d'Orange
Carmen (Photo Philippe Gromelle)

Pour l’unique représentation de « Carmen » de Bizet, qui était aussi le seul opéra programmé cette année aux Chorégies d’Orange, le théâtre antique avait fait le plein samedi soir… Soit, au bas mot, 7 000 paires d’yeux et d’oreilles Pour découvrir ici la québécoise Marie-Nicole Lemieux dans ce rôle-titre qu’elle avoue s’être longtemps refusé d’embrasser, estimant, c’est elle même qui le dit, qu’elle n’avait pas le physique adéquat.

La suite lui a prouvé que non et, à Orange, la démesure du lieu l’a enfin consacrée Carmen. Il faut dire que la contralto a été parfaite, scéniquement et vocalement, conférant idéalement à son personnage le caractère de femme libre d’aimer, et d’en mourir, que voulait le metteur en scène Jean-Louis Grinda pour sa gitane. Il était dit que les femmes seraient les grandes triomphatrices de cette soirée avec, autre pierre angulaire de la production, la maestra Clélia Cafiero, qui affrontait le mur pour la première fois, à la tête de l’Orchestre National de Lyon. Par sa direction précise et sensible, la jeune femme a donné toute sa dimension à la partition de Bizet et ce en ayant eu la lourde charge, en quelques répétitions, de faire cheminer avec bonheur les musiciens de cet orchestre « symphonique » sur les voies de l’opéra. Alexandra Marcellier, Micaela solide mais aussi émouvante fut très convaincante, Charlotte Despaux et Eleonore Pancrazi, furent d’idéales Frasquita et Mercédès et la toute jeune Irène Olvera, fascinante en danseuse flamenca. Jean-François Boras, Don José, Ildebrando D’Arcangelo, Escamillo, Luc Bertin-Hugault, Zuniga, Pierre Doyen, Moralès, Franck Thézan, Lionel Lhote et Jean Miannay composant un casting masculin équilibré pour donner la réplique à ces dames…
Michel EGEA

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