Patrick Berardi, directeur de Thassalia parle de cette première centrale française de géothermie marine inaugurée ce lundi à Marseille

Un peu moins d’un an après la pose de la première pierre, le réseau de géothermie marine Thassalia, implanté sur le môle d’Ares du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) sera inauguré ce lundi 17 septembre en présence de Gérard Mestrallet président d’Engie, (ex-GDF Suez), d’Isabelle Kocher, directeur général et des différents partenaires. Cette installation opérationnelle depuis le mois d’août permet de chauffer ou de refroidir les bâtiments sur le périmètre d’Euroméditerranée (Docks de la Joliette, Euromed center…). Patrick Berardi, directeur général de Thassalia revient sur ce réseau d’exception. Entretien.

Le bâtiment de Thassalia a été conçu par l'architecte Roland Carta (Photo Robert Poulain)
Le bâtiment de Thassalia a été conçu par l’architecte Roland Carta (Photo Robert Poulain)
Patrick Berardi, directeur général de Thassalia (Photo Robert Poulain)
Patrick Berardi, directeur général de Thassalia (Photo Robert Poulain)
(Photo Robert Poulain)
(Photo Robert Poulain)

Destimed: Expliquez-nous précisément ce qu’est Thassalia ?
Patrick Berardi: Thassalia est un projet porté par le groupe Engie depuis 2010 et l’opération a été lancée en 2014. Il s’agit de la création d’un réseau urbain de chaud et de froid sur le périmètre d’Euroméditerranée. Un projet innovant à plusieurs titres : premièrement, c’est un réseau, pour diverses raisons, qui a été monté juridiquement de manière privée, on ne répond pas à une Délégation de service public (DSP). Le 2e point, c’est que nous livrons du chaud et du froid. En général les réseaux existants, sur les territoires français, sont soit de chaud soit de froid. Et enfin la dernière caractéristique, la plus importante, c’est que l’énergie est puisée dans l’eau de la mer sur des technologies déjà éprouvées par certaines filiales du groupe. Notamment Climespace à Paris qui puise l’énergie dans l’eau de la Seine ou encore d’autres sites du Groupe Engie, plutôt sur des grandes villes, Lisbonne, Barcelone où on a des systèmes analogues en puisant leur énergie dans l’eau de mer pour faire du froid. Sur le territoire européen, il y un réseau de chaud et de froid, à Barcelone par exemple, géré par le Groupe, le froid est pompé dans l’eau de la mer mais, le chaud était déjà existant au moyen d’une centrale d’incinération, une énergie de récupération. Et nous, avec Thassalia nous faisons du chaud et du froid. En France, c’est un réseau unique. Il est à noter que Thassalia est 100% filiale Engie par le biais de deux de ses filiales Engie Cofely, une entreprise d’exploitation de chaud et de froid et climespace qui gère le réseau froid de Paris qui est le plus grand d’Europe. Pour information, la France en Europe, est en avance sur ses partenaires en réseau de froid, même par rapport à des pays comme l’Allemagne.

Comment fonctionne ce réseau ?
Nous avons deux types de machine à l’intérieur de Thassalia qui sont soit des groupes froid, soit des Thermo-frigo pompes qui, à partir d’une pompe à chaleur, font du chaud et du froid simultanés. Et, ces machines ont un coefficient d’efficacité énergétique extrêmement élevé parce qu’elles sont alimentés par l’eau de mer dont elles récupèrent l’énergie. Mais il faut savoir qu’il n’y a pas de génération spontanée d’énergie, on ne la crée pas de rien, il y a toujours un rendement. Ici c’est 25% d’électricité, 5% de gaz, 70% au moins d’énergie de la mer. Et cette eau de mer qui entre dans les machines et ensuite rejetée ou plus chaude ou plus froide.

Pour quelles raisons?
Parce qu’on ne pompe pas de l’eau mais de l’énergie. L’eau de mer est filtrée pour ne pas envoyer des poissons, par exemple, dans les machines. Une fois filtrée, elle va jusqu’aux machines en passant par des canalisations en résine à cause de la corrosion et on l’a rejette ou plus chaude ou plus froide parce si vous enlevez du chaud, vous la rejetez plus froide et si vous prenez du froid vous la rejetez plus chaude. Et, c’est de l’eau de ville à 60° pour le chaud 5° pour le froid qui part de la centrale jusqu’aux bâtiments alimentés. La limite contractuelle s’arrête au pied de l’immeuble.

En ce qui concerne les rejets, des limites, au niveau des degrés, sont-elles posées?
On a des préconisations à respecter par rapport à l’État dans le cadre de sa loi sur l’eau. L’organisme qui suit cela pour l’État c’est la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) avec qui donc on a défini une procédure sur comment est-ce que l’on puise l’eau de mer et comment on la rejette? On doit respecter une température de rejet, pas plus de + ou – 5° par rapport à la température de puisage. Et, on a aussi un suivi biologique.

Qui sont vos concurrents aujourd’hui ?
Ce sont les installations autonomes. Nous, nous sommes un réseau et quand on doit vendre notre système on doit persuader le client que c’est la meilleure solution et c’est le cas, compte tenu de ses caractéristiques. Cela se passe très bien sur un bâtiment neuf mais un peu plus difficilement sur un bâtiment ancien parce qu’il faut arriver au bon moment, celui où les installations autonomes arrivent en fin de vie et que le propriétaire les a amorties. Il faut savoir qu’un réseau ne peut se développer que dans un milieu dense urbain puisqu’il nécessite de gros investissements.

Combien de clients attendez-vous ?
Notre plan de développement s’étend sur 5 ans avec un objectif de 600 000 m² ce qui correspond à une trentaine de bâtiments. Aujourd’hui on est à 160 000 m² de clients alimentés ou contractualisés. Parmi les clients structurants, Il faut rendre hommage à Marc Pietri, président du groupe Constructa qui a crû tout de suite au projet. Le réseau alimente les bâtiments des Docks de la Joliette, Euromed center… Aujourd’hui, on livre des bâtiments de bureaux et l’Hôtel Golden Tulip et lorsqu’elle sera achevée la Tour La Marseillaise mais, dès l’année prochaine au mois de mars nous allons alimenter les premiers bâtiments de logements sur le Parc habité de Nexcity

Marseille est-elle une opération pilote ?
Oui parce que il y avait Euromed et le projet de rénovation urbaine qui a une politique très forte d’énergie renouvelable. Ce type d’opération est extrêmement compliquée à monter commercialement, techniquement, juridiquement, il faut qu’il y ait un certain nombre de bâtiments sur une surface concentrée et que l’on puisse aller chercher l’eau au plus près. Ce qui nous a amenés à Marseille avec cet ensemble de bâtiments qui se construisait sur Euromed 1 avec Euromed center, la réhabilitation des Docks, les tours d’Arenc, trois bâtiments majeurs qui vont consommer beaucoup d’énergie, dans un laps de temps à peu près identique.

Qu’en est-il des tarifs?
Nous sommes aux alentours de 10% moins cher sur le froid par rapport à une solution autonome et cela va s’accentuer sur le temps puisque sur le chaud notre concurrent c’est le gaz ou l’électricité. Je m’explique, le gaz aujourd’hui est historiquement bas, quand on parle tarif, il faut bien prendre en compte au moment de signer des contrats, qui sont de longue durée, au moins 10 ans, les hypothèses d’augmentation d’énergie. Au niveau du gaz on oublie de dire que la taxe carbone va fortement augmenter. De 4 € le mégawatt elle va passer, avec la loi finance rectificative 2018-2019, à 11€. Et avec la loi de transition énergétique la tonne de CO2 aujourd’hui est de 22€, elle était de 7 € en 2014, la loi finance rectificative la fixe à 47 € en 2019. La loi de transition énergétique a pour ambition de la fixer à 56€/t en 2020 et 100€/t en 2030. Sachez qu’actuellement, en Suède, elle est à 120€. Donc notre concurrent dans les énergies sur le Chaud est au même prix mais nous, nous bénéficions pour le chaud d’une TVA à 5,5% sur l’abonnement et sur la molécule puisque l’on fabrique notre énergie à plus de 50% d’énergie renouvelable.

Un particulier peut-il s’abonner à votre réseau ?
Nous livrons des productions centralisées. Les raccordements sont vraiment adaptés aux grands ensembles. L’énergie n’est pas chère mais il faut que la consommation du bâtiment nous permette d’amortir son raccordement. Pour l’heure, une maison individuelle reviendrait trop cher.

Et le centre-ville de Marseille?
Aujourd’hui, on développe le réseau sur 3 kilomètres mais rien n’empêche de l’étendre à partir du moment où on a acquis assez de puissance de centrale. Si un jour, cela marche très bien, on pourra l’étendre jusqu’au centre-ville. L’intérêt d’un réseau est que vous installez moins que la somme de toutes les installations autonomes puisque vous avez un foisonnement. les consommations ne se font pas en même temps. Les foisonnements nous permettent donc de livrer beaucoup plus que la somme des puissances nécessaires individuelles.

Que se passe-t-il en cas de pannes?
L’avantage d’une centrale c’est qu’ il y a des gens tout le temps: 2 personnes à temps-plein et un service d’astreinte. Au niveau des tuyaux dans la rue, s’il y a des travaux, un bulldozer peut toujours mettre un coup de lame. Nous avons un contrat qui offre un temps de réponse extrêmement rapide. Un client chauffé par le réseau ne sera touché que six heures après, laps de temps largement suffisant pour réparer la panne. Autre avantage, dans les tuyaux il y a de l’eau chaude à 60°, il existe donc moins de contrainte qu’avec la vapeur des anciens anciens réseaux.

Outre le prix, l’utilisation d’énergies renouvelables, quels autres avantages apportent l’utilisation du réseau?
Euroméditerranéenne voit un intérêt supplémentaire avec l’abaissement de l’effet îlot de chaleur. Dans une ville, toutes les productions autonomes de froid dégage du chaud créant un îlot de chaleur. L’intérêt encore d’un réseau de froid c’est qu’il permet la valorisation des terrasses avec la disparition des appareillages; limitant par là-même la pollution sonore. Enfin, en supprimant les tours aéroréfrigérantes placés pour les grosses installations de froid, on limite le risque sanitaire puisqu’elles sont sujettes à la contamination par des bactéries.

Quels sont vos objectifs?
On prépare l’avenir sur du local. On peut le reproduire mais c’est un projet compliqué même s’il est porté par le privé, il doit être soutenu par l’ensemble des parties prenantes: les collectivités, les entreprises et des clients. Notre seul souci, il est conjoncturel, est de raccorder les bâtiments prévus dont la construction a pris un peu de retard. L’État nous a bien aidés mais il faut qu’il continue et branche les bâtiments de l’État.

Pourquoi cette Inauguration le 17 octobre
Aujourd’hui, Thassalia est en fonctionnement, l’inauguration nous permet d’associer nos partenaires financiers à cette opération puisque l’investissement général est de 35M€ mais nous avons une aide de l’État par le biais de l’ADEM : 3,345M€ – le Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) 1,6M€ – le Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur 1M€ – le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône: 500 000 € – la métropole Aix-Marseille Provence: 250 000€ et la ville de Marseille 250 000€ . Notre caractéristique principale est que pour aller chercher l’énergie dans l’eau de la mer pour alimenter Euromed 1, il fallait être à proximité des points de puisage, nous avons conclu un partenariat par le biais d’une convention d’occupation temporaire de 35 ans avec le Grand Port maritime de Marseille (GPMM). On le loue donc comme on loue le passage des tuyaux dans la ville à la métropole.

Propos recueillis par Patricia MAILLE-CAIRE

Des solutions environnementales

Ce projet-pilote propose une solution technique innovante, économe en gaz à effet de
serre, et valorise l’énergie renouvelable issue de la Méditerranée.
Principaux bénéfices environnementaux attendus par rapport à une solution
classique :
– réduction de la consommation électrique globale: 40%
– Impact des gaz à effet de serre: – 70 %
– Consommation d’eau: -65% à 100%
– Consommation de produits chimiques -80% à -99%
– limitation des rejets thermiques dans l’air.

Diaporama Robert Poulain

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