Patrick Modiano prix Nobel de littérature 2014

Publié le 9 octobre 2014 à  19h14 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h22

Patrick Modiano prix Nobel de littérature 2014 (Photo D.R.)
Patrick Modiano prix Nobel de littérature 2014 (Photo D.R.)

Cet homme est grand ! A tous les sens du terme. D’abord par la taille (plus d’un mètre quatre-vingt-dix). Ensuite par le talent. D’une hauteur de vue dans ses écrits n’ayant d’égal que sa discrétion, il demeurera à jamais humble et modeste d’une timidité à l’oral presque maladive. On se souvient que lors des émissions d’Apostrophes où il était régulièrement reçu, Bernard Pivot avait du mal à lui faire terminer une phrase. Sa marque de fabrique en fait. Celui qui parle le mieux de sa personnalité en trompe l’œil demeure le chanteur Vincent Delerm qui dans «Le baiser Modiano» explique que lorsque l’on croise l’écrivain dans Paris et qu’il disparaît presque aussitôt on se prend à songer qu’on ne l’a peut-être pas vu. Aujourd’hui Patrick Modiano est bien visible, sans l’avoir cherché pourtant, puisque les hommes de Stockholm lui ont adressé le Prix Nobel de littérature 2014. Et ce, quelques années après avoir couronné Jean-Marie Gustave Le Clézio un autre géant des lettres françaises (même taille à quelque chose près, carrière similaire).

Le devoir de mémoire

Né le 30 juillet 1945 à Boulogne-Billancourt, Patrick Modiano a signé une œuvre considérable dont quelques livres puissants dont «Rue des Boutiques obscures» Prix Goncourt 1978, et «Dora Bruder» ou encore «Quartier perdu». On notera bien sûr chez lui la volonté de rappeler chacun au devoir de mémoire notamment par rapport aux exactions nazies de la Seconde Guerre Mondiale (n’a-t-il pas signé le scénario de «Lacombe Lucien» le film de Louis Malle sur un collabo ordinaire ou encore «La place de l’étoile» roman qui évoque avec émotion et un humour noir évident la déportation des juifs) mais comme l’a signalé aujourd’hui Pierre Assouline, membre de l’Académie Goncourt, on ne peut réduire l’œuvre de Patrick Modiano à ce seul thème développé. La particularité de cet écrivain dont on loue «la petite musique de son style» (c’est assez fréquent quand on n’a rien à dire sur lui, comme on le faisait d’ailleurs pour Sagan), demeure de brosser des portraits d’hommes et de femmes décalés en rupture d’identité, étranglés de culpabilité, éternels enfants blessés, changeant de nom et de pays pour tenter de fuir un passé qui les obsède. D’où cette impression face à ces gens ordinaires de ne pas les connaître autrement que par touches impressionnistes et de ne pas en savoir beaucoup plus sur eux à la fin du roman qu’au début. Même dans on roman pour enfants « Catherine Certitude cette impression frappe le lecteur, et ce n’est pas innocent que le texte se trouve illustré par Sempé, adepte des personnages dans les marges écrasés par des décors plus grands que leurs rêves ayant capoté. Dans le dernier roman de Patrick Modiano publié voilà quinze jours qui porte comme beau titre «Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier» on croise un homme affaibli par ses fautes et ses blessures qui reçoit un coup de fil d’un certain Gilles Ottolini qui souhaite lui rendre un carnet d’adresses qu’il aurait perdu et qu’il a retrouvé par hasard. C’est en tout cas ce qu’il prétend, mais on verra que cette histoire sombre où les adresses des uns et des autres ne sont pas elles aussi très nettes, renverra chacun à sa part d’enfance éternelle. C’est d’autant plus beau qu’aux grandes orgues du pathétique Patrick Modiano préfère les récits en forme de sonates schubertiennes. Là encore une petite musique me dira-t-on. Celle de la joie d’espérer malgré tout en dépit de la douleur d’exister qui taraude chaque protagoniste, dont quelques femmes décrites là encore en des mots remplis de fragrances vives. Messieurs du Nobel bravo ! Oui vous avez couronné un immense écrivain ! Et pas seulement à cause de la taille dont on parlait au début !
Jean-Rémi BARLAND

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