Portrait: Nicolas Bonet, un luthier aixois au firmament

Publié le 15 décembre 2018 à  8h09 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  20h42

Avec la médaille d’or obtenue cette année au concours international de Crémone, en Italie, Nicolas Bonet, un jeune artisan aixois, a décroché rien moins que le Prix Nobel des luthiers. Mieux : l’instrument qu’il a réalisé pour cette compétition organisée seulement tous les 3 ans a été acquis par l’organisateur et rejoint les collections du musée du violon, aux côtés de pièces signées Stradivari, Guarneri ou Amati. Un privilège que peu de lauréats ont obtenu au cours des 14 éditions précédentes de ce concours, soulignant par là même l’excellence du travail de Nicolas Bonet, en dépit de sa jeunesse et de sa courte expérience.

Le luthier aixois, Nicolas Bonet  (Photo Hervé Vaudoit et D.R.)
Le luthier aixois, Nicolas Bonet (Photo Hervé Vaudoit et D.R.)
Il venait à peine de fêter le premier anniversaire de sa petite entreprise quand il a décidé de se présenter au fameux «Concorso Triennale Internationale di Liuteria Antonio Stradivari», qui organisait cette année sa quinzième édition. Créé il y a plus de 40 ans à Crémone, la ville qui a vu naître les instruments à cordes frottées et les plus fameux luthiers au monde, ce concours est considéré, avec celui de Cleveland, aux États-Unis, comme les Oscars -ou les Nobel- de la lutherie. En obtenant cette consécration à seulement 32 ans, l’artisan aixois est d’ailleurs passé du statut de petit luthier anonyme à celui d’artisan respecté aux quatre coins de la planète. « Du jour au lendemain, s’amuse Nicolas, j’ai commencé à recevoir des mails et des commandes de Corée, des États-Unis, du Japon… comme si j’étais passé d’un coup de la promotion d’honneur à la Ligue des Champions.» Encore incrédule de cette subite notoriété internationale, le jeune homme s’avoue d’autant plus surpris qu’il se destinait initialement à tout autre chose qu’à la fabrication d’instruments de musique. La lutherie, à l’origine, c’était la vocation de Frédéric, son père, pas la sienne. Lui ambitionnait la technologie plutôt que le travail manuel à l’heure des choix d’orientation. Un bac S obtenu sans coup férir, puis deux ans de prépa scientifique au lycée Vauvenargues d’Aix-en-Provence le conduisent, en 2006, à intégrer l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Caen, où il se forme aux systèmes informatiques. « En fait, je me suis laissé porter, analyse Nicolas avec le recul. A 19 ans, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie, mais j’avais quand même en tête qu’il me fallait un diplôme.» Après l’Ensi Caen, il est embauché dans une grosse entreprise de services informatiques en région parisienne. Mais il n’est pas heureux. «J’ai compris assez vite que c’était un milieu qui ne me correspondait pas ; que je ne pourrai pas m’y épanouir dans la durée, explique-t-il. Alors, j’ai commencé à me poser des questions et c’est là que j’ai réalisé que le métier de mes parents était juste fabuleux.» Le jour où il évoque la question à la table familiale, le changement de cap annoncé ne déchaîne pas l’enthousiasme. «Mon père ne doutait pas de ma motivation et de mes capacités, se souvient le jeune homme, mais il était sceptique sur le fait qu’on puisse encore en vivre.» Pas assez pour faire douter Nicolas, qui intègre quelques semaines plus tard l’école de lutherie de Milan, en Lombardie. Trois ans plus tard, il en sort diplômé et entre chez un luthier de la Ville, Carlo Chiesa, qui lui propose de l’embaucher. Nous sommes alors en 2015 et, après quatre ans de l’autre côté des Alpes, Nicolas a envie de rentrer au pays. Tout au long de l’année 2016, il travaille dans plusieurs ateliers, notamment à Angers, chez Antoine Cauche, «un homme formidable qui m’a donné confiance.» Au point de fonder son propre atelier, à côté de celui de son père, rue Chabrier à Aix-en-Provence, en juillet 2017.
Le concours de Crémone, c’est un peu pour se toiser lui-même qu’il s’y est aligné. «J’ai d’ailleurs fait un premier violon avant de m’attaquer à celui que j’allais présenter, car je n’en avais plus fait un du début à la fin depuis l’école.» Visiblement, Nicolas n’avait rien oublié. A la fin de l’été 2018, après trois mois d’un travail intense et quelques semaines de jeu entre les mains expertes d’Anne Menier, professeure de violon au conservatoire Darius Milhaud d’Aix, l’instrument est expédié à Crémone. Sélectionné par un jury d’experts et confronté en finale à six autres instruments de luthiers italiens, belge, américain ou chinois, ce violon a littéralement bluffé le jury, qui lui a donc décerné une médaille d’or, synonyme d’entrée au musée. En catégorie alto et contrebasse, en revanche, pas de médaille d’or du tout, ni même de médaille d’argent en contrebasse. C’est dire le niveau de performance atteint par le jeune aixois. Et l’atout maître qu’il vient de se donner pour la suite de sa carrière.
Hervé VAUDOIT

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