Publié le 14 janvier 2017 à  20h42 - DerniÚre mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h31
Au lendemain du premier débat télé de la primaire socialiste (sic), Benoßt Hamon, un des challengers sérieux, est le premier à venir tester son effet, en ce glacial vendredi 13, dans la deuxiÚme ville de France. Téméraire?
Dans le 6e, Ă lâEspace Julien, lieu emblĂ©matique dâune Marseille plus bobo-cool et branchĂ©e que paupĂ©risĂ©e, la salle se remplit trĂšs vite de jeunes. PhĂ©nomĂšne plutĂŽt rare pour ce genre de rĂ©union, alors est-ce quâ«à Marseille plus quâailleurs» les idĂ©es de BenoĂźt Hamon font mouche comme le rĂȘvent les animateurs locaux du courant Hamon, Marion Pigamo et Yannick Ohanessian?
Des sympathisants socialistes indĂ©cis et beaucoup dâĂ©tudiants venus en curieux
Au premier rang, on retrouve de rares Ă©lus locaux et pas lâombre dâun sulfureux parlementaire ou patron dont le PS 13 a le secret. Le plus jeune et pourtant militant aguerri, Benoit Payan, conseiller dĂ©partemental et prĂ©sident du groupe socialiste de la Ville, a longtemps Ă©tĂ© le chef du MJS Marseillais ; MichĂšle Rubirola, conseillĂšre dĂ©partementale (EELV) pour la note Ă©colo; Denis Rossi, un ex Vice-prĂ©sident du dĂ©partement du temps faste de Jean-NoĂ«l GuĂ©rini ou encore Edouard Baldo, conseiller municipal dâopposition Ă Aix-en-Provence. Dans le gros de la salle, le ban et lâarriĂšre ban du MJS, des sympathisants socialistes indĂ©cis et beaucoup dâĂ©tudiants venus en curieux, intĂ©ressĂ©s par la «cohĂ©rence du discours» jugĂ© finalement «plus sĂ©rieux que MĂ©lenchon», son discours sur lâEurope, moins mĂ©diatisĂ©, sĂ©duit pourtant par exemple Sylvain Rebeizat, Ă©tudiant en architecture ou encore AnthĂ©a Miglietta, Ă©lĂšve de Sciences-po Aix, qui apprĂ©cie sa vision «moderne et Ă long terme» avec un traitement des «vraies questions» Ă©cologique, numĂ©rique et institutionnelle. Elle sâest engagĂ©e Ă gauche en 2012, elle dit avoir Ă©tĂ© déçue par le quinquennat mais pas dĂ©couragĂ©e. Tarik Chakor, un ancien secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du MJS, approuve lui aussi le dĂ©poussiĂ©rage de thĂšmes trop rebattus dans les campagnes, «ses idĂ©es rĂ©pondent Ă la pĂ©riode de transition dans laquelle nous sommes, du revenu universel Ă la reconnaissance du vote blanc », il ouvre dâautres perspectives.
Lilly Wood & the Prickâs Ă fond, entre deux clips vidĂ©os vulgarisant les grands sujets, un animateur pousse le son pour accueillir les intervenants illustrant les prĂ©occupations du candidat, lâenvironnement (Manuel Valls a-t-il autorisĂ© la poursuite du rejet des boues rouges dans les Calanques ?) et lâĂ©conomie sociale et solidaire dont il a Ă©tĂ© Ministre (la loi Macron a-t-elle Ă©tĂ© pensĂ©e pour les puissants ?). Ăa envoie. A lâapplaudimĂštre, câest Olivier Leberquier, ex-Fralib aujourdâhui DG de la SCOP-Ti (qui produit et commercialise le thĂ© 1336) qui emporte la salle. Pot de terre contre pot de fer, les salariĂ©s du ThĂ© ElĂ©phant ont renversĂ© leur dirigeant, un gĂ©ant mondial de lâagroalimentaire, Unilever et sont devenus leurs propres patrons. Leur combat Ă©tait donnĂ© perdant, ils ont gagnĂ©, justice a Ă©tĂ© rendue, la salle salue le courage et la morale de lâhistoire. «Aujourdâhui, les Ă©carts de salaires sont de 1 Ă 1,25, avec Unilever câĂ©tait du 1 Ă 200», rappelle Leberquier. Loi Hamon contre loi Macron, il fustige cette «loi travail qui nous ramĂšne vers le passé». Les 32 heures, le SMIC Ă 1800âŹ.. le syndicaliste-patron attend «des mesures fortes de justice sociale». Et il tonne, «la guerre des classes est une rĂ©alitĂ© objective ! ». La salle ovationne.
«Ceux qui font les Loi Travail sont ceux qui ont un boulot et qui en sont heureux »
Le candidat en vient Ă dĂ©rouler ses «idĂ©es dâavenir», tranquillement alors quâil est dĂ©jĂ plus de 21heures, un peu enrhumĂ©, mais «ce nâest pas une allergie au dĂ©bat dâhier, ce nâest pas Manuel non plus» que l’on se rassure, il rappelle quâil est nĂ© avec la crise. Il fait un peu de latin et dâĂ©tymologie pour sortir de la lutte des classes et Ă©lever son raisonnement sur sa vision du travail et sa rĂ©partition inĂ©galitaire. Avec deux cibles privilĂ©giĂ©es, Macron et Valls, devenus les «dĂ©vots» de la croissance et du PIB. «Ceux qui font les Loi Travail sont ceux qui ont un boulot et qui en sont heureux ». Ceux lĂ , dans le dĂ©compte Hamon, sont trĂšs peu nombreux et visent donc «à cĂŽtĂ© de la plaque». Alors, le candidat dit que dans cette logique «has been», les bac+5 finiront «uberisĂ©s» en chauffeurs de maĂźtres, quâils doivent le refuser, mais que dit-il à «ceux qui tiennent les murs» (les sans diplĂŽme des quartiers) dont il parle briĂšvement? On nâa pas bien compris. De toute façon, ils ne sont pas dans la salle. En revanche, il est clair sur les valeurs de gauche et il rappelle trĂšs vite que ses camarades ont oubliĂ© leurs fondamentaux. Un marronnier pour les socialistes Ă lâĂ©preuve du pouvoir. Il reprend une phrase de Manuel Valls devant le Medef «moi, jâaime les entreprises» mais rĂ©torque-t-il «câest aussi stupide que de dire jâaime les poissons. Sait-on sâil sâagit de sardines ou de requins?». Le CICE est restĂ© coincĂ© comme lâarĂȘte dans la gorge de Benoit Hamon. Lâargent public nâest pas allĂ© aux Scop nous dit lâex Ministre de lâĂconomie Sociale et Solidaire, «nous avons fait une offrande de 40 milliards et le sacrifice du droit du travail, tout ça sur lâautel dâune croissance qui nâest pas revenueâŠÂ» La salle acquiesce.
En contrepoint, BenoĂźt Hamon explique quâil ne se trompe pas, que le point du PIB ne peut pas ĂȘtre un objectif, que lâAllemagne ne peut pas ĂȘtre un modĂšle avec lâexplosion de sa prĂ©caritĂ©. Il veut se montrer rĂ©aliste face Ă la numĂ©risation des emplois et le dĂ©fi Ă©cologique mais sans renoncer au rĂȘve dâun travail qui Ă©mancipe, dâune dĂ©mocratie quasi-directe, dâune France bio, ce rĂȘve Ă©tant alors le seul guide lĂ©gitime des politiques publiques. Il a pour lui dâavoir mis en dĂ©bat le revenu universel dâexistence pour revoir notre rapport au travail et permettre de mieux rĂ©flĂ©chir la transition quâimplique la rĂ©volution numĂ©rique. Il rappelle volontiers la crĂ©ation de la SĂ©cu en 1945 Ă laquelle peu croyaient et que l’on nâimagine pas abolir aujourdâhui. Bref, ce revenu «nâa absolument rien dâimpossible». Avec le mĂȘme raisonnement sur le thĂšme institutionnel, il vise large, hyper-dĂ©mocrate, avec la reconnaissance du vote blanc ou un 49.3 citoyen mais curieusement sans projet de proportionnelle. Il ne parlera pas dâEurope, pourtant le public lâaurait volontiers suivi sur le sujet. Il est prĂšs de 23 heures, le candidat signera quelques autographes sur les affiches pour ses plus fervents soutiens, la journĂ©e a Ă©tĂ© longue, on a rĂ©visĂ© et actualisĂ© nos fondamentaux de gauche et presque oubliĂ© quâun socialiste est encore PrĂ©sident de la RĂ©publique. En sortant du cocon de lâEspace Julien, la dispersion est rapide, on est saisi par le froid. La rĂ©alitĂ© vous rattrape vite.
Morgane TURC