Printemps glacial – épisode 1 : Un épisode météorologique dévastateur et inédit

Publié le 10 mai 2021 à  9h00 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h22

Les prochaines semaines s’annoncent cruciales pour véritablement établir le bilan de la gelée noire du début du mois d’avril qui a mobilisé toutes les forces des agriculteurs des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence pour tenter de sauver leurs cultures. Ces jours de lutte ont, sans conteste, épuisé les corps et le moral de bon nombre d’entre eux.

Des gelées d’avril catastrophiques pour les professionnels ©AG
Des gelées d’avril catastrophiques pour les professionnels ©AG

Des mois de février et mars plus que cléments avec des températures bien au-dessus de la normale saisonnière avaient favorisé la végétation des cultures et bon nombre d’entre elles affichaient une belle avance. Cependant, la première semaine d’avril a réduit à néant le travail de nombreux agriculteurs qui, pour certains, pourraient avoir perdu la totalité de leur récolte. Les gelées en avril ne sont pas rares mais pas avec une telle intensité et sur une aussi longue période.

De plus, phénomène inédit, les basses températures se sont accompagnées de vent et l’écart entre les températures humides et sèches était si important, 5 à 7°C par endroit, qu’il était difficile pour les agriculteurs de savoir comment agir. Notamment pour les arboriculteurs qui disposent de plusieurs moyens de lutte pour protéger leurs vergers : l’aspersion, les tours à vent, les bougies…

La température sèche est la température classique d’un thermomètre sans tenir compte de l’humidité de l’air, la température humide correspond à la température ressentie par le végétal.

«Généralement dans les vergers le déclenchement de l’irrigation doit se faire par rapport à la température humide, explique Éric Allard, technicien en arboriculture à la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes. Mais là c’était vraiment étonnant de voir un tel écart entre les deux températures et cela s’ajoutait au vent. Celui-ci perturbe l’arrosage, il empêche une bonne répartition de l’eau sur les végétaux et favorise l’évaporation. L’apport est donc insuffisant pour protéger la végétation et éviter la baisse de température. Jusqu’à -5, -6°C les installations sont efficaces mais là elles n’étaient pas prévues pour de telles températures, on ne pensait pas que cela allait descendre autant. Certaines ont même atteint leurs limites avec des asperseurs bloqués même s’ils sont censés être antigel. De plus, les températures humides ne montaient en positif que dans l’après-midi donc la glace ne fondait pas et il était impossible de démarrer les installations le soir suivant. Sans compter que les réserves d’eau étaient limitées pour certains exploitants. »

Deux nuits exceptionnelles

La nuit suivante a été la plus glaciale avec un record de températures très froides sur la durée, à 21 h la température humide atteignait déjà 0°C l’absence de vent a permis l’aspersion pour ceux dont les installations ne se sont pas bloquées avec la glace. À 3 h du matin -3 à -6°C étaient relevés selon les secteurs. À Ribiers, un thermomètre à alcool a même affiché -10,5°C et les températures humides ont dépassé les -8°C rendant les systèmes par aspersion inefficaces, seules les tours à vent additionnées de foyers, de bougies ou de chaudières ont permis de sauver quelques parcelles.

Dans la nuit du 6 au 7 avril la plupart des arboriculteurs n’ont pu démarrer leurs installations qu’à partir de 22 h compte tenu du vent. Il a perturbé tous les types de systèmes de lutte qu’il s’agisse des asperseurs ou des bougies. La température humide est descendu jusqu’à -3/-5°C selon les secteurs et elle est restée négative jusqu’à 13 h avec un vent constant et une glace qui a entrainé de la casse sur les installations.

Dans les deux départements alpins rares sont les cultures qui ont échappé au gel et des dégâts sont recensés sur quasiment tous les types de cultures. L’incertitude plane sur les rendements à venir dans tous les secteurs. Les prochaines semaines seront révélatrices de l’étendue réelle des dégâts même si les premiers stigmates commencent à apparaître.

La nature est souvent résiliente mais jusqu’à quel point ?

Continuer à travailler

Cet épisode n’empêche pas les agriculteurs de poursuivre leur travail et de devoir mener leurs cultures comme si rien ne s’était passé, pour ne pas amputer la prochaine saison et aider les cultures à passer cet événement au mieux. Aujourd’hui, tous sont aux petits soins de leurs productions qu’ils couvent d’un regard interrogatif parfois angoissé pour déceler le moindre signe négatif ou positif.

«Les dégâts sur les semences sont assez disparates selon les secteurs. Toutefois toutes ont été touchées et on peut par exemple voir que les colzas et les betteraves, notamment les mâles, ont été touchés mais nous ne savons pas encore jusqu’à quel point, détaille David Frison, producteur dignois et élu à la chambre d’agriculture. Il va falloir voir sur la durée comme cela évolue. » Même son de cloche pour Frédéric Esmiol qui cultive des pivoines en plein champs et des salades : « J’ai mis des bougies mais certaines pivoines sont tout de même touchées et risquent de ne pas fleurir mais je ne saurai cela que dans quelques semaines. Pour les salades, elles ont gelé plus à cause du mistral que du froid mais elles sont reparties. Je m’estime chanceux et les dégâts sont marginaux par rapport aux arboriculteurs par exemple. »

Si la question des rendements à venir se pose d’autres en découlent comme celle de la disponibilité de la ressource en eau dans les deux départements pour permettre aux agriculteurs de se protéger efficacement, ou encore les conséquences économiques qui vont impacter toute la filière sachant que d’autres pays producteurs notamment de pommes n’ont pas été touchés et risquent de prendre la place des producteurs français sur les marchés.

Une ressource en eau problématique

Cédric Massot, arboriculteurs à La Motte-du-Caire mais aussi responsable de la station sisteronaise de l’Écrin des Alpes a interpellé Violaine Démaret, préfète des Alpes-de-Haute-Provence sur ces problématiques lors de sa visite organisée avec les élus et la DDT . «Je pense que nous aurions pu limiter la casse en préservant mieux la ressource en eau notamment grâce aux retenues collinaires car nous craignons la récurrence de tels phénomènes, il faut donc se pencher sur ce problème », rappelait-il à la préfète.

Lors d’une saison normale la station traite 12 000 tonnes de pommes cet épisode va donc avoir nécessairement un impact important sur son fonctionnement comme sur celle d’Anne-Laure Clos-Queiras, la Sica Pom’Alpes à Manosque qui traite des volumes quasiment identiques. «Cette année nous avons réalisé de gros investissements dans de nouvelles machines qui sont calibrées pour un certain volume donc il y aura nécessairement des conséquences. Peut-être pas trop en début de saison mais plutôt à la fin, précise-t-elle. Cela va nécessairement faire augmenter nos coûts de production et nous craignons une altération de la qualité comme en 2017 avec une partie de pommes déclassées. » Cédric Massot, quant à lui, avoue qu’il fera tout pour conserver les emplois en CDI même s’il devra certainement faire appel au chômage partiel et réduira les emplois intérimaires : « Nous ferons tout pour maintenir le maximum de personnes en activité comme en 2017 où nous avions rendu notre personnel plus polyvalent. » La question des moyens de protection et de l’accès aux ressources en eau a été prégnante lors des visites de terrain organisées par les deux chambres d’agricultures.

Si Violaine Démaret s’est rendue à la Motte-du-Caire le vendredi 9 avril, Martine Clavel, préfète des Hautes-Alpes a réalisé tout un parcours au sein de plusieurs exploitations touchées le lundi 12 avril. Elle a ainsi pu constater les dégâts aussi bien à Remollon qu’à Orpierre.

Comme dans les Alpes-de-Haute-Provence, les arboriculteurs ont fait part de leur désarroi face au problème toujours plus pressant de la disponibilité de l’eau qui les empêche de lutter efficacement et durablement contre le gel et alors que ces événements météorologiques exceptionnels le deviennent de moins en moins.

Si l’État, la Région, les instances départementales ont affiché leur soutien aux agriculteurs touchés et fait part de leur intention de débloquer de nombreuses enveloppes financières, de nombreuses interrogations persistent : comment seront réparties ces enveloppes ? Quels seront les montants exacts alloués ? Quels seront les délais de déblocage des fonds ? Comment est-ce que ces aides seront distribuées pour rester dans la légalité face à la réglementation européenne ?

Les prochaines semaines s’annoncent donc cruciales et sous haute tension à plusieurs niveaux que ce soit pour évaluer avec précisions les impacts du gel sur les cultures mais aussi savoir comment les agriculteurs vont être aidés concrètement.
AG pour L’Espace Alpin

[(L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpinune_389_destimed-5.jpg)]

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