Protection de l’enfance. Adrien Taquet et Nicole Belloubet à Marseille

Publié le 9 juillet 2019 à  11h51 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h00

Le secrétaire d’État à la Protection de l’enfance et la Garde des sceaux étaient présents les 4 et 5 juillet derniers à Marseille, lors des Assises Nationales 2019 de la protection de l’enfance. L’occasion de quelques annonces, relatives à un projet pour l’enfant, élaboré conjointement entre les deux ministères.

Adrien Taquet aux Assises nationales de la protection de l'enfance et avec Nicole belloubet à l'Établissement pénitentiaire pour mineurs de La Valentine à Marseille (Photos Mireille Bianciotto et DR/.gouv)
Adrien Taquet aux Assises nationales de la protection de l’enfance et avec Nicole belloubet à l’Établissement pénitentiaire pour mineurs de La Valentine à Marseille (Photos Mireille Bianciotto et DR/.gouv)
Il a ouvert les 12° Assises Nationales de la protection de l’enfance, qui se sont tenues les 4 et 5 juillet derniers au Parc Chanot à Marseille. Pour Adrien Taquet, secrétaire d’État à la Protection de l’enfance, un moment propice aux grandes annonces… Et s’il a indiqué qu’il ne ferait pas de grande loi, puisqu’il y a déjà celle de 2016 «réformant la protection de l’enfance», laquelle «est allée suffisamment loin. Il ne servirait à rien d’en rajouter, même si des modifications peuvent être pertinentes sur tel ou tel point. La loi n’a pas vocation à entrer dans le détail des pratiques, pas plus qu’elle n’est d’ailleurs capable, à elle seule, de faire évoluer les mentalités. Faire évoluer la protection de l’enfance relève aujourd’hui d’un art de l’exécution. Un art du dernier kilomètre». Ainsi pour le secrétaire d’État, l’important est de définir comment faire vivre plus efficacement cette loi. Et cela renvoie «à nos pratiques, celles de tous les professionnels, magistrats, travailleurs sociaux…» Voilà pourquoi Adrien Taquet est venu avec, dans sa musette, toute une batterie d’outils, futurs dispositifs, chartes, commissions, attributions d’enveloppes… cet ensemble s’harmonisant sous l’égide d’un «projet pour l’enfant», en préparation avec Nicole Belloubet et dont le détail devrait être rendu public à la rentrée. Les grandes lignes, toutefois, sont déjà connues et ont été rappelées dans le cadre de ces Assises.

De la défaillance du système de la protection français de l’enfance

Préalablement, Adrien Taquet a donné quelques éléments de constats lors de son discours : tout d’abord, «notre système de protection de l’enfance prévient mal, et ne parvient pas suffisamment à éviter les placements», note-t-il. Pour aller au devant de cette problématique, une conférence de consensus, lancée il y a deux mois, sera chargée en décembre prochain de faire des recommandations «pour franchir un cap en termes d’intervention à domicile». Il a par ailleurs annoncé la mise en œuvre du «parcours 1 000 jours», débutant au quatrième mois de grossesse jusqu’aux deux ans de l’enfant et visant à mieux accompagner les parents. Il s’inspire de l’expérience finlandaise -puisque c’est là-bas que le secrétaire d’État est allé benchmarker- où les parents ont l’habitude de contacter leur «neuvola», sorte de PMI locale, pour aborder cette phase d’accompagnement. Cela nécessitera en France «une meilleure coordination des acteurs. De premières mesures ont été annoncées pour renforcer les PMI en vue de jouer ce nouveau rôle». Second constat «celui d’un système de protection de l’enfance qui fonctionne sans tenir suffisamment compte de la parole de l’enfant ». Et plus que jamais donc, il compte les associer à la réflexion… Une urgence, au vu des chiffres de la violence faite à ces derniers : «Un enfant qui meurt, tous les 5 jours, sous les coups d’un de ses parents, 20 000 plaintes pour agressions sexuelles, chaque année, donc c’est probablement multiplié par cinq ou dix en réalité, 4 millions de nos concitoyens qui ont été victimes d’inceste», égrène Adrien Taquet. Pour le secrétaire d’État, c’est indéniable : l’enfance n’est pas assez considérée dans notre société aujourd’hui, alors qu’elle «doit devenir un angle important de nos politique, de notre façon d’appréhender notre vivre ensemble».

L’enfant protégé, «un enfant comme les autres»

Bref, deux constats qui appellent à l’action. L’idée étant de permettre à l’enfant protégé d’avoir les mêmes droits que les autres. Parmi ces droits, la santé tout d’abord, et pour ce faire, Adrien Taquet a notamment évoqué sur le registre de la neuropsychiatre les près de 20 postes de chefs de clinique créés depuis 2 ans, la nomination d’un Délégué interministériel pour rebâtir une filière. Et, entre autres mesures, «une enveloppe totale de 100 M€ de crédits pérennes supplémentaires prévue en 2019 pour accompagner les établissements de psychiatrie, dont 80 M€ ont déjà été alloués». Autre droit fondamental à défendre «celui à la scolarité. Aujourd’hui, force est de constater, là aussi, que, d’une part, il y a un niveau scolaire, de par les ruptures de vie qu’ils connaissent, qui est clairement moins bon que celui du reste des enfants. Et que d’autre part, il y a des ruptures de scolarité, des déscolarisations qui peuvent durer plusieurs semaines, plusieurs mois, parfois une année. Donc nous devons mettre en place des dispositifs qui permettent de lisser, d’atténuer, de faire disparaître ces ruptures de scolarité ». Ce peut être soit par la mobilisation des dispositifs numériques qui existent déjà pour les enfants qui sont hospitalisés sur une longue durée, soit par l’intervention, ponctuelle, de professionnels, comme les enseignants à la retraite, «le temps que l’enfant se reconstruise et puisse retourner dans un établissement collectif».

Des réactions vives dans et hors Chanot

Par ailleurs, être un enfant comme les autres, c’est aussi se sentir en sécurité. Entre autres mesures, Adrien Taquet évoque le travail, toujours en lien avec le ministère de la Justice, sur la possible co-saisine de deux juges pour enfants, au lieu d’un seul. Une annonce qui fera réagir vivement l’auditoire… au motif que ce serait compliqué à mettre en œuvre. «Il va falloir que le projet pour l’enfant soit fait. On va déjà commencer par appliquer la loi. Le projet pour l’enfant doit être fait progressivement, il doit être l’incarnation de ce que tout et tous, on met en œuvre, et de l’énergie qu’on développe». Et il doit associer, mieux qu’aujourd’hui, l’Éducation nationale, les assistants et assistantes familiales… ainsi, il appelle tous les acteurs de l’enfance protégée à se mobiliser derrière ce projet. Autre proposition mal accueillie, la réalisation d’un album de vie à même de réunir souvenirs et photos de chaque enfant… Une tâche supplémentaire prenant du temps, pour les acteurs dans la salle. Le secrétaire d’État, quant à lui, y voit un trésor d’imaginaire pour les jeunes, avec le souvenir de bonheurs simples conservés dans leur mémoire… «C’est un repère pour eux, un fil d’Ariane, c’est important pour leur reconstruction. D’autant que comme il le cite à la fin de son discours, «l’enfance est le sol sur lequel nous marchons toute notre vie». Mais il n’y a pas que dans la salle que l’on réagit : devant les grilles du parc Chanot aussi, plusieurs organisations syndicales de travailleurs sociaux manifestent, portant notamment des revendications sur la question des moyens… donc des salaires. Ce qui fera dire à Adrien Taquet, interpellé un peu plus tard sur le sujet : «Moi je n’aime pas que l’on entre par le prisme des moyens, qu’il s’agisse de la question de la protection de l’enfance, de celle du handicap que je connais bien ou celle de la réforme des retraites. Quand on entre dans le débat par « la question financière »c’est la meilleure façon de ne pas se « poser les bonnes questions », de ne pas remettre en cause les pratiques ». Pour autant, il entend ne stigmatiser personne, puisque selon ses termes, «lorsqu’il y a échec sur les politiques publiques, il est forcément collectif». Il annonce toutefois, concernant ces travailleurs sociaux, que des négociations sur leur convention collective auront lieu à la rentrée. Pour autant la solution n’est pas seulement financière, appuie-t-il une fois encore : «Je pense que les gens ont besoin de sens, ils n’ont plus envie de se sentir seuls». Et la meilleure solution, c’est encore de mieux former et accompagner ces derniers.
son_copie_petit-370.jpgEntretien avec Adrien Taquet, secrétaire d’État à la Protection de l’enfance adrien_taquet_04_07_2019-2.mp3

De l’intérêt de la mesure éducative judiciaire

Dans la continuité de cette première journée, Adrien Taquet s’est rendu le 5 juillet, avec Nicole Belloubet, Garde des sceaux, à l’Établissement pour mineurs (EPM) de la Valentine. L’occasion de revenir sur d’autres textes de loi en préparation, notamment sur la réforme de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. La ministre précisera quelques éléments sur la mesure éducative judiciaire, qui doit l’intégrer. Elle s’imposait du fait d’une «absence de clarté parmi toutes les mesures qui pouvaient être prononcées». Désormais, toutes se fondront en une seule, «qui peut comprendre, à la main du juge, plusieurs options : un stage pour la santé, un placement ou une interdiction de paraître». La ministre revient par ailleurs sur un autre point sensible, le suivi des jeunes. «Car quant la peine de ces jeunes mineurs délinquants, suivis au pénal, est terminée, elle est terminée». Or celle-ci se préoccupe de la sortie de détention, ou plutôt de «la sortie de dispositif puisque pour les jeunes mineurs, nous en avons plusieurs, établissements pénitentiaires pour mineurs, centres éducatifs fermés… Et ce qui est difficile, c’est le retour à une socialisation normale». Voilà pourquoi elle prône une sortie un peu en amont, avec «un accompagnement progressif, une mesure éducative derrière, un contrôle judiciaire avec un certain nombre d’obligations», plutôt qu’une «sortie sèche», à la date établie de fin de peine, sans aucun suivi après coup. Et c’est justement ce que prévoit sa loi sur la justice de mars dernier : un accompagnement pour les jeunes des centres éducatifs fermés, avec une mesure «d’accueil de jour» une fois la sortie effective. Tout cela illustre la délicate «question de la modification des ruptures de parcours qui est au cœur de cette enfance à protéger, cette enfance en danger», évoque à son tour Adrien Taquet. Et cette problématique de prévention des ruptures, on la retrouve non seulement dans l’aide à l’enfance «classique», mais aussi dans la justice pénale des mineurs, avec des dispositifs déjà mis en place. Ainsi un centre comme celui de La Valentine est pour Nicole Belloubet «une parenthèse de grande qualité» en termes d’encadrement, de prise en charge et de possibilité de pointer la difficulté du «retour, à la vie normale, dans le quartier, de la retrouvaille des copains, des bandes». Ainsi en ont témoigné quatre jeunes de l’EPM marseillais, «leur incertitude sur le fait de recommencer ou pas était liée au fait de retrouver leur milieu habituel», analyse-t-elle. D’où l’importance de laisser les parents s’occuper de leurs enfants avec le concours d’éducateurs (c’est le cas pour la moitié des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance), une alternative à privilégier plutôt que le placement en foyers ou familles d’accueil. «La façon dont on protège des enfants c’est d’abord d’accompagner les parents», martèle encore Adrien Taquet.

Quid de la radicalisation des surveillants pénitentiaires ?

Enfin, lorsque ces jeunes doivent en passer par la case EPM, encore faut-il qu’ils soient encadrés par des agents fiables… Revenant sur la question des surveillants pénitentiaires radicalisés, puisque des difficultés ont été signalées sur ce registre à la Valentine et aux Baumettes, Nicole Belloubet entend calmer le jeu en «ramenant les faits à leur juste réalité». Ainsi, sur 41 000 agents, une douzaine serait radicalisée. Pour lutter contre ce phénomène, trois dispositifs ont été mis en place, dont le premier effectif depuis cette année. Il s’agit du «criblage des personnes qui réussissent le concours de surveillant pénitentiaire», dont le SNEAS (Service National des Enquêtes Administratives de sécurité) a la charge pour détecter une radicalisation en amont, avant l’embauche. Le second levier consiste en une procédure prévue dans sa loi sur la justice et permet de révoquer un agent dont «le comportement est contraire aux valeurs attendues. Évidemment, le prosélytisme lié à la radicalisation tombe là-dedans». Cet agent peut, dans ce cas, faire l’objet de sanctions allant jusqu’à son départ de la fonction publique. Toutefois pour cela, «il faut des preuves … et rassembler ces preuves n’est pas toujours très simple». Enfin, troisième point qui figure aussi dans la loi de réforme pour la justice de mars dernier, «le renseignement pénitentiaire est désormais habilité à suivre les personnels pénitentiaires et non pas seulement les détenus. Nous disposons ainsi de toute une batterie d’éléments qui permet de suivre les personnels œuvrant chez nous et de détecter les radicalisés ».
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Son Mireille BIANCIOTTO – Rédaction Carole PAYRAU

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