Quand Charlie Hebdo écrit une ‘Lettre au futur locataire de l’Élysée’

Publié le 7 avril 2022 à  9h11 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  19h28

Dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle, Riss, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, est venu à Marseille rencontrer ses lecteurs et leur présenter le numéro spécial du journal satirique intitulé «Lettre au futur locataire de l’Élysée». Pour cela, il a choisi le Centre culturel juif Edmond Fleg.

Riss, rédacteur en chef de Charlie Hebdo ©Hagay Sobol
Riss, rédacteur en chef de Charlie Hebdo ©Hagay Sobol

En répondant à l’invitation de sa Présidente, Évelyne Sitruk, et de Carine Benarous, sa déléguée générale, il a rappelé que dans le même élan destructeur, les djihadistes ont assassiné sciemment journalistes, dessinateurs, policier et membres de la communauté juive. Malgré la tragédie qui l’a marquée de manière indélébile, il continue inlassablement à témoigner et à militer pour la liberté d’expression, la démocratie et la laïcité.

Le personnel politique manque cruellement de créativité

Il débute la conférence par une réflexion critique sur son propre travail. Et pointe la difficulté d’identifier dans le feu de l’actualité et le flot incessant des événements ce qui est important, les faits qui marqueront les années à venir. Par symétrie, il jette un regard lucide et calme sur la classe politique et invite à être tous acteurs de la vie de notre pays. Ainsi, il constate que «les professionnels de la politique utilisent tout leur temps et leur énergie pour la conquête du pouvoir et une fois en place, quelle que soit leur orientation, ils appliqueront quasiment le même programme avec une vision à court terme». C’est donc, poursuit-il: «À chacun de nous de faire preuve de la créativité qui leur manque, c’est d’ailleurs ce que fait le monde associatif». Il ajoute que «si durant une campagne, le candidat est un chef de parti, il doit cesser de l’être, pour devenir le Président de tous les français, y compris ceux qui ne l’ont pas choisi, à la seconde où les résultats sont annoncés». Ce qui n’est pas toujours le cas. Mais pour autant, Riss reconnaît que certaines prises de décision politiques ont résisté au temps en marquant durablement leur empreinte, de Napoléon à nos jours, dans le domaine légal, l’éducation, les congés payés ou la dissuasion nucléaire.

L’impensable retour de la violence religieuse

Ensuite de nombreux sujets ont été abordés. En premier lieu, l’irruption de la violence religieuse, en particulier islamiste, dans notre quotidien et nos démocraties, un danger collectivement occulté. «On la croyait limitée au GIA en Algérie, puis le fait de loups solitaires s’en prenant exclusivement à la communauté juive comme à Toulouse, pour enfin nous frapper tous de plein fouet à Charlie ou au Bataclan, pour ne plus nous lâcher depuis», décrit-il. Il constate malheureusement que dans ce contexte les Français de culte musulman sont pris en étau entre des idéologues qui instrumentalisent la religion à des fins politiques et des candidats qui surfent sur une vague clientéliste communautariste complaisante avec les radicaux. «Face à cette intolérance, à ce totalitarisme, la laïcité offre un cadre», explique Riss. Tout d’abord, «pour protéger la liberté de culte». Ensuite, «pour faire cohabiter les religions ensemble, et surtout pour marquer les limites. Ce qui est permis de ce qui ne l’est pas». Comme une part du malaise actuel, il reconnaît un déficit de connaissance du contexte historique. Ainsi, lors d’interventions dans les écoles, certains élèves croient que la laïcité a été créée contre l’islam. Et pour diminuer les tensions, «il est indispensable de remettre les choses en perspective», indique-t-il.

Avec les Gafam, il n’y a plus de séparation des pouvoirs !

Riss avertit également, le futur locataire de l’Élysée, du danger des géants d’internet, les Gafam. «Ces entreprises internationales nous imposent leur règlement intérieur, et le droit anglo-saxon, en lieu et place du droit français», souligne-t-il avant de préciser: «Elles ont leurs propres règles régissant ce qui peut être publié ou pas, sans que les pouvoirs publics puissent intervenir». Riss rappelle encore que : «le plus souvent ce sont des algorithmes qui interviennent et censurent un contenu jugé inapproprié». Ainsi, en l’absence de tout contre-pouvoir, «il y a un risque réel pour nos démocraties avec à terme une limitation de la liberté d’expression».

L’écologie est devenue une urgence par manque d’anticipation politique

Le temps de l’exercice du pouvoir étant limité, ce qui est encore aggravé par la nécessité de renouveler son mandat, c’est le règne de l’immédiateté, du court terme. Cela explique que l’écologie n’a pas été prise en compte à sa juste mesure en temps réel : «Il a fallu être au pied du mur, l’urgence climatique, pour avoir une réelle conscience du danger». Pour Riss: «Cela dépasse une simple question de température, ou de problématique de pays lointains, cela va impacter nos démocraties, avec des métropoles qui seront submergées, des populations entières à reloger, des économies dévastées, etc.» Riss s’adresse alors aux différents candidats leur enjoignant de s’approprier cette réalité proche avant qu’une catastrophe n’advienne qui imposerait des mesures radicales.

Quand on a été victime d’un attentat, on est marqué à jamais

A la fin de la conférence, lors d’échanges avec le public, un participant a demandé à Riss de quelle manière il avait surmonté ce drame. Après un long silence, le visage immobile, le regard comme tourné vers le passé, il lâche sur le ton de la confidence : «Quand on a été victime d’un attentat, quand on entre dans cette salle… on n’en ressort pas, on est marqué à jamais». «Seuls, poursuit-il, ceux qui l’ont vécu peuvent se comprendre. Et je le vois bien dans les témoignages des rescapés du Bataclan ou d’ailleurs, c’est la même chose». Riss insiste: «Je ne souhaite à personne de faire partie de ce club»

Le public nombreux a témoigné par sa présence, non seulement un soutien à Riss ou à Charlie Hebdo, pour leur action courageuse, leur ayant coûté le prix du sang, mais c’était également l’engagement pour un combat de tous les jours. Celui contre le totalitarisme, quel que soit sa forme, et l’impérieuse nécessité de défendre des causes aussi essentielles que la liberté d’expression ou de penser l’avenir, afin de préserver le futur des nouvelles générations.
Hagay SOBOL

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