Question de la guerre et de la paix en Méditerranée aux Rencontres d’Averroès

Publié le 3 décembre 2013 à  19h33 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h03

(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)
Emmanuel Laurentin, le producteur de la Fabrique de l’Histoire, sur France Culture, anime la table ronde « Entre Europe et Méditerranée, paix impossible ou/et guerre improbable ». Il rappelle en avant-propos à quel point la situation a évolué en 20 ans, date des Rencontres. Rappelle que, voilà 20 ans, il était question d’espoir, des accords d’Oslo. Mais, depuis, le conflit israélo-palestinien n’est toujours pas résolu, le monde a eu à connaître les attentats du 11 septembre 2001, les guerres du golfe, d’Afghanistan, d’Irak, les conflits de Syrie et de Libye. « Comment va le monde ? Il est rouge sang », chante Bernard Lavilliers qui poursuit « et à mon avis il l’est pour longtemps ». Vrai, faux ? Dans tous le cas vouloir la paix impose de regarder la guerre en face. Et le débat a lieu, parfois tendu, montrant à quel point les tensions sont nombreux.
Les intervenants sont Gilbert Achcar, originaire du Liban, professeur à l’Ecole des études orientales et africaines de l’Université de Londres ; Hamit Bozarslan docteur en histoire et en sciences politiques ; Denis Charbit, maître de conférences en sciences politiques à l’université ouverte d’Israël, et Salam Kawakibi, politologue.

Europe et Méditerranée, le fossé se creuse, pour Hamit Bozarslan, cela date des années 1978/1979 : « Avant, il y avait certes des régimes autoritaires au Sud, des déséquilibres entre Nord et Sud, malgré cela Mai 1968 a eu lieu sur les deux rives. La rupture se fait avec l’assassinat, le 9 mai 1978, du responsable de la Démocratie Chrétienne Italienne, Aldo Moro, qui délégitime l’idée de violence politique. Avec cet événement, la gauche européenne va s’intégrer de plus en plus dans la société. En 1979, 3 faits sont à noter : la reconnaissance d’Israël par l’Égypte ; l’occupation de l’Afghanistan par l’URSS ; la révolution iranienne qui symbolise l’émergence de l’islamisme. Cette révolution va porter un coup terrible aux États-Unis, d’une part et, d’autre part, faire perdre toute leur pertinence aux frontières nées de la guerre froide. Trois guerres vont s’amplifier : du Liban, Iran/Irak et d’Afghanistan. La guerre devient permanente, on assiste à une transhumance militaire vers l’Afghanistan qui devient la référence pour le monde arabe et au-delà. Alors que les frontières deviennent des zones de violences ».

(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)

Gilbert Achcar estime que la rupture a eu lieu plus tôt, en 1967, avec la défaite de l’Égypte, la Syrie et la Jordanie face à Israël. Puis la mort de Nasser, en 1970, clôt une période historique. Troisième rupture : septembre noir, ce conflit qui débuta le 12 septembre 1970, Hussein de Jordanie déclenchant des opérations militaires contre l’OLP, dirigée par Yasser Arafat.
La violence des combats fit plusieurs milliers de morts de part et d’autre, en majorité des civils palestiniens. « On passe alors dans une période marquée par la régression sociale et le développement de l’influence de l’Arabie Saoudite. Les mouvements intégristes sont instrumentalisés par les pouvoirs comme un antidote à la gauche. On est là dans la poursuite de la politique menée par les États-Unis et l’Arabie Saoudite avec les Frères Musulmans pour déstabiliser Nasser ».
Arrivent les années 80 et, avec elles « Reagan, Thatcher. Nous sommes dans une période de démantèlement des conquêtes sociales et d’avancée de l’idée selon laquelle le privé doit être le moteur de l’économie. En 1977, autre date importante : l’arrivée du Likoud au pouvoir en Israël et, en 1982, la guerre du Liban. Dans les années 90, profitant des difficultés de l’URSS, les États-Unis établissent leur hégémonie sur la région. Puis c’est le mensonge sur les armes de destruction massive et l’intervention en Irak… ».

« Il est révolu le temps où les gens sortaient manifester pour le Viêt Nam »

(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)
Salam Kawakibi rappelle les souffrances du peuple syrien. Il évoque les « 7 millions de personnes qui ont dû quitter la Syrie et les 7 millions qui sont déplacés à l’intérieur du Pays. La 3e ville du Pays a été rayée à 80% de la carte, plusieurs villages n’existent plus. Des écoles, des lycées et des facs sont totalement détruits. Les épidémies se propagent. Et l’on parle de 150 000 morts et 200 000 blessés, tout cela dans le désintérêt de l’opinion internationale ». L’intervenant constate, amèrement : « Il est révolu le temps où les gens sortaient manifester pour le Viêt Nam ». Il dénonce les mythes qui entourent la Syrie : « Comme quand on parle de la laïcité dans ce pays, c’est un mythe puisque nous avons un clergé islamique inféodé au pouvoir tout comme l’est le clergé chrétien. La vie syndicale est exsangue. Les services publics deviennent la propriété de la famille au pouvoir. Et le pays vit dans un libéralisme anarchique depuis 2000. Dans le même temps la famille Assad a fait en sorte que n’existe plus d’espace public, il n’y avait plus de société civile, plus que 3 journaux qui recevaient leurs éditos de la Sécurité. Tout cela a changé, aujourd’hui il existe dans les maquis plus de 40 journaux et 600 organisations non gouvernementales ont vu le jour ».
(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)

Selon Denis Charbit -et cela entraînera une opposition unanime des autres participants- : « Le conflit israélo-palestinien est à la fois le plus long et en même temps le moins meurtrier, avec 125 000 morts entre 1920 et aujourd’hui ». Puis il en vient aux révolutions arabes : « La première réaction en Israël a été la surprise. C’est la première fois que les Israéliens s’intéressaient à la Tunisie et avec admiration qui plus est. En effet, il en était pour dire qu’ils faisaient ce qu’on n’était pas capable de faire en Israël. Le soutien était d’autant plus important que, dans la population, l’idée est grande que deux démocraties ne se font pas la guerre. En revanche, Netanyahou, dès le début, a joué la carte de la crise islamiste ».

« Le gouvernement égyptien vient de rompre les négociation avec le Fonds monétaire»

Gilbert Achcar reprend la parole : « 2011 est le début d’un nouveau cycle. Avant, on parlait de façon un peu péjorative de la rue arabe, aujourd’hui on voit bien qu’il n’y a pas une rue arabe mais bien des mouvements sociaux. Aujourd’hui nous sommes dans la première phase d’un mouvement long qui a commencé avec ce que l’on nomme, de façon erronée, le Printemps arabe. Un mouvement dont les racines sont sociales et économiques. D’ailleurs, dès 2000, on a connu une vague de luttes sociales jusque-là jamais connue en Égypte ; en Tunisie des soulèvements localisés ont eu lieu en 2008 ». Pour lui « la manne pétrolière ne peut pas tout régler dans des pays où les taux de croissance sont les plus bas et les taux de chômage les plus élevés. Et avec un FMI qui veut plus de privé, de démantèlement des aides sociales. A tel point que le gouvernement égyptien vient de rompre les négociations avec le Fonds monétaire ».
Denis Charbit de reprendre : « Si une révolution politique et sociale est à l’œuvre, elle ne peut faire l’économie de répondre aux attentes de la jeunesse. De plus, je ne pense pas que des révolutions soient réellement possibles tant que l’on continuera à faire d’Israël le bouc-émissaire de tous les maux du monde arabe ». Gilbert Achcar rétorque : « Le problème n’est pas d’accepter Israël mais qu’Israël accepte, se prête aux conditions minimales d’une coexistence pacifique ».

(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)

Hamit Bozarslan juge : « Le conflit israélo/palestinien est celui qui explique tous les autres sans être expliqué par tous les autres ».
Salam Kawakibi ajoute : « Tous les jours des Syriens meurent dans l’indifférence à cause d’armes conventionnelles. Mais l’Occident a menacé dès qu’il a été question d’armes chimiques. Non pas pour les Syriens mais parce que Israël pouvait être menacé et que, pour Obama, la ligne rouge est là ». La tension est bien présente. Denis Charbit réitère ses propos contre la colonisation : « J’y serais toujours opposé ». Il poursuit : « Et je crois toujours que la paix est possible entre Israéliens et Palestiniens. Des négociations ont lieu et je n’exclue pas que John Kerry arrive au terme de ce processus, indique aux deux camps : « on vous a laissés plusieurs mois, sans que vous parveniez à un accord et bien voilà la solution ». C’est peut-être une illusion mais la paix n’est pas impossible. Elle l’est d’autant moins que la société civile, dans sa majorité, en Israël comme en Palestine, agit pour la paix ».
Michel CAIRE

Articles similaires

Aller au contenu principal