Rencontre avec Frédéric Schulz-Richard, comédien explosif dans la pièce ‘Vedette(s)’ de Geoffrey Coppini

Publié le 23 novembre 2022 à  9h52 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  20h36

C’est une pièce éminemment politique que Geoffrey Coppini a présentée au Théâtre Vitez les 15 et 16 novembre après l’avoir créée à la Belle de Mai. Co-écrite avec Jérôme Nunes, portée au plateau par des acteurs concernés, et assez exceptionnels (dont beaucoup d’amateurs issus des cours de l’Université), «Vedette(s)» dénonce le caractère homophobe et totalitaire du pouvoir russe actuellement en place.

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Nous sommes en hiver au moment où le théâtre d’une ville de province s’apprête à recevoir une compagnie parisienne très en vue avec un spectacle «queer» haut en couleur : «Poutin ou le Prince travesti ». «Je ne suis pas un militant des mots», explique geoffrey Coppini qui précise: «Je viens de la danse, et je voulais ici célébrer une forme de résistance à l’homophobie, par le corps, en mêlant le rire et l’émotion.» Et à ce titre, il y est parfaitement parvenu, dans un mise en abyme où une pièce jouée par des comédiens se trouve enrichie d’une autre qui raconte comment se déroulent les répétitions.

«Vedette(s)» nourrie d’un culot monstre peut se résumer de la manière suivante : «Le théâtre, en mauvaise posture où ne restent plus qu’un technicien et une relation publique, a beaucoup misé sur « Poutin ou le prince travesti » ce spectacle très attendu. Alors que la neige s’invite au rendez-vous coinçant sur les routes le décor et les comédiens, seul l’acteur principal arrive à bon port. Il se retrouve seul pour assurer cette représentation avec le concours d’habitants de la commune recrutés à la dernière minute pour remplacer les acteurs au pied levé. Cette troupe improvisée a une journée pour apprendre sa partition. La tension monte, car les enjeux sont énormes. Alors que l’acteur principal se transforme en Miss Poutinka, sous le regard troublé du technicien, chacun endosse son rôle pour donner corps à des figures troubles. L’histoire de ce royaume despotique ne laissera personne indifférent.»

Une farce donc, un monde entre Genet et le Gorki des «Bas-fonds» une tragédie aussi, où le burlesque s’invite dans des scènes explosives, avec un final poignant, tout cela pour rappeler que la loi «contre la propagande homosexuelle» a été instaurée par Vladimir Poutine en 2013, et que les persécutions en Tchétchénie ont commencé en 2017.

Une pièce matérialiste

Pas de décor à proprement parler puisque dans la fiction celui-ci est bloqué sur les routes par la neige. Par conséquent comme le souligne Geoffrey Coppini: « La scénographie sera minimaliste et pensée en fonction du lieu « théâtre » et de ce que nous pouvons y trouver. » Sur scène un écran central pour diffuser de la vidéo une rampe de stockage de projecteurs à roulettes ainsi qu’un tour de montage font office de scénographie. Pas de décor mais une intensité extrême dans une pièce au final très dialectique. Et matérialiste au sens philosophique du terme, Geoffrey Coppini part en effet des corps pour monter à l’idée et non l’inverse.

Sur scène les comédiens excellent à mettre en place le projet. Et en premier lieu Frédéric Schulz-Richard impressionnant en Miss Poutinka, Poutin, et Gabriel. «J’ai écrit la pièce pour lui, et j’aime qu’il propose sans cesse en assumant l’archétype de ses personnages en y faisant passer une grande humanité», explique Geoffrey Coppini. De son côté l’acteur précise : «Il a une force formidable, que je trouve extrêmement rare dans ce métier : le calme et la douceur. Dit autrement, il arrive toujours à ses fins avec le sourire. C’est la même chose avec les amateurs, qu’il traite avec la même exigence que nous.» Et de poursuivre: «Bonheur et la joie du jeu, constant cette impression, dès que la pièce commence, d’être pris dans un tourbillon. De jouer gros. Car ce qu’il y a de beau dans la mise en abyme qu’offre ce projet, c’est la rencontre réelle avec les amateurs.» Ajoutons les scènes poignantes et culottées avec Samir El Karoui qui, impressionnant dans le rôle du technicien sans retenue et avec pudeur, signale qu’il y a beaucoup d’amour dans ce projet. Le duo qu’il forme avec Frédéric Schulz-Richard est d’une intensité folle. Au sens premier du terme, tant le metteur en scène ose montrer les corps et les faire se déplacer en incandescence. Ajoutons la présence et l’interprétation magnétiques d’Irina Solano, dans les rôles de la relation publique, de la reine Moskovskaya, et du ministre de la Défense, et vous aurez avec cette pièce certes un peu trop longue mais saluée le deuxième soir à Vitez par une standing-ovation, un aperçu de sa force visuelle et de son engagement citoyen.

L’Empereur Frédéric

Sans faire de mauvais jeu de mots voyons en Frédéric Schulz-Richard un Empereur du Théâtre. Né à Berlin en 1979, ayant grandi dans le sud de la France, il a intégré depuis 2011 l’équipe du Badaboum Théâtre de Marseille. Ville qui l’a vu travailler avec Hubert Colas, et présenter des spectacles à Montevidéo Marseille, lieu dédié aux écritures contemporaines. Présence magnétique sur scène en osmose avec ses partenaires, à l’écoute du metteur en scène avec qui il travaille, passant de l’univers de Martin Crimp à celui d’Andersen en toute aisance, voire le monde de Gombrowicz dans une production donnée à la Criée, et couronnée en 2017 du Prix de la meilleure compagnie dans le cadre du Festival Gombrowicz à Radom en Pologne, Frédéric Schulz-Richard est aussi à l’aise au théâtre qu’au cinéma. Pour preuve son interprétation dans le nouveau film de Cristi Puiu intitulé «Malmkrog» prix de la mise en scène Berlinale 2019. Parfaitement bilingue, Frédéric Schulz-Richard s’est distingué aussi dans la version théâtrale allemande de la pièce «Erich von Stroheim» de Christophe Pellet que l’on a pu voir au Gymnase de Marseille en avril 2017 .
Jean-Rémi Barland


Entretien avec Frédéric Schulz-Richard qui a Le théâtre dans la peau et offre une performance absolue dans ce «Vedette(s)» du Marseillais Geoffrey Coppini.

Le comédien Frédéric Schulz-Richard (Photo Amandine Gaymard)
Le comédien Frédéric Schulz-Richard (Photo Amandine Gaymard)

Que représente cette pièce pour vous ?
Pour moi, Vedette(s), c’est d’abord un propos : la dénonciation des discriminations, toute les sortes de discrimination, cette sorte de bêtise ou de paresse intellectuelle qu’il y a à enfermer les gens dans des cases. Dénonciation aussi des sévices infligés aux homosexuels en Tchétchénie. C’est, si l’on veut, l’aspect militant de la pièce. Mais c’est aussi le bonheur et la joie du jeu, cette impression, dès que la pièce commence, d’être pris dans un tourbillon. De jouer gros. Car ce qu’il y a de beau dans la mise en abyme qu’offre ce projet, c’est la rencontre réelle avec les amateurs, ce groupe de 5 qui change à chaque ville. Ils ont 3 jours pour intégrer la pièce, ce qui transforme le projet en vaste aventure humaine. On ne vient pas « seulement » pour jouer une pièce, mais aussi pour rencontrer et accueillir des gens sur le plateau, et ça c’est très fort, parce qu’il y a une vraie rencontre. Il y a du partage. Comme le disait Samir El Karoui l’autre jour lors du bord-plateau : «Il y a beaucoup d’amour dans ce projet.» Je pense que cela résume assez bien les choses, et que si l’on peut dire ça sans rougir, c’est parce que nous sommes sous le regard bienveillant de Geoffrey Coppini.

Comment s’est déroulé le travail avec Geoffrey Coppini ?
Nous nous sommes rencontrés en 2006, lorsque Geoffrey était assistant d’Hubert Colas sur la pièce «Sans faim», dans laquelle je jouais. Nous avons travaillé une première fois ensemble sur «Seule(s)», une pièce qu’il avait écrite et que nous avons présenté à Montevideo. «Vedette(s)» a marqué nos retrouvailles. Geoffrey dit qu’il a écrit, avec Jérôme Nunes, le rôle de Miss Putinka en pensant à moi et celui de la relation publique en pensant à Irina Solano. Cela donne un indice de son rapport et de son attention aux acteurs : il nous regarde, vraiment. Il a une force formidable, que je trouve extrêmement rare dans ce métier : le calme et la douceur. Dit autrement, il arrive toujours à ses fins avec le sourire. C’est la même chose avec les amateurs, qu’il traite avec la même exigence que nous.

Comment définiriez-vous votre personnage?
Mon personnage, c’est d’abord celui d’un acteur, et plus précisément d’un acteur de théâtre, qui vient pour jouer «Poutin ou le Prince travesti», et qui interprètera deux rôles : Miss Putinka et Poutin. Sauf que Miss Putinka prend très vite le dessus ! C’est d’abord une diva qui, comme toute diva qui se respecte, est dans l’excès, dans un délire performatif permanent, et c’est aussi une figure du metteur en scène, puisqu’elle se met à diriger tout le monde. Or, on ne peut pas dire qu’elle fasse dans la dentelle. Sa pièce a beau dénoncer les discriminations, elle n’en est pas moins abusive, tyrannique. Ça m’amuse beaucoup : il y a beaucoup de metteurs en scène qui, avec les meilleures intentions du monde et pour défendre les plus belles causes, se mettent à devenir de sombres petits tyrans. Cet écart entre les intentions affichées et la réalité, tout le monde le connaît plus ou moins, que ce soit en amour ou au travail. Si, ici, une rencontre finit tout de même par avoir lieu entre Miss Putinka et les amateurs de la pièce – enfin, je l’espère! -, c’est parce que derrière l’archétype de la diva qui est posé au départ, l’acteur que je suis vient peu à peu gratter la surface pour faire des clins d’œil aux amateurs qui nous accompagnent, ainsi qu’à Samir, et à Irina.
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND

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