Publié le 3 août 2020 à 14h28 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h52
Lorsque Mohand Sidi Saïd présente son ouvrage «Du Djurdura à Manhattan», paru aux Éditions Prolégomènes, qui retrace son parcours, ses engagements, on découvre une voix sereine, une parole posée. Et l’invitation au voyage est là, elle est celle d’un conteur. On se met alors à suivre le parcours de cet homme né dans une famille pauvre installée au pied de l’aride mont Djurdjura en Algérie. Il commence à travailler à l’âge de 7 ans, orphelin et «chef de famille à 9», il découvre, grâce à un cousin, pour la première fois l’école à 10 ans. Rien ne laissait présager une ascension sociale qui allait le conduire de son petit village de Kabylie jusqu’à Manhattan où il deviendra vice-président de Pfizer Inc. et du puissant syndicat pharmaceutique américain PhRMA. Un parcours d’autant plus rare qu’il se construit dans le respect de valeurs humanistes, de tolérance et un long combat pour l’accès universel à la santé. Il est l’auteur de «L’ Esprit et la Molécule», en 2011 et de «Au secours : notre santé est en péril» en 2016. Il explique la raison de cet ouvrage: «Nous avons un système de santé hérité du XIXe siècle qui ne s’est pas adapté aux avancées technologiques. Face à cette situation j’appelle à un Grenelle de la Santé et une redistribution des cartes avec la mise en place d’un système basé sur la prévention». Et de citer en exemple Israël: «La deuxième puissance technologique dans le monde. Ce pays a mis en place un système basé sur la prévention avec des unités spécifiques». Il rend également hommage à la réactivité du Maroc face à l’épidémie de la Covid-19 : «Il a réussi à gérer cette crise avec très peu de morts comme il réussit dans d’autres domaines». «Un jour, poursuit-il, devant des sénateurs, j’explique que la France est devenue un pays pauvre au regard de son système de santé. Un d’entre eux murmure: « il doit confondre avec son pays d’origine ». Non, je ne me trompais pas je parlais de ce pays avec ses millions de chômeurs et plus de 8 millions de personnes vivants sous le seuil de pauvreté».
«L’intelligence ce n’est pas de proposer des traitements au plus bas prix mais de permettre l’accès aux soins innovants pour tous»
Il déplore: «Nous avons des produits qui ne coûtent quasiment rien, je pense notamment aux antibiotiques. C’est une aberration car cela entraîne les fabricants à ne plus faire de recherche en France pour se délocaliser dans des pays moins tatillons et où la main d’oeuvre est moins chère. Dans le même temps, une étude de 2017 montre que 10% des Français renoncent aux soins pour des raisons financières, un phénomène qui ne cesse de s’accentuer. Et les derniers traitements innovants ne sont pas disponibles ou le sont en retard. Il faut une revalorisation du prix des molécules pour leur rendre leur attractivité sous certaines conditions, comme le retour des sites industriels en Europe. L’intelligence ce n’est pas de proposer des traitements au plus bas prix mais de permettre l’accès aux soins innovants pour tous». Face à une médecine à deux vitesses Mohand Sidi Saïd propose notamment une médecine à deux prix: «Ceux qui ont des moyens doivent payer encore plus» et de plaider également en faveur de la tenue d’une conférence internationale sur l’accès aux soins innovants. Mais Mohand Sidi Saïd entend aussi défendre l’industrie pharmaceutique: «On lui jette trop facilement la pierre. On oublie trop qu’elle est composée d’hommes et de femmes qui ont des sentiments, dont certains considèrent que leur entreprise a une responsabilité sociale. Ce sont aussi des commerçants, mais lorsque une découverte est faite elle représente une avancée. Et, d’ici 15 à 20 ans je suis persuadé que plus personne ne mourra à cause d’un cancer et cela grâce à l’industrie pharmaceutique». Il tient à souligner: «On ne peut oublier que les prix de la recherche sont élevés, la découverte d’une molécule coûte en moyenne un milliard. Après, nous sommes dans une logique d’offre et de demande. Il y a beaucoup de demandeurs et souvent une seule thérapie. C’est injuste mais ce n’est, encore une fois, pas sans solution». Et d’évoquer l’Europe: «Elle a été construite au nom de la paix et de la prospérité mais elle a créé un monstre qui s’appelle la Commission européenne. Et nous avons un système où l’autorisation de mise sur le marché est donnée pour 27 pays mais ces derniers peuvent, chacun, fixer leur propre prix». Et de regretter également que l’Europe ne soit pas capable de se mettre d’accord pour relocaliser des sites de productions.
«Le doute s’est insinué, ronge une partie de la jeunesse»
Parallèlement, il milite en faveur de l’accès à l’emploi. Il est ainsi à la BAC (Business Angels des Cités), un clin d’œil à la Brigade anti-criminalité: «Ce fonds a vu le jour à Mantes-la-Jolie, finance des projets nés dans les banlieues, de gens des banlieues et pour la population des banlieues». Plus largement il s’interroge sur notre société: «Je vois de plus en plus de jeunes faire des études, avec les sacrifices que cela peut imposer, et certains, à Bac+3, +4… s’interroger sur notre société, sur leur avenir. Le doute s’est insinué, ronge une partie de la jeunesse. Certains ne prennent même plus la peine de chercher un emploi, expliquent que cela ne sert à rien de remplir un CV. Évoquent le racisme. Expriment leur mal-être. Ici ils se sentent rejeter et indiquent ne rien connaître de leur pays d’origine». Il en vient à la crise de la Covid-19: «Elle a renforcé les doutes. La population ne croyait plus dans les politiques, elle croyait encore au médecin. Mais les problèmes d’ego auxquels nous avons pu assister au plus haut niveau de la hiérarchie ont créé un trouble. Il faut ajouter qu’en revanche, un travail exceptionnel a été accompli par l’ensemble des personnels soignants et souvent au péril de leur propre vie». Puis, Mohand Sidi Saïd d’affirmer : «Si je ne sais pas si un traitement verra le jour je suis persuadé que l’on va découvrir un vaccin». Il met notamment en exergue les travaux de Moderna Therapeutics, biotech américaine dirigée par le Français Stéphane Bancel ainsi que le vaccin du laboratoire britannique AstraZeneca en cours de développement.
Michel CAIRE
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