Rencontre avec le comédien-réalisateur-photographe Julien Allouf, spécialiste de doublage de films et d’enregistrements de livres-audio

Publié le 3 août 2019 à  10h25 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h06

Si l’expansion du livre audio n’a pas en France le rayonnement commercial qu’il connaît en Allemagne, notre pays semble vouloir sur ce point rattraper son retard. Bon nombre de maisons d’éditions tels que Gallimard, Audiolib, Thélème ou Lizzie, par exemple, ont su attirer vers elles de nombreux auditeurs en proposant des enregistrements intégraux d’œuvres contemporaines ou tirées du patrimoine.

Le comédien-réalisateur-photographe... Julien Allouf (Photo  Nathalie Mazéas)
Le comédien-réalisateur-photographe… Julien Allouf (Photo Nathalie Mazéas)

En les confiant à des acteurs célèbres de toutes les générations, Fanny Ardant, Michael Lonsdale, Denis Podalydès, Catherine Deneuve, Laurent Stocker, François Morel, Pierre-François Garel (un maître en la matière), et tant d’autres, les maisons d’éditions ont démocratisé en quelque sorte la lecture la rendant plus que vivante, et autorisant chacun à redécouvrir son roman, essai ou pièce de théâtre préférés. Parmi les comédiens sollicités fréquemment, Julien Allouf s’est taillé une solide réputation de lecteur et son travail remarquable s’étoffe tous les trimestres de nouveaux titres.

Un fou de théâtre et de cinéma

Né le 21 décembre 1984 à Fontenay-aux-Roses, Julien Allouf a suivi des cours au Conservatoire national de 2006 à 2009 et a beaucoup travaillé avec le dramaturge et metteur en scène italien Giorgio Corsetti notamment sur «La ronde du carré», la pièce de Dimitris Dimitriadis, montée en 2010 et présentée à L’Odéon-Théâtre de l’Europe. Puis, artiste associé à la Comédie de Reims, avec Ludovic Lagarde, il a enchaîné sur les planches, et au théâtre notamment avec trois créations de pièces de Georg Büchner, dans «Prose du Transsibérien» d’après Cendrars ou «L’avare» de Molière. Dans également «Figures de Musset» au Théâtre National Populaire sous la direction de Christophe Maltot, ainsi que dans «Le triomphe de l’amour» de Marivaux à la MC2, avec une mise en scène de Jacques Osinski. Mais, c’est très tôt que tout a commencé pour Julien Allouf qui a tourné dans «Les Enfants de John», un magazine éducatif français de 26 minutes pour la jeunesse diffusé du 14 décembre 1994 au 4 septembre 1996 sur La Cinquième. Un « Julie Lescaut » au compteur (en 1992), il s’est imposé avant tout comme une voix. Julien Allouf a doublé en effet de nombreux artistes anglo-saxons, il est par exemple la voix française de Robert Pattinson, pour le personnage de Cedric Diggory, dans la version française de «Harry Potter et la coupe de feu». On l’a entendu également faire un doublage dans Vendredi 13, Veronica Mars, le film, Super girl, Ghost wars, ou First man le premier homme sur la lune.

San Antonio et Bernanos au cœur

Ce n’est donc pas étonnant que Julien Allouf ait été repéré pour enregistrer des livres audio. Les éditions Thélème l’ont beaucoup sollicité lui confiant l’enregistrement d’œuvres signées Nietzche -«Il m’a fallu faire en amont un vrai travail de compréhension de « Par-delà bien et mal », avant que de l’enregistrer», confie-t-il- Jack London, Umberto Eco, Jim Harrison, Jerusalmy, Carver, Paul Auster, ou d’un écrivain populaire tel que Valentin Musso. Avec, toujours chez Thélème deux auteurs phares qui ont su toucher son cœur et son esprit, à savoir San-Antonio et Georges Bernanos. «J’ai beaucoup enregistré ces romans populaires de Frédéric Dard, raconte-t-il, j’aime cette langue incomparable, drôle, inventive, foisonnante, c’est un bonheur que de lui donner corps, car en fait je lis autant que j’interprète, insistant sur les ruptures de ton, de rythme.» Quant à Georges Bernanos s’étant attelé à l’enregistrement des deux chefs-d’œuvre que sont «Sous le soleil de Satan» et «Journal d’un curé de campagne» Julien Allouf en signale l’aspect régénérant de son style. «Trouver à quel moment les choses lient les unes aux autres, être précis dans la présentation des scènes, voilà deux des défis dans ces livres hors du temps, loin des modes, précise-t-il, et cela m’a donné envie de redécouvrir toute l’œuvre de Bernanos, romans et essais mélangés». Travaillant également pour la collection de «Écoutez-lire» des éditions Gallimard où il a enregistré en version intégrale des textes de Jollien, ou John Green, l’acteur se dit passionné par la découverte de l’Europe, des grandes terres américaines et de leurs littératures respectives.

Aventures européennes photographiques et filmiques

Et d’en avoir prolongé cette appétence par des projets photographiques et cinématographiques de grande ampleur. «J’ai traversé 28 capitales européennes, indique-t-il, avec l’idée de faire des photos dans ces villes.» Cela a donné «Europia» une exposition produite par «Les plateaux sauvages» et «L’état des choses» la compagnie que Julien Allouf anime avec sa compagne Myrtille Bordier (qui était à ses côtés dans « L’avare » où elle incarnait Élise), et réalisée sur une scénographie de James Brandily. Projet que leurs deux auteurs définissent ainsi : « Au cœur de toutes les crises que nous traversons : économiques, politiques, migratoires, religieuses, identitaires…, l’idée d’Europe, d’union, de valeurs européennes…, disparaît derrière son propre mythe et des institutions qui semblent toujours plus lointaines et abstraites. Dans cette crise de la représentation, l’ »Europe », dont les contours sont de plus en plus flous, semble se réaffirmer par la construction de murs et un repli sur soi où seule la peur de l’étranger permet de re-cimenter une union dont nous peinons à percevoir la vraie nature. C’est de ce constat qu’est né notre désir de partir, de voir, de nous laisser agir, traversés par le quotidien des capitales qui composent l’Europe des 28 (aujourd’hui 27), pour tenter de laisser surgir un paysage sensible de ce territoire dans lequel nous nous inscrivons. Laisser surgir. C’est bien de cela qu’il s’agit. D’ouvrir la possibilité d’un surgissement. Et pourquoi pas d’une utopie. Les images ramenées de ces voyages sont autant de traces, de miroirs du monde dans lequel nous évoluons, autant de supports pour prendre le temps de nous reposer la question de l’utopie que peut encore représenter, ou non, une telle union, si nous parvenons à la rêver à nouveau. Bribes d’Histoire, de mémoire, instants suspendus, à l’heure des élections européennes nous avons souhaité proposer cette installation comme un espace de rêverie et d’imaginaire autour de l’idée d’Europe, de cette figure féminine issue de la mythologie grecque, du berceau de la démocratie occidentale telle que nous la connaissons aujourd’hui.» On ne saurait mieux dire et on comprend mieux pourquoi Julien Allouf a créé «Un étrange voyage» spectacle conçu d’après un long poème d’amour en prose qui s’écrit dans l’Europe chaotique de l’après-guerre, menant son auteur Nâzim Hikmet jusqu’à Moscou et à Cuba en pleine crise de 1961, alors que les nouveaux partages politiques et utopiques redessinent sauvagement le monde. «Sur les ruines de l’Histoire, de l’Europe, des révolutions, des guerres, le poème s’inscrit encore en nous, pour tenter de dire l’errance d’un exilé aux prises avec son siècle, avec sa vie», souligne Julien Allouf qui le joue sur une scénographie de Marion Stoufflet et la magnifique participation musicale de Csaba Palotaï. Un spectacle qui sera repris à Paris à l’automne.

Au cœur des détectives sauvages de Roberto Bolaño

Infatigable Julien Allouf monte un documentaire sur l’infra-réalisme un mouvement poétique créé au Mexique dans les années 1970 par Roberto Bolaño. Il a participé au maquettage d’un livre qui va être paraître aux éditions Media pup de Mulhouse, et qui s’appellera «Mexico sur les traces des détectives sauvages». Là encore un voyage. « C’est une lecture qui m’a conduit à Mexico…, confie Julien Allouf je suis parti sur les traces des « Détectives sauvages » de Roberto Bolaño et, très vite, j’ai posé le livre pour me laisser entraîner par la pulsation de la ville…C’est une fascination pour le roman de Roberto Bolaño « Les détectives sauvages » dans ce qu’il offre d’appel au souffle, à la joie, à la liberté qui m’a poussé à partir sur ses traces. Une quête « sauvage » sur les traces du désordre originel qui a préludé à l’écriture de ce texte, ce qu’il reste de cette fiction au Mexique aujourd’hui. Je suis parti suivre la trajectoire du personnage principal Juan Garcia Madero dans la première partie du livre : Mexicains perdus à Mexico. Suivre l’errance de ce jeune poète qui arrête subitement ses études de droit pour s’abandonner aux rues du Distrito Federal, au présent, à l’aventure, à la découverte de ses désirs. Les premiers jours j’emboitais son pas, retrouvais les bars qu’il avait fréquentés, les trottoirs qu’il avait arpentés, les bancs sur lesquels il passait ses journées à lire, et progressivement, je me libérais de ce guide, oubliais Bolaño et me laissais glisser dans la vie qui s’offrait… Ce projet est à prendre comme la continuité d’une narration fragmentée, une quête, un désir effréné de plonger dans une lecture, qui m’a mené, par les détours de la fiction, à plonger dans l’immensité du Distrito Federal de Mexico.»

Au cœur des États-Unis de Henry Miller

Infatigable disait-on de Julien Allouf. Et curieux de tout qui est reparti sur un nouveau projet. Cet été il traverse, avec sa compagne Myrtille Bordier, les États-Unis de New York à Hollywood avec en tête le roman «Le cauchemar climatisé», de Henry Miller, qui fut publié pour la première fois en 1945, et qui est une sorte de mémoire à propos de son voyage d’un an aux États-Unis entre 1939 et 1940 après son retour de près d’une décennie à Paris. Là encore photos, spectacle, texte surgiront et on l’aura compris Julien Allouf n’est pas seulement un comédien talentueux, un impénitent fou de littérature ou de cinéma, mais un authentique créateur, écrivain bourlingueur, metteur en scène d’émotions, photographe et Humain, terriblement humain.
Jean-Rémi BARLAND

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