Rencontre avec le pianiste Dmitry Masleev au Musée Granet dans le cadre du Festival de La Roque-d’Anthéron.

Publié le 2 août 2022 à  19h20 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  19h03

Comme toutes les carrières, celle d’un pianiste international se fait à grands coups de travail, de persévérance, de détermination, de rencontres opportunes, de hasards et de nécessités, et de talent bien entendu. Celle du Russe Dmitry Masleev ne déroge pas à la règle. Les mots détermination et courage, conviennent d’ailleurs parfaitement pour le décrire.

Dmitry Masleev : toute l’humanité dans son piano (Photo Alexandra Horoshvyan)
Dmitry Masleev : toute l’humanité dans son piano (Photo Alexandra Horoshvyan)

Né le 4 mai 1988 à Oulan-Oude (Russie), ayant commencé à étudier la musique dès l’âge de sept ans dans la classe de musique de son lycée, Dmitry Masleev donna à dix ans, son premier récital. Il ne cessa de progresser jusqu’à devenir en 2011, lauréat du concours international de piano Chopin à Rome, où il reçoit le grand prix, doté d’un piano et une tournée de 12 concerts dans des villes italiennes.

En 2015 il participe au 5e Concours International Tchaïkovski de Moscou qu’il remportera non sans avoir vécu durant la compétition une cruelle épreuve familiale. En effet, sa maman mourut entre la demi-finale et la finale et le ciel sembla s’effondrer sur sa tête. « C’est aussi pour honorer sa mémoire que j’ai continué, confie-t-il, se souvenir d’elle ce fut ma force». Obtenant le premier prix en jouant en finale le Concerto n°1 de Tchaïkovski et le Concerto n°3 de Prokofiev, il enchaîne les expériences artistiques qui sont toutes aussi des aventures humaines. En 2016, il participe à un projet de la firme Melodiya et du chef d’orchestre Aleksandr Sladkovski, et enregistre tous les concertos instrumentaux de Dmitri Chostakovitch avec l’Orchestre symphonique d’État de la République du Tatarstan et les lauréats du concours international Tchaïkovski. Très à l’écoute d’autrui, homme de paix, sensible et généreux qui, à 34 ans va bientôt être papa, Dmitry Masleev est un pianiste possédant une technique sans failles qui ne s’étale jamais et qui demeure au service de la partition.

Un ami du nom de Kapoustine

Pour preuve ce concert donné au Musée Granet d’Aix-en-Provence dans le cadre du Festival de piano de La Roque d’Anthéron. Dmitry Masleev sut séduire le public, le fasciner et l’emporter avec au programme des compositions signées Tchaïkovski, Ravel, Khatchaturian, Liszt, et en rappel Rachmaninov (son compositeur préféré), et Kapoustine (1937-2020) avec son Étude n°1 qui revêt dans son programme une importance particulière. Ami proche du compositeur dont il découvrit la musique à l’âge de 18 ans, Dmitry Masleev se vit offrir quelques partitions de la main même de Kapoustine dont notamment le Concerto n° 2 qu’il enregistra ensuite. «Je suis très fier de l’honneur qu’il m’a fait et surtout très ému qu’il ait pu écouter mon interprétation avant de mourir», dévoile-t-il. N’aimant jouer que ce qu’il aime, rejetant les œuvres qui ne lui conviennent pas, et dont il pense que le résultat serait peu satisfaisant, n’aimant pas la musique où s’imposent des dissonances, et qui ne demande pas dit-il: «Un talent musical tout entier», il engage son esprit et son corps à chaque concert proposé au public.

Des saisons de Tchaïkovski à l’humanité bouleversante

Aussi a-t-on accueilli avec enthousiasme, joie et émotion son interprétation du cycle «Les saisons» de Tchaïkovski donné en début de concert au Musée Granet. On est d’emblée en empathie avec tout ce que l’humanité traverse. C’est la ronde de la vie, le printemps succédant à la mort de l’hiver, qui revient ici en torrents de notes.

Dmitry Masleev nous amène à l’émotion pure de ce qu’est l’existence, et au regard de ce que le monde traverse en ce moment, son jeu possède une manière de rassembler derrière lui tous les êtres de bonne volonté. Pas d’esbroufes, son piano raconte une histoire, le message de paix se trouvant de son aveu même dans la partition. Toute l’humanité dans son piano tandis que suivront une Sonatine de Ravel du même esprit, un Adagio de Spartacus de Khatchatourian bouleversant et la Rhapsodie espagnole de Liszt, morceaux qui chacun à leur tour feront tomber la foudre.

Rachmaninov et son « Élégie » à l’élégance poétique

En rappel outre, Kaspoutine, l’Élégie de Rachmaninov qui nous touche au cœur. «C’est mon compositeur préféré», se plaît à souligner Dmitry Masleev. «J’affectionne en particulier ses « Variations sur un thème de Paganini ». Cette œuvre est à mes yeux l’ADN total de Rachmaninov. Il possède avec cette partition le panache, la virtuosité, l’élégance, l’hypersensibilité, le romantisme. J’ai un tel plaisir à jouer ce musicien d’exception». Et quand on lui demande à quel moment éprouve-t-il la sensation d’avoir bien joué, il répond: «Sur scène, on est dans la concentration extrême, l’esprit est entièrement tourné vers la musique, on n’a pas la sensation de son corps tout le temps. On ne sait pas si on est bon ou pas. Cela pousse à l’humilité et au travail.» Humble donc ! Alors on va préciser à Dmitry Masleev qu’il a de fait joué divinement et que le public qui lui a fait une ovation à Granet, puis venu lui témoigner lors de la séance de dédicaces toute son admiration, ne s’y est pas trompé. Et il a bien eu raison.
Jean-Rémi BARLAND

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