Retour sur… Franck Riester aux Rencontres nationales de la librairie française à Marseille : « ll n’y a qu’en librairie que l’on trouve ce que l’on ne cherchait pas »

Publié le 26 août 2019 à  11h42 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h00

«Engagé et sous tension, le libraire en équilibre» est la ligne conductrice de l’édition 2019 des Rencontres nationales de la librairie française, organisée par le Syndicat de la librairie française (SLF). Une manifestation qui vient de se dérouler à Marseille et qui a permis d’échanger et de débattre autour des enjeux actuels du livre, des perspectives du métier de libraire et du prix unique du livre. Une manifestation à laquelle a participé Franck Riester, le ministre de la Culture qui indiquera toute l’importance qu’il accorde aux librairies, aux libraires: «Certes, sur internet, on trouve à coup sûr ce que l’on cherche. Mais il n’y a qu’en librairie que l’on trouve ce que l’on ne cherchait pas». Renaud Muselier, le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, soulignait pour sa part: «Véritable source de lumière contre l’obscurantisme, la littérature est un garant de nos libertés» avant de revenir sur le plan régional de développement du livre et de la lecture.

Premier circuit de vente de livres en France, la librairie indépendante résiste par la pertinence et la diversité de son offre, l’émergence d’une nouvelle génération de libraires, la relation humaine et par l’implication de la librairie dans la vie locale, économique et sociale d’une ville. Mais dans le même temps, de nombreux indicateurs issus d’études -qui ont été présentées lors des Rencontres- alertent et inquiètent : salaires et marges insuffisants, difficulté de la transmission, baisse du nombre de salariés en librairie, concurrence d’Amazon… Dans cet optique de revalorisation la librairie, le SLF lance une campagne de communication autour du prix unique du livre. «Acquis pour les professionnels du livre mais pas pour le grand public, il est nécessaire de rappeler que le livre a un prix unique partout et n’est pas moins cher sur Amazon qui brouille le message avec une proposition de livres d’occasion, d’autoédition, d’abonnements numériques…», dévoile le syndicat qui a commandé trois études importantes pour ces Rencontres : les animations en librairie ; les attentes et les perceptions des clients et non-clients à l’égard des librairies ; la situation économique des librairies. Lors de ces deux jours, une trentaine d’ateliers ont été organisés portant essentiellement sur les bonnes pratiques, les leviers de développement en librairie et les attentes de la profession à l’égard des diffuseurs et des distributeurs. Il est à noter que le Syndicat de la librairie française regroupe aujourd’hui plus de 600 librairies de toutes tailles, généralistes ou spécialisées dont la vente de livres au détail constitue l’activité principale. Il est le syndicat représentatif du secteur de la librairie.
Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la Librairie française (SLF) (Photo Mireille Bianciotto)
Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la Librairie française (SLF) (Photo Mireille Bianciotto)
son_copie_petit-378.jpgGuillaume Husson, délégué général du Syndicat de la Librairie française (SLF) revient sur les enjeux de ces Rencontres, dresse un état de santé de ce secteur économique, 38 ans après la mise en place du prix unique du livre, décidé par Jack Lang en 1981. Indique que, pour la librairie indépendante: «Ça va et ça ne va pas. On ne peut pas dire que ça ne va pas du tout, parce qu’elle résiste bien… on a autant de librairies indépendantes qu’il y a 20 ans, le chiffre d’affaires tient, malgré Amazon, malgré les grands espaces Culturels». Après ces points positifs, évoque ce qui ne va pas: «Le niveau de charges est très élevé, principalement les frais de personnel mais aussi les loyers, le transport». Rappelle qu’une librairie «tient sur son équipe, sur des compétences humaines, pour accueillir, pour lire des livres, pour faire des tables, des animations, accueillir des auteurs, des débats, cela nécessite plus de personnel que dans d’autres commerces, que dans la grande distribution». Sans oublier la marge moyenne d’une librairie qui n’est que de 1%. Parle d’une situation paradoxale: «La librairie résiste bien, la clientèle est toujours très présente, très fidèle, le souci c’est l’augmentation des charges». Il souligne d’autre part que le prix moyen d’un livre n’est «pas si élevé», autour de de 11 euros en moyenne. Il est moins cher que dans d’autres pays et son augmentation est moindre que le coût de la vie, depuis 20 ans. «Le livre a une dimension tellement sacrée que l’on voudrait presque qu’il soit gratuit, c’est presque un service public mais, il y a beaucoup de gens qui travaillent derrière et qu’il faut pouvoir rémunérer». Indique que ces rencontres permettent également de débattre sur le livre d’occasion parce que «aujourd’hui en France ce marché est majoritairement capté par des grandes plateformes, Amazon et Momox et les libraires réfléchissent pour savoir s’il est simple et pertinent de créer un rayon d’occasion.» Il conclut en rappelant les propositions de son syndicat en direction des éditeurs. Il souhaite notamment un partage des frais de transport des livres. «Il faut en effet savoir que la librairie aujourd’hui est le seul commerce qui paye l’intégralité des frais de transport des marchandises qu’elle commande contrairement aux Fnac, aux Centres culturels ou à Amazon». Enfin, ultime demande au Gouvernement, le maintien du Crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), c’est à dire les allègements de charges sociales, «indispensables au maintien de la rentabilité des librairies». Entretien guillaume_husson_delegue_general_du_slf_30_06_2019.mp3

«Nous pensons que nous avons un rôle qui peut être important dans la vie de la cité»

Eric Dumas, président de l'association «Libraires du Sud» (Photo Mireille Bianciotto)
Eric Dumas, président de l’association «Libraires du Sud» (Photo Mireille Bianciotto)
son_copie_petit-378.jpgLibraire à Tarascon et en Avignon Eric Dumas, président de l’association «Libraires du Sud» revient sur l’objet de l’Association qui existe depuis 20 ans. «Nous sommes souvent isolés dans nos librairies, nous avons donc besoin de travailler en réseau pour mutualiser des coûts mais aussi échanger, connaître les bonnes pratiques de nos confrères». Considère que ce réseau est un facteur de la bonne résistance des librairies indépendantes face au numérique et aux nouveaux modes de consommation. Décrit une Région disposant d’une grande majorité de petites librairies, faisant un chiffre d’affaires entre 300 et 600 000 euros par an. Même si une librairie importante vient de fermer ses portes à Aix-en-Provence, l’historique « Librairie de Provence », «depuis trois ans il y a plus de librairies qui ouvrent dans la Région que de librairies qui ferment». Attribue cette résistance au prix unique du livre et au fait qu’une librairie n’est pas seulement un lieu de vente mais aussi un espace «où on se donne rendez-vous pour discuter, aller voir une expo, rencontrer un auteur, jouer avec ses gamins, on est un « tiers lieu », un lieu à la fois culturel, de vente et de rencontres». Eric Dumas rappelle qu’«une librairie donne une petite âme, dans un quartier.» Cela mériterait, poursuit-il, «que nous soyons mieux associés aux politiques culturelles, consultés… Nous ne sommes pas toujours à demander de l’argent, des mesures mais nous pensons avoir un rôle qui peut être important dans la vie de la cité». eric_dumas_president_libraires_du_sud_30_06_2019.mp3

«Cette vie que vous insufflez, cette vitalité de votre réseau de librairies, je veux la défendre»

Le ministre de la Culture, Franck Riester (Photo Mireille Bianciotto)
Le ministre de la Culture, Franck Riester (Photo Mireille Bianciotto)
Le ministre de la Culture, Franck Riester, déclare que c’est pour lui «un grand plaisir» de participer à ces Rencontres. «Un plaisir, ajoute-t-il, parce qu’en m’adressant à vous, je ne peux m’empêcher de penser à celui que l’on éprouve en poussant les portes d’une librairie, votre lieu de travail, votre lieu de passion. Ce plaisir, Pierre Péju l’a admirablement bien décrit dans « La Petite Chartreuse »». Il dit «croire profondément en l’avenir de la librairie» parce que, selon lui : «Aucune technologie, aucun algorithme, ni aucune machine ne pourra le remplacer. Ils ne pourront pas remplacer la qualité de vos conseils. Ils ne pourront pas remplacer l’expérience d’un passage entre vos rayonnages. Ils ne pourront pas remplacer ce lien que vous nouez avec les lecteurs, curieux ou habitués». Et d’affirmer: «Cette vie que vous insufflez, cette vitalité de votre réseau de librairies, je veux la défendre. Alors oui, les défis sont là. Mais nos atouts aussi». Pour lui, être libraire, c’est un engagement quotidien avec des moments de bonheur et d’autres, difficiles: «Je sais que vous devez faire face à une concurrence vigoureuse, une concurrence qui ne partage pas toujours vos valeurs, qui ne joue pas toujours selon les mêmes règles ni sur le même terrain, et qui vous nuit néanmoins». Il note que l’étude sur la situation des librairies indépendantes confirme que leur rentabilité reste très mince «même si elle est en léger progrès, depuis la précédente édition». Il met en exergue que le nombre de nouveautés a progressé de 80% en 20 ans . «Alors que dans le même temps, le chiffre d’affaires du secteur n’augmentait que de 6% en euros constants. Dans la période récente, il a même eu tendance à baisser. Ce phénomène affecte toute la chaîne, des auteurs jusqu’à vous, libraires». Il invite à une réflexion concertée sur les difficultés de la profession et annonce: «Pour asseoir cette réflexion sur un constat objectif, le Ministère coordonne actuellement une large étude sur la filière du livre jeunesse». Étude qui a un double objectif : d’une part donner une vue précise de la construction et du partage de valeur entre les différents maillons de la chaîne et, d’autre part, permettre d’analyser les conséquences, pour chacun des acteurs, de ce phénomène de «surpublication». «Des représentants des libraires sont associés à l’élaboration et au suivi de cette étude, aux côtés des éditeurs et des auteurs». Le ministre de la Culture espère que «ce travail collectif portera ses fruits, bien au-delà du seul segment du livre jeunesse, et que ses enseignements inspireront le secteur du livre dans son ensemble. Ses conclusions pourront également venir étayer le travail que réalise actuellement, à ma demande, Bruno Racine (qui devrait rendre son rapport mi-novembre NDLR), autour de la place des artistes et créateurs dans notre société». Parle du soutien aux libraires à travers le Centre national du livre (CNL). Cite quelques chiffres: «En 2018, le CNL a mobilisé 3,7M€ au travers des aides à la mise en valeur des fonds et de la création éditoriale, des aides économiques pour la création, la reprise l’extension ou la modernisation des librairies, des conventions territoriales avec les régions et les Drac». Au total sur les cinq dernières années, le Ministère de la Culture au travers du Centre National du Livre, son opérateur, aura consacré près de 20M€ à la librairie française dont 18M€ d’aides directes versées à près de 2 000 librairies. «Nous sommes également présents à travers nos partenaires, notamment l’Association pour le développement de la librairie de création (Adelc) et, à travers l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC)», ajoute-t-il. Le ministre tient encore à rappeler : «Nous sommes à vos côtés, bien sûr, pour veiller au respect de la loi Lang sur le prix du livre ou à l’encadrement légal des conditions de vente à distance que pratiquent certains opérateurs. Je sais que les conditions dans lesquelles la vente en ligne de livres d’occasion se développe est un sujet de préoccupation pour tout le secteur». Raison pour laquelle, avance-t-il: «La question de la bonne distinction du neuf et de l’occasion sur l’internet est primordiale». Une charte de bonnes pratiques a été adoptée: «Ce travail a conduit à une nette amélioration de la manière dont les livres sont présentés aux lecteurs. Je reste cependant particulièrement vigilant sur cette question. Je souhaite le dire clairement : aucune dérive n’est acceptable en la matière. Si à l’avenir une mesure législative devait s’avérer nécessaire alors nous interviendrions». Il en profite également pour informer qu’un médiateur du livre sera prochainement nommé et qu’il reste attentif aux propositions de la profession en matière de frais de transport ou de rabais. Franck Riester ne manque pas enfin de souligner l’action entreprise par les collectivités territoriales en soutien aux libraires, à la culture. Il précise: «Depuis cette année, les collectivités qui ont fait ce choix d’exonérer de Contribution Économique Territoriale les librairies labellisées LIR peuvent également exonérer les autres librairies. Il leur suffit pour cela de voter une délibération avant le 1er octobre, pour une mise en œuvre dès 2020. Cette année est particulière : la possibilité d’exonération généralisée à toutes les librairies va, pour la première fois, être ouverte à toutes les collectivités».

La Région Sud a affecté 5,3M€ au livre en 2018

Renaud Muselier entouré d'éditeurs, de libraires et de représentants du SLF (Photo Mireille Bianciotto)
Renaud Muselier entouré d’éditeurs, de libraires et de représentants du SLF (Photo Mireille Bianciotto)
Renaud Muselier met en exergue l’action de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en faveur du livre , signale que 5,3 millions d’euros y ont été affectés en 2018, soit 10% du budget régional de la culture. Il précise que l’institution régionale accompagne plus de 160 maisons d’édition, 165 librairies indépendantes, 630 établissements de lecture publique, 20 résidences, 680 auteurs et 140 manifestations. Plus spécifiquement, la Région développe une politique volontariste en direction des librairies indépendantes. Elle s’articule autour de trois axes. En premier lieu un plan triennal d’aide aux librairies indépendantes, ce dispositif a été conçu en 2017 dans le cadre d’un accord conclut avec l’État, le Centre National du Livre (CNL) et l’Agence du livre Provence-Alpes-Côte d’Azur. Son objectif est d’accompagner les libraires indépendants dans leur politique de création, de développement et de diversification. Grâce à cette convention, renouvelée cette année jusqu’en 2021, 31 librairies indépendantes en ont bénéficié en 2018 pour un montant de 230 000 euros (dont 100 000 de la Région). La Région s’attache, deuxièmement, à soutenir annuellement l’association de coopération Libraires du sud qui regroupe une soixantaine de librairies indépendantes. L’aide, en 2019, est de près de 80 000 euros. «Enfin, grâce aux e-Pass jeunes, ce sont plus de 260 000 lycéens, apprentis, élèves ou étudiants du Sanitaire et du travail social, stagiaires de la formation professionnelles, âgés de 15 à 25 ans qui, potentiellement, poussent les portes d’une librairie indépendante pour y dépenser les 28 euros de leur portefeuille régional consacré à l’acquisition de livres».
son_copie_petit-378.jpgFranck Riester et Renaud Muselier apportent leur soutien au livre, aux libraires franck_riester_min_et_renaud_muselier_pres_region_sud_01_07_2019.mp3
Xavier Moni président du SLF (Photo Mireille Bianciotto)
Xavier Moni président du SLF (Photo Mireille Bianciotto)
son_copie_petit-378.jpgXavier Moni, président du Syndicat de la librairie française porte une revendication simple : un taux de remise minimum de 36 % de la part des distributeurs… Entretien xavier_moni_pres_slf_seul_01_07_2019.mp3
Rédaction Michel CAIRE – Son Mireille BIANCIOTTO

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