Saint-Jacques de Compostelle : l’erreur présumée d’un homme face à l’excellence affichée de la grande vitesse espagnole

Les représentants de l’Etat espagnol qui se sont déplacés sur les lieux du drame, où ont péri 78 personnes suite au déraillement d’un train mercredi soir à proximité de Saint-Jacques de Compostelle, ne cessent de mettre en avant « des indices rationnels » étayant la responsabilité du conducteur. Mais les collègues de ce dernier pointent en revanche les carences du système de signalisation.

« Il est détenu par la police parce qu’il ne fait aucun doute qu’il existe des indices rationnels pour croire qu’il peut avoir une responsabilité éventuelle dans ce qui s’est passé » : tels sont les mots énoncés ce samedi 27 juillet par le ministre de l’Intérieur espagnol, Jorge Fernández Díaz, à Saint-Jacques de Compostelle, depuis la zone zéro de l’accident ferroviaire qui s’est produit mercredi 24 juillet à 20h41 coûtant la vie à 78 personnes. Il était alors 11h30 passé de quelques minutes et le conducteur du train, Francisco José Garzón, âgé de 52 ans, était à ce moment-là, selon les dires du ministre, à l’hôpital. Mais quand, 45 minutes plus tard, Jorge Fernández Díaz est arrivé au commissariat de Saint-Jacques pour y donner une conférence de presse aux côtés du président de la Xunta, le gouvernement régional de la communauté autonome de Galice, Alberto Núñez Feijóo, et la ministre de l’Equipement, Ana Pastor, le conducteur s’y trouvait déjà. « Il est sorti de l’hôpital et est au commissariat. Il est accusé d’un délit présumé d’homicide par imprudence », a indiqué le ministre de l’Intérieur.
Jorge Fernández Díaz a expliqué que le conducteur, qui a repoussé l’aide psychologique qui lui a été proposée, refusait toujours de témoigner, ce qui est son droit – « même s’il pourrait changer d’avis », a-t-il confié – et que dans ce cas, passé les 72 heures maximales de détention, qui se terminent ce dimanche à 19h40, il serait mis à la disposition de la justice.
Francisco José Garzón a ainsi été transféré de l’hôpital au commissariat alors que la nuée de journalistes suivait Jorge Fernández Díaz et Ana Pastor sur les lieux de la tragédie. Il est sorti par une porte latérale des urgences de l’hôpital escorté par deux voitures de police, une patrouille et une autre camouflée, rapporte le quotidien « El País ».

La police n’écarte « aucune hypothèse »

Le conducteur est très nerveux et n’a pas voulu témoigner, mais les policiers ont eu des échanges informels avec lui. Selon des sources du ministère de l’Intérieur, ils n’ont pas réussi à éclaircir pourquoi il a été distrait et n’a pas freiné quand il le devait. La police ne croit pas que le motif de la distraction était qu’il parlait sur son téléphone portable. Un responsable de la police a indiqué ce samedi que le « complexe » procès-verbal sur lequel ils travaillent maintient « toutes » les pistes d’investigation ouvertes et « n’écarte aucune » hypothèse sur les causes de l’accident.
Interrogée pour si elle croyait que la responsabilité du drame pouvait être celle du seul conducteur, ou aussi de la Renfe (NDLR : la SNCF espagnole), la ministre de l’Equipement, Ana Pastor, a souligné, depuis le lieu du sinistre : « Depuis que nous sommes arrivés dans cet endroit horrible, nous avons mis à la disposition de l’enquête judiciaire tous les éléments que nous avions, toutes les ressources matérielles et humaines qui peuvent éclaircir la vérité, pour que nous sachions les causes de ce qui s’est passé et ensuite prendre toutes les décisions qu’il y aura à prendre. »
Alberto Núñez Feijóo a quant à lui insisté sur le fait qu’« enquêter est le contraire de se précipiter ». « L’investigation n’est pas une instruction politique, elle est libre. Rien ne compte plus que l’intérêt du président du gouvernement pour qu’elle aille à son terme. Nous sommes les premiers qui voulons savoir la vérité. Nous la devons à ceux qui sont morts, aux blessés et à tous », a-t-il analysé solennellement. Mais toutes les déclarations des différents responsables en de multiples occasions sont allées dans le même sens, « les indices rationnels » contre le conducteur, face à l’excellence de la grande vitesse espagnole. Les journalistes présents ont interpellé à de multiples reprises le ministre de l’Intérieur sur quels étaient ces indices, mais Jorge Fernández Díaz a simplement répondu : « Je ne vais rien dire de plus, il y a une enquête judiciaire ouverte ».

Il n’existe, sur le tronçon incriminé, aucun système d’alerte qui oblige à réduire la vitesse

Ana Pastor demandera lundi, après les funérailles des victimes dans la cathédrale de Saint-Jacques, à comparaître devant le Congrès avec les présidents de la Renfe et de l’Adif (Administrador de infraestructuras ferroviarias), l’administrateur public espagnol chargé de gérer le réseau ferroviaire national pour évoquer l’accident.
Le conducteur a cependant reçu des soutiens ce samedi, de la part de ses collègues de travail qui ont assuré que la section dans laquelle s’est produit l’accident requiert un « brusque » changement de vitesse, de 200 à 80 km/h, sans qu’il n’existe aucun système d’alerte ou qui y oblige. « De 200 à 80 ce sont 120 km de différence, je crois que c’est une rétrogradation très brusque pour que ce ne soit signalé d’aucune manière qui t’oblige à ralentir la vitesse », a expliqué à « El País » Manuel Mata, un conducteur réalise la même liaison que le convoi sinistré, Madrid-Ferrol.
Le train vient en circulant via un tronçon de 200 km/h avec le « moderne » système ERTMS (système européen de gestion du trafic ferroviaire), qui contrôle la circulation – conditions de la voie, du train, circulation et vitesse –, en étant capable de conduire et freiner automatiquement, et passe à un autre de 80 km/h contrôlé par ASFA (Annonce de signaux et frein automatique) , un système de voies conventionnelles qui possède seulement une signalisation, a-t-il expliqué. Si le signal est vert – voie libre – comme dans le cas du train accidenté, « il faut agir », poursuit Manuel Mata, car même si le convoi circule en excès de vitesse le système n’exécutera pas de parade d’urgence si on ne dépasse les 200 km/h, ce qui était le cas puisque le train circulait à 190 km/h.
Le président de l’Adif, Gonzalo Ferre, a pour sa part assuré que « quatre kilomètres avant le lieu où s’est produit l’accident (le conducteur) a déjà la notification qu’il doit commencer à réduire la vitesse, parce qu’à la sortie du tunnel, il doit aller à 80km/h ». Cependant, il n’existe aucun mécanisme qui oblige le conducteur à freiner, a précisé Manuel Mata, qui a comparu samedi après-midi avec des membres du syndicat des conducteurs (Semaf), Luis A. García Sixto, membre du comité exécutif, et José Naveira, responsable départemental.

Selon « El Pais », la coordination des opérations de secours aurait été déficiente

Pendant ce temps, l’identification des victimes s’est conclue samedi après que les médecins légistes soient parvenus à mettre un nom sur les trois dernières victimes, dont un Français. Les trois dernières n’augmentent pas le nombre de décès. Et si le bilan s’est monté à 80 morts avant de redescendre à 78, c’est en raison de la fragmentation de certains corps qui a pu amener dans un premier temps, à considérer les restes d’une personne comme ceux de plusieurs. La police a cependant certifié qu’elle a recueilli sur le lieu du sinistre d’autres restes et que, s’ils donnaient un ADN distinct, ils pourraient augmenter le chiffre final. Soixante-et-onze passagers du train sinistré demeurent hospitalisés, 31 dans un état critique et parmi eux, 3 enfants.
Les responsables de la maintenance de la Renfe qui ont reçu samedi Jorge Fernández Díaz, le directeur général de la police, Ignacio Cosidó et Ana Pastor sur le lieu de l’accident, ont expliqué que la voie a déjà été réparée et qu’il restait seulement à accrocher à nouveau la caténaire – ce qu’ils prévoyaient de faire de faire dans la nuit – pour que le trafic ferroviaire revienne à la normale. Pour cela, ils devaient retirer les grues, venues de León et des Asturies pour soulever les wagons. Reste enfin, cette ultime image que rapporte le quotidien « El País » : alors qu’Ana Pastor et Jorge Fernández Díaz observaient depuis ce que le ministre a considéré comme « la courbe la plus fameuse du monde », un autre train est passé, lentement, plein de passagers, devant une des machines de l’Alvia sinistré…
Le quotidien madrilène a également révélé ce dimanche matin sur son site Internet qu’il ressort des rapports officiels des urgences 112 de la Xunta, auxquels a eu accès le journal, que la coordination des opérations de secours après l’accident du train Alvia aurait été déficiente. Il se serait écoulé, selon « El País » plus de deux heures pour décréter l’alerte de niveau 2, requis pour un tel sinistre et une heure et 46 minutes pour qu’arrive le camion des communications depuis lequel on devait diriger le dispositif. Durant 100 minutes, l’homme à la tête des opérations les a dirigées à travers des téléphones portables. Les deux hélicoptères mobilisés ne sont parvenus à décoller et des difficultés ont été rencontrées pour disposer de groupes électrogènes afin d’illuminer la zone. La solidarité des voisins et l’acharnement de tous les professionnels dépêchés en urgence sur place ont permis de suppléer les défaillances du dispositif opérationnel, selon plusieurs témoins qui ont participé au sauvetage.

Andoni CARVALHO

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