Saint-Jacques de Compostelle : le témoignage du conducteur valide la thèse de « l’erreur humaine »

Comme les membres du gouvernement espagnol s’étaient empressés de l’affirmer afin de ne pas nuire aux intérêts économiques du pays, le témoignage de Francisco José Garzón a confirmé qu’une « erreur humaine » était à l’origine de la catastrophe dans laquelle ont péri 79 personnes. Le conducteur évoque « une confusion », indiquant avoir cru qu’il se trouvait dans un autre tronçon du parcours. Le juge chargé de l’affaire l’a laissé en liberté sous contrôle judiciaire.

Le conducteur du train qui déraillé mercredi 24 juillet à Saint-Jacques de Compostelle, Francisco José Garzón, âgé de 52 ans, a été remis en liberté sous contrôle judiciaire, ce dimanche 28 juillet, après avoir témoigné durant deux heures devant le juge qui instruit le dossier du plus grave accident ferroviaire des quatre dernière décennies en Espagne dans lequel ont péri 79 personnes. Il devra comparaître chaque semaine au tribunal et remettre sa licence durant six mois : il ne sera donc plus habilité à piloter des trains jusqu’à février 2014. Son passeport lui a également été retiré pour la même période.
Dans son récit, qui a commencé à 20h ce dimanche au palais de justice de Saint-Jacques de Compostelle, le conducteur a admis sa responsabilité dans l’accident. Il a reconnu qu’il était entré à 190 km/h dans la courbe d’Angrois, un tronçon limité à 80, en raison d’« une confusion », et que ce fut la cause du déraillement du train. Il a indiqué avoir pensé qu’il se trouvait dans un autre tronçon du parcours et c’est pour cela qu’il a freiné quand il était trop tard. Un témoignage dans lequel Francisco José Garzón a évité de se plaindre du tracé, des conditions de la voie ou de l’état du train, selon des sources judiciaires.
Entendant ses explications, le juge chargé de l’affaire, Antonio Roma, a évité de demander l’incarcération du conducteur et s’est contenté de ces mesures de précaution. Le Tribunal Supérieur de Justice de Galice a informé à minuit sonnante qu’il est accusé de « 79 délits d’homicides et d’une pluralité de délits de blessures, tous commis par imprudence professionnelle ». C’est l’hypothèse qu’avait privilégiée depuis le début la police qui, le lendemain de l’accident, a arrêté Francisco José Garzón dans la chambre 381 de l’hôpital clinique de Saint-Jacque, où il est hospitalisé comme une victime de plus, avec neuf points de suture et une blessure à la tête.
A son arrivée au palais de justice, sur les coups de 18h20, dans la limite d’un maximum de 72 heures de détention légale, les agents de police ont formé un cordon de sécurité pour tenir la presse éloignée, de l’autre côté de la rue. La voiture de police est entré par le garage afin d’éviter les caméras et les flashs des photographes et a conduit le détenu, menotté, portant des lunettes de soleil et avec un hématome visible sur la tête, de le juge.

La principale piste privilégiée depuis le début par la police

Le début de l’interrogatoire avait été retardé afin que les avocats puissent examiner le volumineux rapport de police établi avec les informations recueillies ces derniers jours. Jusqu’à huit heures du soir, il n’a pas commencé à témoigner, en présence de son avocat, du reste des parties présentes (notamment la Renfe qui pourrait être considérée responsable civil subsidiaire) et le représentant du ministère public. Auparavant, on a réalisé une formalité liée au mobile de l’accusation et un médecin de l’Institut de la Médecine Légale de Galice a certifié qu’il était en mesure de faire une déposition, afin de garantir la procédure.
Le témoignage du conducteur est un élément clé pour savoir ce qui s’est passé mercredi 24 juillet à 20h41 dans la courbe de A Grandeira, pour que déraillent les deux locomotives et les huit wagons, accident qui fait un bilan provisoire de 79 morts parmi les voyageurs et de nombreux blessés. Tout porte à croire qu’un excès de vitesse est à l’origine du drame, mais seul celui qui avait les commandes pouvait préciser s’il avait été favorisé ou aggravé par une quelconque faille mécanique ou de la sécurité ou s’il s’agissait d’une erreur fatale.
Les réponses du conducteur, la nuit dernière au palais de justice de Saint-Jacques, étayent la thèse de « l’erreur humaine », le principal argument privilégié par la police, la Renfe, l’Adif, l’administrateur public espagnol chargé de gérer le réseau ferroviaire national, et divers membres du gouvernement depuis les minutes qui ont suivi la catastrophe. Cet axe de recherche fut celui qu’ont privilégié les enquêteurs lorsqu’ils ont lu ses droits au conducteur vendredi dernier ou quand ils ont communiqué son arrestation. A midi et demi samedi quand Francisco José Garzón a reçu une décharge médicale, les policiers l’ont transféré au commissariat de Saint-Jacques de Compostelle où le ministre de l’Intérieur, Jorge Fernández Díaz, a donné une conférence de presse sur le dossier dans laquelle il a embrassé la même thèse.
Seul le juge d’instruction chargé de l’enquête n’avait fait, jusqu’à dimanche soir, aucun pas dans cette direction. Il s’était même hâté de préciser, via un communiqué du Tribunal Supérieur de Galice, que l’arrestation du conducteur n’était pas de son fait mais de celui de la police.

Qui devra payer les considérables indemnisations aux victimes ?

Quant aux présidents de la Renfe et de l’Adif, qui depuis quatre jours n’ont toujours comparu publiquement pour rendre compte de l’accident, ils ont embrassé dès le début la thèse de l’imprudence, d’après ce qu’ils ont répété dans des interviews sorties dans certains médias. Divers membres du gouvernement Rajoy, qui se sont rendus en visite privé en Galice, ont tenu ce même discours.
Toutes ces accusations plus ou moins voilées se sont appuyées sur l’appel que le conducteur, originaire Monforte de Lemos, a passé au service de 24h des incidents de la Renfe, quelques secondes après le choc alors qu’il ignorait encore s’il y avait des victimes. Dans cette conversation téléphonique, le conducteur a assuré qu’il était entré à 190 km/h dans cette courbe compliquée, alors qu’il restait 4 km avant de s’arrêter à la gare du centre de Saint-Jacques. Le contenu intégral de l’enregistrement, qui dès mercredi était déjà sur la table du juge, n’a pas filtré. A l’exception des lamentations et des désirs du conducteur après que le train se soit brisé en mille morceaux : « Nous sommes humains, nous sommes humains », « pauvres voyageurs » et « j’espère qu’il n’y a pas de morts parce qu’ils seront sur ma conscience ».
Depuis le moment de l’accident, la thèse de l’erreur humaine a ainsi fait son chemin dans les bureaux gouvernementaux, sans même attendre de connaître le contenu de la boîte noire, une espèce de boîte qui enregistre les ultimes mouvements de la machine. Durant tout le week-end, elle est restée sous surveillance policière dans l’attente que le juge puisse accéder à son contenu avec l’appui d’un expert en informatique.
Les questions simples comme de savoir s’il suffit de l’erreur d’une seule personne pour générer une catastrophe comme celle d’Angrois ou s’il y a eu une quelconque faille dans le système de sécurité ont été interprété par la Xunta, le gouvernement régional de la communauté autonome de Galice, et le gouvernement ibérique comme un débat visant à discréditer le réseau à grande vitesse espagnol, un des principaux paris du pays pour internationaliser son économie avec des contrats en vue au Brésil, en Russie, aux Etats-Unis, au Kazakhstan et aux Emirats Arabes Unis.
Ce ne sont pas les seuls intérêts à trancher dans ce dossier. Avec la sentence finale du procès, la justice tranchera qui doit faire face au paiement de considérables indemnisations aux victimes. C’est la raison qui a conduit la Renfe à se présenter comme partie prenante du procès, avec pour enjeu, la responsabilité subsidiaire de la catastrophe.

Andoni CARVALHO

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