Saint-Jacques de Compostelle : un conducteur de train âgé de 52 ans…

L’Espagne peut pousser un ouf de soulagement : elle pourra continuer sa conquête de la planète en exportant à loisir son réseau à grande vitesse qu’elle aime à présenter comme l’un des plus sûrs et des plus performants du monde. La péninsule, qui pleure encore ses morts suite à l’accident dramatique survenu à Saint-Jacques de Compostelle mercredi 24 juillet, ne verra pas son ciel s’obscurcir davantage par une nouvelle catastrophe, économique cette fois, qui aurait touché de plein fouet un pays détenant déjà le record d’Europe du chômage. La cause semble bel et bien entendue : Francisco José Garzón serait donc l’unique responsable du déraillement du train Alvia comme les autorités espagnoles n’avaient cessé de le prétendre avant même que le juge ait eu l’occasion de mener à terme ses investigations.
Il ne s’agit d’ailleurs pas ici de juger de l’échelle des responsabilités à l’origine de ce terrible accident, un travail qui revient à la justice espagnole dont nous espérons qu’elle pourra désormais travailler en toute sérénité et indépendance, ni de jeter l’opprobre sur une des industries les plus performantes d’une économie ravagée par la crise, mais de relever un élément qui n’a pas manqué de nous interpeller et qui a dû faire « tilt » chez nombre de cheminots.
Si la presse a abondamment diffusé la photo du conducteur espagnol, la tête ensanglantée avec son téléphone portable à la main, rares sont en revanche, à notre connaissance, les journaux qui ont relevé son âge : 52 ans ! Or, il convient de rappeler que dans l’Hexagone, c’est à 50 ans (à partir de 15 ans de conduite) que les conducteurs de train peuvent prétendre au départ à la retraite. Toutefois, la dernière réforme des régimes spéciaux diligentée par le Premier ministre d’alors François Fillon à l’automne 2007, alors que le président Nicolas Sarkozy avait à peine digéré le champagne du Fouquet’s, si elle n’a pas touché à l’âge du départ, a remis en cause les mesures relatives aux bonifications de durée de services qui étaient accordées en fonction des métiers. Il en est ainsi du trimestre par année d’affiliation, au-delà de la troisième, qui était accordé aux conducteurs de train, dans la limite de vingt trimestres. Si bien que dans les faits nombre d’entre eux sont aujourd’hui contraints de rester aux manettes à un âge plus avancé afin de pouvoir bénéficier d’une pension correcte.

Que la gauche soit fidèle à sa volonté de remettre « l’humain au cœur de l’économie »

Il y a quelques années, nous avions eu l’occasion d’interviewer un conducteur de train qui nous décrivait notamment la tension nerveuse liée à son métier où la moindre erreur peut être fatale, le traumatisme qu’engendrent les « accidents de personne », ces suicides sur les voies dont les conducteurs sont les premiers témoins, ou ce rythme de travail à horaires décalés qui engendrent une fatigue récurrente dont, nous disait-il, on récupère de plus en plus difficilement l’âge avançant. L’accident de Saint-Jacques est venu nous remettre ces phrases en mémoire comme un boomerang. A 190 km/h, il ne faut qu’une minute et seize secondes pour parcourir 4 km, un temps qui a été trop court pour que Francisco José Garzón s’aperçoive qu’il ne circulait pas dans le tronçon où il croyait être…
Alors aujourd’hui, à l’heure où une nouvelle réforme des retraites doit être discutée, preuve s’il en était besoin que les précédentes n’ont rien réglé, nous attendons de la gauche qu’elle soit fidèle à sa volonté de remettre « l’humain au cœur de l’économie ». On souhaite ne jamais être appelé à voir dans l’Hexagone des policiers courant après des délinquants à l’âge de 65 ans, surtout au vu de la violence qui gangrène notre société comme en témoigne la dernière terrible agression de la plage des Catalans à Marseille, ou des pompiers perdre la vie à plus de 60 ans en luttant contre les incendies pour n’avoir pas pu dormir durant plusieurs nuits à un âge où les capacités physiques ne sont plus les mêmes. Lorsque les larmes couleront à proximité des cercueils de ces victimes qu’on ne manquera pas de dénombrer, il sera trop tard !
Bien entendu, permettre à des actifs de partir en retraite à un âge où, pas encore rongés par la maladie, ils ne manqueront de nourrir l’industrie du tourisme, a un coût pour les caisses de retraites. Et cela, pas même le plus virulent des syndicalistes ne l’a jamais nié. Mais permettre à des personnes de goûter à une retraite méritée après une dure vie de labeur, à l’heure où le stress et le mal-être au travail sont des réalités dans nombre d’entreprises, est à nos yeux une priorité. D’autant que bien des cas, cela offrirait ainsi à des jeunes la possibilité d’entrer dans la vie active à l’heure où le chômage est le cancer de notre société, même si les emplois d’hier ne sont pas forcément ceux de demain.
Alors pour toutes ces raisons, nous exigeons que l’accident de Saint-Jacques de Compostelle soit versé au dossier des futures négociations des retraites.

Serge PAYRAU

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