Semaine économique de la Méditerranée : voyage dans les univers complexes du tourisme

Publié le 5 novembre 2014 à  23h30 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h24

La 8e édition de la Semaine Économique de la Méditerranée a débuté ce 5 novembre et va se poursuivre jusqu’au 8. Cette nouvelle édition a pour enjeu de favoriser les rencontres entre entrepreneurs, institutionnels et représentants de la société civile, en leur permettant quatre jours durant d’échanger et de débattre sur le développement touristique et ses enjeux économiques dans les pays de la Méditerranée et de l’Orient. Une première réunion, en plénière, a permis de mettre en avant les réalités, les potentialités, les dangers mais aussi les nouvelles formes de marketing du tourisme. Une activité dont on a pu percevoir toute la complexité.

(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)

«Nous refusons le racisme, la xénophobie»

Michel Vauzelle, président de la région Provence-Alpes côte d'azur (Photo Philippe Maillé)
Michel Vauzelle, président de la région Provence-Alpes côte d’azur (Photo Philippe Maillé)

C’est Michel Vauzelle, le Président de la Région Provence-Alpes Côte d’Azur, qui ouvre la semaine en rappelant que dans cette Méditerranée «des gens, au péril de leur vie, tentent de traverser la mer pour fuir la guerre, la misère. Et, malgré tous les efforts de l’Italie, de l’Espagne, on est loin de les accueillir comme il faudrait». «Nous refusons, poursuit-il,le racisme, la xénophobie, ces tentations pour les peuples en période de crise, d’agression par la mondialisation». Soulignant: «La situation de la SNCM nous scandalise, la Région fera son possible pour éviter ce drame humain, pour le maintien de la continuité territoriale». Insistant sur le fait qu’il y a des réponses à apporter face à la montée du terrorisme «que je n’ose qualifié d’islamiste tant il est éloigné du message de paix, de fraternité de l’Islam». Il revient sur un thème qui lui est cher : «Nous sommes dans une communauté de destin en Méditerranée». Dans ce contexte, indique-t-il: «Le tourisme est un angle pour aborder nos problèmes communs. C’est un enjeu économique important mais le tourisme ne se réduit pas à cela, c’est aussi le moyen qui permet aux peuples de découvrir d’autres cultures, de se rencontrer. Et on a vu le rôle que le tourisme a pu jouer dans l’accession de l’Espagne de Franco à la démocratie».
Pierre Massis, délégué général de l’Office de Coopération Économique de la Méditerranée et de l’Orient (Ocemo) de préciser: «Nous allons, lors de cette édition, se faire rencontrer le monde complexe du tourisme et celui, qui l’est tout autant, de la Méditerranée». Estimant: «Dans la mondialisation chaque segment de vie humaine, chaque peuple a sa partition à jouer».
C’est alors à l’universitaire Alain Cabras qu’il revient d’animer le premier débat, de mettre en scène toute sa complexité.
Le premier à prendre la parole est Julien Le Tellier, du Plan Bleu. L’objectif de ce dernier est de contribuer à sensibiliser les acteurs concernés et les décideurs méditerranéens aux problématiques liées à l’environnement et au développement durable de la région en leur fournissant des scénarios pour l’avenir de manière à éclairer la prise de décision. A cet égard et au titre de sa double fonction d’observatoire de l’environnement et du développement durable et de centre d’analyse systémique et prospective, le Plan Bleu a pour mission de fournir aux Parties contractantes des évaluations de l’état de l’environnement et du développement en Méditerranée et un socle solide de données, statistiques, indicateurs et évaluations concernant l’environnement et le développement durable leur permettant d’étayer leurs actions et leur processus décisionnel.
C’est ce que s’applique à faire Julien Le Tellier en matière de tourisme. Il présente le contexte : «La Méditerranée accueille 1/3 des séjours touristiques. On est passé de 60 millions de touristes internationaux dans les années 60 à un peu moins de 300 millions aujourd’hui, soit une augmentation de 400% en quatre décennies».

«Mettre en place une meilleure articulation entre destination côtière et valorisation de l’arrière-pays »

Le plan Bleu a essayé de dessiner les futurs possibles : «On attend une augmentation de 2,5 % sur les 20 ans à venir, avec des pays émergents tels que la Turquie ou encore les Balkans dans lesquels la croissance sera plus forte. Avec des pics saisonniers au mois d’août. C’est un secteur créateur de richesse et d’emplois». Mais, tout n’est pas pour autant rose pour le Plan Bleu : «On assiste dans des pays une monoculture du tourisme balnéaire de masse, à une compétition des destinations, une inégale répartition des revenus, des impacts environnementaux…». Et afin que le positif l’emporte sur le négatif : «Il faut une stratégie ancrée dans les territoires, favoriser le tourisme socialement responsable, mettre en place une meilleure articulation entre destination côtière et valorisation de l’arrière-pays».

Michel Julian, de l'Organisation Mondiale du Tourisme (Photo Philippe Maillé)
Michel Julian, de l’Organisation Mondiale du Tourisme (Photo Philippe Maillé)

Michel Julian, de l’Organisation Mondiale du Tourisme, poursuit : «Le tourisme n’a cessé de se développer lors des 60 dernières années et cela va continuer. C’est une activité qui résiste aux conflits, aux épidémies, aux tensions. Nos études montrent que le monde devrait accueillir 1,8 milliards de touristes en 2030 dont 500 millions en Méditerranée». Mais, prévient-il : «Nous assisterons à une concurrence accrue entre les destinations et il faudra s’adapter au profil des consommateurs, sachant, par exemple, que la Chine, avec 129 milliards de dollars, est aujourd’hui le premier pays au titre des dépenses touristiques au monde».

«Une destination se construit à partir d’une élite qui attire la masse»

Pierre Torrente, Université Toulouse Jean Jaurès (Photo Philippe Maillé)
Pierre Torrente, Université Toulouse Jean Jaurès (Photo Philippe Maillé)

Pierre Torrente, Université Toulouse Jean Jaurès en revient aux fondements du tourisme en Méditerranée afin de mieux interroger le présent et ouvrir, lui aussi, des pistes. «Quatre fondements sont essentiels pour qu’un déplacement devienne tourisme. Il faut le temps libre, les moyens financiers, la liberté de se déplacer et, la liberté pour les populations locales d’accueillir», indique-t-il. Rappelant: «On voit, avec l’actualité tragique, ce qu’il peut en être de la liberté de circuler» Ajoute : «Déjà pour implanter une activité touristique il faut que les conditions de survie dans des conditions descentes soient assurées aux populations locales, sinon on va vers la mendicité, la délinquance, voire la prostitution». Il analyse: «Une destination se construit à partir d’une élite qui attire la masse. L’élite a alors tendance à changer de saison ou de destination. Nous sommes là, devant un scénario qui se reproduit. Or, nous essayons maintenant de réfléchir sous l’angle de la durabilité, c’est à dire d’un tourisme solidaire, équitable qui permettrait que l’élite et la masse cohabitent».
Mohamed Berriane, de l'Université de Fes (Maroc) (Photo Philippe Maillé)
Mohamed Berriane, de l’Université de Fes (Maroc) (Photo Philippe Maillé)

Mohamed Berriane, de l’Université de Fes (Maroc) va dans le même sens. «Les territoires, destinations, ne sont pas au même niveau et il existe même un décalage au sein d’un même pays, d’une même région. On assiste à une opposition entre l’arrière-pays et l’avant-pays. On constate également que le tourisme contribue au développement, à l’économie, aux créations d’infrastructures mais a aussi, effectivement, des effets plus délicats. Cependant un changement de comportement se fait jour chez les touristes, avec une volonté de faire des randonnées, de rencontrer l’Autre, de quitter les zones côtières, de découvrir l’arrière-pays. Dans le même temps, des associations se mobilisent au niveau local mettent en valeur les petits métiers.»
Tanguy Robet, de la société Wannago, raconte que pendant des années «une chaîne vertueuse existait, reliant les professionnels du tourisme, les offices et les touristes. Et chacun avait envie que les choses se passent au mieux. L’arrivée des réseaux sociaux a perturbé ce cercle. Plutôt que de faire appel à des professionnels, on a sollicité son réseau d’amis et cela s’est amplifié avec l’arrivée du mobile. Le problème c’est qu’un réseau social n’est pas là pour promouvoir tout un territoire. Et on constate la quantité de contenu croître au détriment de la qualité. On attache plus d’importance à une opinion qu’aux caractéristiques du produit que l’on va acheter. De plus, certaines informations sont erronées ou périmées. Il faut donc insuffler de la qualité dans le réseau, avoir des informations ultra-locales et quasiment en direct».

«La puissance d’un territoire se mesure aujourd’hui à sa capacité à innover et à créer des liens durables avec ses clientèles et les talents de son territoire»

Joël Gayet, sciences po Aix (Photo Philippe Maillé)
Joël Gayet, sciences po Aix (Photo Philippe Maillé)

Joël Gayet, sciences po Aix aborde la question du marketing : «Aujourd’hui, les territoires qui gagnent mettent en avant de nouvelles approches et pratiques du marketing. Le tourisme disparaît en tant qu’organisation dans le marketing touristique. Amsterdam, Glasgow… ont des agences globales d’attractivité et plus d’offices de tourisme. Et même les frontières administratives disparaissent. Le grand Lyon a une démarche dans laquelle entrent des communes distantes de 60km et qui donc, ne sont pas dans la métropole». Et, dans ce monde globalisé, souligne-t-il: «L’identité est source d’authenticité, elle est créatrice de valeurs». Explique que l’on passe de marques de destination à des marques d’attractivité. «Aux États-Unis, a vu le jour la marque Pure Michigan qui est partagé avec le privé. On assiste aussi à la naissance de marques partagées, c’est ce que vient de faire l’Alsace et cela permet à n’importe quel privé de porter la marque. Avec de tels systèmes, une ville comme Amsterdam voit 65% de son budget financé par le privé, et cela s’élève à 80% à Berlin. Et pourquoi les entreprises financent ? Parce que cela développe leur valeur».
Autre évolution avancée : «Le marketing traditionnel était tourné vers les clients. Ce n’est plus le cas, on part aujourd’hui de l’endogène. Si 3 000 entreprises du territoire font la promotion du territoire, on a une puissance phénoménale et on est dans le durable ». Et de donner comme exemple Lyon qui a un écosystème d’excellence qui s’est construit autour de la Fête des Lumières. Il cite également le travail accompli par la commune de Roquefort ou encore l’Irlande, en faisant des habitants, des clients… des ambassadeurs. Il conclut son intervention en rappelant que «la puissance d’un territoire se mesure aujourd’hui à sa capacité à innover et à créer des liens durables avec ses clientèles et les talents de son territoire. Et le marketing, dans cela, c’est créer du mouvement».

«Il faut développer des produits originaux et uniques»

C’est alors au tour de Claude Bouliou, Cité européenne de la culture et du tourisme durable, de prendre la parole, de se faire l’écho de l’action conduite dans la région de Kasserine (Tunisie) : «Nous avons entrepris, en 2012, un diagnostic de territoire qui a permis de mesurer les attentes d’une population touchée à 45% par le chômage. Dans cet État centralisé nous avons réussi à ce que les divers ministères concernés se parlent, puis le dispositif a permis qu’ils travaillent avec les élus locaux et que la population participe aux décisions».

Samiha Khelifa, Université de Sousse (Tunisie) (Photo Philippe Maillé)
Samiha Khelifa, Université de Sousse (Tunisie) (Photo Philippe Maillé)

Samiha Khelifa, Université de Sousse (Tunisie) estime: « Il faut développer des produits originaux et uniques. Il faut donner une valeur artistique à du matériel mais aussi à du patrimoine immatériel. Et on peut créer des circuits, on peut ainsi proposer des circuits romains, entre l’Italie et la Tunisie».
Wafaa Sobhy (General Authority for Investment, Égypte) et Élisabeth Viola, Caisse des Dépôts, interviennent enfin en tant qu’investisseurs publics.
Wafaa Sobhy met en avant les qualités de son pays, la possibilité qu’il offre d’accueillir des touristes tout au long de l’année et la volonté du gouvernement de relancer le tourisme. Élisabeth Viola indique: «Nous sommes au service de l’intérêt général et nous investissons sur le long terme. Dans nos axes de développement nous nous sommes intéressés au tourisme qui représente 11% du PIB en Paca et qui propose des emplois non délocalisables. Et nous avons fait le choix du tourisme social et solidaire car il est durable, familial, associatif et ancré dans les territoires car on ne peut pas avoir de croissance touristique sans se préoccuper des populations locales».
Michel CAIRE

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