« Semiramide » : un joyau rossinien à l’Opéra de Marseille

Publié le 22 octobre 2015 à  15h41 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h42

Aux saluts : de g. à dr. Patrick Bolleire, Mirco Palazzi, Varduhi Abrahamyan, Jessica Pratt et Giuliano Carella (Photo Christian Dresse)
Aux saluts : de g. à dr. Patrick Bolleire, Mirco Palazzi, Varduhi Abrahamyan, Jessica Pratt et Giuliano Carella (Photo Christian Dresse)

Lorsque l’on évoque «Semiramide», les mélomanes provençaux ne peuvent s’empêcher de citer en référence la production festivalière aixoise de juillet 1980 qui vit Montserrat Caballé et Marylin Horne faire vaciller de bonheur la scène du théâtre de l’Archevêché. 35 ans et trois mois plus tard, l’événement s’est déplacé de quelques dizaines de kilomètres puisque c’est à l’Opéra de Marseille que l’on vit, actuellement, l’événement rossinien. Et ici aussi par la présence de deux voix féminines exceptionnelles, celles de Jessica Pratt, «la» Pratt comme on la nomme en Italie, qui prend le rôle-titre sur les rives du Lacydon et Varduhi Abrahamyan, qui confirme qu’elle est «la» mezzo rossinienne par excellence du moment. Mais il serait totalement injuste et réducteur de ramener le succès de cette version concertante de l’opéra seria XXL (plus de trois heures quarante de musique !) de Rossini dans la seule escarcelle des deux dames ; place, donc, à la revue de détail de ce joyau musical et lyrique offert aux aficionados du bel canto par Maurice Xiberras, le directeur de l’Opéra qui a composé une affiche de rêve pour cette « Semiramide ».

Une fois n’est pas coutume, nous débuterons notre propos en saluant la performance du chœur de l’Opéra. Nonobstant le fait que ses membres ont passé quatre heures en fond de plateau, sagement assis entre leurs prestations, c’est la qualité de l’ensemble qu’il convient de mettre ici en avant. Nous avons entendu un chœur «rajeuni», chatoyant, précis et élégant, avec de la finesse à tous les pupitres et de la puissance lorsqu’elle était nécessaire. Une participation qui témoigne de l’excellence du travail préparatoire effectué par Emmanuel Trenque qui a succédé, il y a quelques mois, à Pierre Iodice, comme chef de chœur.
Devant le chœur, l’orchestre; à la hauteur du challenge proposé par la partition de Rossini. Partition étudiée à la loupe par le maestro Carella qui en livre une lecture nuancée, lumineuse, colorée et triomphante, bénéficiant de l’attention et du talent d’instrumentistes visiblement très motivés. Notamment les vents, et en particulier les bois, souvent placés en avant par le compositeur. Il crée des ambiances toujours justes et l’on se prend à découvrir que Verdi est certainement venu chercher là quelque inspiration, notamment à l’ouverture de la scène de la folie d’Assur où les violoncelles rappellent ceux qui préludent à l’air «Elle ne m’aime pas…» de Don Carlo. De la très belle ouvrage… Puis il y a le «bel canto» et ce cast d’une grande homogénéité. Prise de rôle, donc, pour Jessica Pratt ; avec succès. La soprano est d’une grande solidité et trace son chemin avec aisance tout au long d’une partie où les pièges succèdent aux pièges. Tout juste pourrait-on lui reprocher une légère confidentialité vocale lorsque ça descend très bas.
Mais sa musicalité est remarquable et elle trouve la plénitude de son chant avec aisance dans le registre haut exploitant sa qualité de projection, sa précision et sa justesse hors du commun dans les vocalises. Pas un brin de vibrato intempestif, une ligne idéale et du sentiment, de la couleur. Un grand moment qu’elle partage avec Varduhi Abrahamyan. La mezzo, nous l’avons dit plus haut, est actuellement au sommet de la pyramide des interprètes rossiniennes dans cette tessiture.
Que dire, sinon de louer, sa puissance, le velours de la voix, la charpente de son chant, sa précision, son endurance et sa virtuosité.
Jennifer Michel, conviée à la fête dans le (petit) rôle d’Azema, dont elle s’est très bien acquittée, en a profité pour prendre avec bonheur une « leçon de chant » auprès des deux divas… Du côté des hommes, Mirco Palazzi est un Assur idéal. Belle voix de basse qui se joue aussi des parties plus aigues, il possède une ligne de chant intéressante et une puissance indéniable. Faisant preuve d’une grande musicalité, il fait passer, lui aussi, beaucoup de sentiments par son chant. Sa scène de la folie est remarquable. De la musicalité, le ténor David Alegret, qui incarne Idreno, n’en manque pas. C’est le timbre de sa voix qui ne nous a pas séduits, voix de tête, de nez, même… On eut aimé une présence vocale plus franche. Patrick Bolleire, lui, s’est taillé un succès sur mesure dans le fantôme de Nino et le grand prêtre Orœ. Basse puissante, profonde, sans faille, il donne à la scène du spectre une noirceur profonde et une tension terrible que n’aurait pas reniées Mozart pour sa scène du commandeur. Rossini, qui était un fan de Mozart, s’est certainement inspiré de Don Giovanni pour cette scène spectrale, implacable où la musique tourbillonne de façon lancinante jusqu’à punition finale. Ici la punition interviendra plus tard. Le ténor Samy Camps, lui, se sort parfaitement du petit rôle de Mitrane, profitant, tout comme Jennifer Michel, de ce moment musical et lyrique de très haut niveau pour parfaire son art.

Il ne vous reste plus que deux rendez-vous pour aller découvrir, ou redécouvrir, ce joyau rossinien ; et, franchement, vous auriez tort de laisser passer cette chance d’entendre une distribution que les plus grandes scènes au monde, à commencer par celle de Pesaro, la ville de Rossini, auraient aimé s’offrir.
Michel EGEA

Pratique – « Semiramide » de Rossini à l’Opéra de Marseille. Autres représentations, les 24 et 27 octobre à 20 heures. Location : 04 91 55 11 10 et 04 91 55 20 43. opera.marseille.fr

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