Ses photographies sont exposées au MuCEM – Raymond Depardon : « le regard est un don »

Publié le 28 octobre 2014 à  20h28 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h23

Il devait y avoir une grande exposition Odessa au MuCEM. L’actualité en Ukraine en a décidé autrement. Alors, jusqu’au 2 mars 2015, c’est « Un moment si doux » de Raymond Depardon qui est proposé aux visiteurs. Une exposition accrochée en 2013 dans l’aile Sud-Est du Grand Palais à Paris et consacrée à la couleur dans l’œuvre du photographe. 137 photographies sont exposées dont 40 spécialement réalisées pour l’exposition au MuCEM parmi lesquelles 23 prises à Marseille. Des instantanés de vie comme il les aime, des images qui sont comme le premier regard, souvent tendre, posé par le photographe sur la ville. Rencontre.

Raymond Depardon, le photographe photographié devant le MuCEM ; « Le visuel de l’exposition est une 403 photographiée à Harar. Je suis souvent venu à Marseille en 403 pour partir en Afrique. J’ai trouvé que c’était une photographie intéressante pour faire le lien avec cette exposition (Photo Robert Poulain)
Raymond Depardon, le photographe photographié devant le MuCEM ; « Le visuel de l’exposition est une 403 photographiée à Harar. Je suis souvent venu à Marseille en 403 pour partir en Afrique. J’ai trouvé que c’était une photographie intéressante pour faire le lien avec cette exposition (Photo Robert Poulain)

Raymond Depardon, 72 printemps, le Leica à la main ; en permanence. Le Leica, c’est la Roll’s des photographes. Pour Depardon, c’est un outil de travail. Tout comme le Rollefleix «historique» avec lequel il se balade incognito, dans les rues de Marseille, pour fixer sur la pellicule ces scènes de vie qu’il affectionne particulièrement. Pour ceux qui ne savent pas qui est Raymond Depardon, la notule le concernant sur Wikipédia signale : Raymond Depardon est un photographe, réalisateur, journaliste et scénariste français, considéré comme l’un des maîtres du film documentaire. Créateur de l’agence Gamma, il est membre de Magnum Photos depuis 1979. Tout est dit. Ou presque; il est aussi un peu globe trotter. C’est le métier qui veut ça.

Raymond Depardon aime Marseille. «Pour moi, c’est une porte d’entrée.
C’est la première ville qui m’accueillait lorsque je revenais d’Afrique en Land Rover
, se souvient-il la première ville civilisée. Celle où j’allais pouvoir m’arrêter et me poser à la terrasse d’un café pour boire un coup». Aujourd’hui son discours sur Marseille est parfois teinté d’angélisme; qu’importe. Il faut le prendre comme il est servi de la part d’un artiste. «Marseille est une ville très photogénique qui questionne beaucoup le présent. Une ville où les différentes cultures vivent ensemble. Ici, il y a deux atouts : le soleil et les rencontres que l’on peut y faire… Pour réaliser ces photos, j’ai passé quatre ou cinq jours entre le MuCEM, mon hôtel et la Corniche. J’ai voulu poser comme un premier regard sur la ville, ou plutôt le centre ville et le port. J’ai pensé que ça pouvait aller avec les autres photos prises ailleurs. Pour moi, Marseille est déjà une ville africaine et ça va très bien avec ce qui fut mon terrain de jeu…». Parlons un peu de la couleur dans son œuvre, Raymond Depardon sourit et ouvre la boîte aux souvenirs. «Pour moi, c’est la douceur des portraits de ma mère, c’est mon enfance, le tracteur Massey Fergusson rouge de l’exploitation agricole familiale. Des couleurs incontournables, douces, tendres, pas agressives. Mais mon quotidien de reporter c’était le noir et blanc, dense, dur. Et comme autour de moi les gens disaient que la couleur m’allait bien, je me suis dit que je ne pouvais pas être reporter de guerre toute ma vie. Et cette exposition s’est imposée».
«Techniquement, poursuit-il, je suis resté à l’argentique, le numérique est trop précis. J’utilise des films modernes dans de vieux appareils. Je surexpose et je joue avec le scanner pour équilibrer les couleurs. J’aime beaucoup le tirage, c’est très important pour moi de le réaliser». Quant on lui fait remarquer que l’exposition est majoritairement composée de photographies au format carré, il explique : «Beaucoup de mes amis photographes n’utilisent qu’un seul format. Moi, je viens du cinéma et au cinéma la première question posée est celle du cadre. C’est vrai aussi que je travaille très souvent avec le Rolleiflex qui impose le format carré. Mais j’aime bien. Car le carré n’induit pas le rapport dominant / dominé. Le format 24×36 (rectangulaire ndlr) est plus proche de la peinture. Il faut que la photographie soit très bien composée. Pour moi c’est un format élitiste. Mais carré ou rectangulaire, le regard reste un don…». Ce regard l’a accompagné un peu partout dans le monde sur les terrains des conflits armés. Métier : reporter de guerre ; il en parle : «J’ai eu une chance dans ma vie, c’est que j’étais trouillard ! Et je pense que c’était un travail important ; les photos témoignaient. Aujourd’hui, ce sont souvent des gens des pays concernés qui prennent des photos. L’évolution des technologies fait que c’est possible. Et c’est très intéressant car ces témoignages transmis par ceux qui vivent les conflits sont débarrassés de l’ethnocentrisme occidental. Mais, les risques sont toujours les mêmes. J’ai de l’admiration pour ceux qui les prennent afin d’être témoins de l’Histoire». Son moteur, c’est ce besoin irrépressible d’être le témoin de la vie d’aujourd’hui et d’en laisser des traces. «Il n’y a rien de pire, lorsque l’on fait des recherches, de manquer de matériel écrit ou visuel. La photo doit être un témoin. Et lorsque j’ai parcouru les routes de France de chefs-lieux en sous-préfectures pendant quatre ans dans mon camping-car, j’ai été le témoin. Témoin d’une réalité improbable, celle d’hommes et de femmes qui, détachés du centralisme, vivent et se donnent les moyens de vivre, de communautés très colorées, de jeunes qui revenaient vivre à la campagne. Cette France méritait d’être repositionnée du côté réaliste des choses, d’être mise à l’honneur. Et je sais que les candidats Sarkozy et Hollande ont eu mon livre entre les mains… Après…(sourires). En fait, que ce soit avec des documentaires ou des photographies, nous sommes un peu des historiens». Et lorsqu’on lui fait remarquer qu’il entre avec son œuvre dans un musée, il sourit encore et, jovial, nous dit : « C’est bien, mais ça ne me prend pas la tête. Ce qui est bien, c’est de pouvoir amener quelque chose aux gens qui viennent voir l’exposition tout en restant totalement anonyme dans la rue. Et pour terminer je vais vous confier un secret. J’ai plus de plaisir à inaugurer cette exposition à Marseille qu’à Paris, mais ne le répétez pas. Être ici au MuCEM est un immense honneur pour moi».

Michel EGEA

Pratique
« Un regard si doux », photographies de Raymond Depardon, jusqu’au 2 mars 2015. Au MuCEM, esplanade du J4 à Marseille. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 11 à 18 heures. Entrée 8 et 5 euros ; gratuit le premier dimanche de chaque mois. Renseignements et réservations 04 84 35 13 13. Un cycle cinéma autour de Raymond Depardon est organisé du 7 au 16 novembre. Programme complet sur MuCEM.

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