Théâtre du Gymnase de Marseille: Godot de Beckett mis en scène de manière picturale par Jean-Pierre Vincent

Publié le 15 avril 2015 à  17h13 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h49

Donc on attend Godot ! Et bien sûr il ne viendra pas (Raphaël Arnaud)
Donc on attend Godot ! Et bien sûr il ne viendra pas (Raphaël Arnaud)

Donc on attend Godot ! Et bien sûr il ne viendra pas. Mais d’ailleurs qui attend-on vraiment dans cette pièce terrible de Samuel Beckett créée en 1953 à Paris, dans une mise en scène de Roger Blin reprise en ce moment au Gymnase à Marseille dans une relecture de Jean-Pierre Vincent ? Un personnage de type «L’Arlésienne»? Apparemment oui. En vérité non ! Vladimir (appelé Didi) et Estragon (surnommé Gogo), les deux personnages principaux attendent que la nuit vienne fermant leurs yeux sur la dureté du monde, ou encore un peu comme dans le roman «Le désert des Tartares» et la chanson de Brel «Zangra» qu’il se passe enfin quelque chose. Œuvre crépusculaire, l’une des plus sombres du théâtre contemporain, «En attendant Godot» évoque la fin, la crainte de disparaître sans laisser de traces en mettant en avant l’ignominie des hommes. Pour l’illustrer, il y a Pozzo, sorte de Maître Puntila sans morale et sans scrupules qui traîne attaché avec une corde son valet Lucky, traité en esclave, marchant devant lui au son du fouet et dont le pas s’apparente à celui d’un cheval. Personnage monstrueux reformulant à sa guise les questions que lui posent Vladimir et Estragon, le sinistre Pozzo vomit sa haine des autres, son mépris et sa malignité. Face à lui Vladimir et Estragon répondent par une sorte de candeur, de décalage incessant, déconnectés du réel, envahis par leur propre émotion, tentant de s’entraider ou tout au moins soulager leur mal de vivre. Pour mettre en scène cette chronique d’un désastre intérieur annoncé Jean-Pierre Vincent offre une vision des plus classiques, et insiste sur les rapports des personnages avec les ombres et la lumière. Les décors de Jean-Paul Chambas, les costumes de Patrice Cauchetier, les éclairages de Alain Poisson sont autant d’œuvres d’art venant renforcer la fragmentation de l’histoire, les écholalies et les didascalies ponctuant le texte. Le spectateur constamment surpris, bousculé et, finalement ébloui, assiste à l’imbrication des scènes comme s’il s’agissait de tableaux de maîtres. D’une beauté confondante l’ensemble dont les couleurs contrastent avec la noirceur du propos, doit également sa réussite et son équilibre à l’interprétation homogène et nuancée de Charlie Nelson (Vladimir), Abbes Zahmani (Estragon), Alain Rimoux (Pozzo), Frédéric Leidgens (impeccable Lucky notamment dans sa longue tirade à la fin du 1er acte), et Gaël Kamilindi en garçon venant annoncer que Godot ne viendra que le lendemain. Ils forment une troupe du malheur et savent surtout s’écouter et faire respirer les silences du texte. Une coupure du texte dans l’ultime tirade de Vladimir sur le fait de dormir pendant que les autres souffrent marque le refus de Jean-Pierre Vincent de mettre en avant tout pathos. Un spectacle brut de décoffrage, absolument magistral de précision et d’intelligence. Du grand art !
Jean-Rémi BARLAND
«En attendant Godot» au Théâtre du Gymnase de Marseille jusqu’au 21 avril à 20h30. Sauf mercredi 15 avril à 19h.

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