Théâtre Le Sémaphore à Port-de-Bouc. ‘Mongol’ un spectacle pour enfants contre le harcèlement scolaire et le droit à la différence.

Publié le 28 mars 2022 à  21h57 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  19h25

C’est l’histoire de Ludovic, un enfant maladroit qui, dans la cour de recréation est traité de taré parce qu’il est lent. Un élève de primaire mal dans sa peau qui doit tous les jours subir les quolibets et les insultes de Fabrice et de sa bande dont il est devenu le bouc-émissaire.

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Fabrice un jour va inventer une nouvelle insulte et va crier à Ludovic «Mongol, Mongol!». Ludovic ne comprend pas l’insulte, et à la fin de sa journée de classe, va pour la première fois, chercher un mot dans un dictionnaire. Un nouveau monde va s’ouvrir à lui : celui de la Mongolie, des grandes steppes, de Gengis Khan, des chevaux sauvages, celui que l’écrivain et ancien jockey Homeric a raconté dans son magnifique roman «Le loup mongol». «Ludovic découvre alors un monde qui le passionne», nous dit-on dans les notes d’intention de ce spectacle magique, et d’une intelligence extrême que la Compagnie des Passages a créé en 2021 au Théâtre Massalia de Marseille, puis donné au théâtre « Le sémaphore » de Port-de-Bouc avant de le reprendre dans une version « tout terrain » intitulée Tarag et, ce dans le cadre du Festival Off d’Avignon du 11 au 27 juillet prochain. Ludovic va alors se glisser à la surprise générale de ses camarades de classe, de sa maîtresse, de sa famille, dans une nouvelle peau: celle d’un jeune garçon mongol. Il lit tout ce qui lui passe entre les mains sur le sujet, dévore viandes et laitages, décide de faire de l’équitation et n’a plus comme projet que de partir découvrir la Mongolie, avec Sarah si possible, jeune fille de l’école dont il est secrètement amoureux. La drôlerie amère est là dans Mongol, dans le malentendu originel ! Grâce à ce malentendu, Ludovic va se passionner pour un ailleurs, les livres vont lui ouvrir un horizon inattendu, et cela va lui donner une grande force pour s’affirmer, et pour sortir du harcèlement dans lequel Fabrice et la bande l’emprisonnent. «Sarah a ouvert les yeux et elle m’a regardé comme si elle me découvrait»

Au départ un roman de Karin Serres

Prenant racine sur un roman de Karin Serres, la Compagnie des passages qui en signe l’adaptation mêle jeu théâtral, vidéo confiée à Sébastien Sidaner, et travail avec de jeunes danseurs filmés et projetés dans le décor. On notera que «Mongol» s’est également construit avec la collaboration du groupe et de la compagnie Grenade de Josette Baïz. Le premier miracle de la pièce est sa narration fragmentée, où l’on passe de la réalité au rêve vécu yeux ouverts et parfois endormi de Ludovic qui s’imagine s’envoler vers de grands espaces de liberté. Nous entrons ici dans l’âme et le cœur du jeune héros, et les décors ou les costumes magiques de «Mongol» demeurent propres à susciter l’engouement du jeune public, mais pas que, éveillant son propre imaginaire et l’invitant à réfléchir de manière ludique que l’impérieux devoir de respect d’autrui.

Mise en scène festive de Wilma Levy

Autre superbe attrait de la pièce, la mise en scène qui alerte de Wilma Levy qui est aussi présente sur le plateau en tant que comédienne. «Un des premiers désirs est de faire partager l’univers mental de Ludovic comme je l’ai découvert à la lecture du roman, raconte-t-elle. Le roman nous plonge dans sa tête, dans ses questions, puis très vite dans son rêve, dans son fantasme de la Mongolie. J’ai envie de pouvoir rendre cette chose perceptible au public. Comment rendre compte d’un enfant qui pense beaucoup mais qui parle peu, ou pour lui-même, car le lien avec les autres ce n’est pas simple. Ludovic se sent seul au milieu de cette foule, qui lui est hostile. C’est un enfant qui parle pour lui: il me semble important de faire exister cette dimension par un traitement sur la voix. L’acteur devra pouvoir parler bas et être entendu et que ce rapport change quand il est en lien direct avec les autres personnages. L’utilisation du micro me semble important pour rendre cette impression. Les différents espaces, espace public de l’école et espace intime de la maison, seront symbolisés par l’intermédiaire d’un tulle. Cet écran tramé occupe toute l’ouverture et la hauteur du plateau. Il est à la fois support de projection des souvenirs de Ludovic–via la vidéo -souvenirs de sa solitude face au groupe de Fabrice qui le bouscule et le harcèle. La vidéo est projetée sur le tulle afin de créer l’artifice.» On ne saurait mieux dire, et on applaudira le résultat absolument parfait de cette mise en scène festive qui montre les choses sans démontrer.

Puissants interprètes autour de Gaspard Liberelle dans le rôle de Ludovic.

Ludovic sur scène c’est Gaspard Liberelle, comédien surdoué que l’on a vu au Rond-Point de Paris dans «Naufragé(s)» aux côtés de Gabriel F. et dans «Vers le spectre» du Marseillais Maurin Ollès, pièce sur l’autisme donnée récemment au Bois de l’Aune d’Aix. Inventif il compose ici un Ludovic tout en muscles et esprit, tout en force et fragilité mêlées. S’il est à ce point parfait, avec une voix prenante, il le doit aussi à la mise en scène bien entendu mais également à la présence quasi magnétique de Martin Kamoun, Camille Radix, et Wilma Lévy en personne qui jamais réduits à la fonction de faire-valoir contribuent à illustrer de façon vivante cette véritable épopée que l’on peut voir également comme un hymne à l’art du conte et de la littérature. La preuve qu’écrire et créer pour la jeunesse ne rime pas avec niaiserie. Et «Mongol» de s’imposer comme un bonheur absolu pour les petits et… les grands.
Jean-Rémi BARLAND
«Taragi» forme légère de «Mongol» au Théâtre de l’Entrepôt à Avignon dans le cadre de Festo Pitcho le 1er avril à 18h30 et 2 avril à 10 heures.
«Mongol» dans le cadre du festival off d’Avignon du 11 au 27 juillet à14h20 dans La cour du spectateur.

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