Tribune d’Eric Delbecque – Le Président : centriste ou par-delà droite et gauche ?

Publié le 28 juillet 2017 à  8h37 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h30

Sur LCP-AN (La Chaîne Parlementaire, Assemblée Nationale), l’excellent Alain-Gérard Slama a développé une idée capitale concernant le «macronisme» qui stimule grandement la réflexion. Le triomphe électoral d’En Marche à l’Assemblée nationale ne marque pas la victoire d’un parti (même rénovant le concept et décrit comme un «mouvement») mais la destruction du modèle partisan que nous avons connu jusque-là sous la Ve République.

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Pourquoi ? Parce que les partis servaient jusqu’au début des années 80 à clarifier l’échiquier idéologique, à s’imposer comme des organisations structurées capables de manifester une tendance sociale, idéologique, culturelle, politique et économique d’une partie du corps civique.

Ils sont aujourd’hui le symptôme de la déshérence des interprétations du monde. Ils ne parviennent plus à se distinguer les uns des autres, tout bêtement parce qu’ils ne disposent plus d’une colonne vertébrale doctrinale. Dans la mesure où plus rien d’essentiel ne sépare plus Les Républicains, La République en Marche (LREM), le Parti socialiste et le Modem, il semble parfaitement normal qu’une partie des Français aient décidé d’installer en position de force celui des rassemblements partisans qui les relativise tous en assumant le fait qu’il n’existe plus de différence substantielle entre la droite et la gauche contemporaines. Alain-Gérard Salam a donc raison en affirmant que LREM traduit l’implosion du système actuel des partis.

Certes, c’est une minorité de Français qui a fabriqué le raz-de-marée macronien. Toutefois, ce sont des électeurs (pour une insigne part) traditionnellement installés dans le vote pour les partis dits de gouvernement de droite ou de gauche (en clair le PS et Les Républicains), c’est-à-dire ancrés dans une vision centriste de la politique qui adhère à la fois au libéralisme, à une social-démocratie un peu molle et à une Europe technocratique qui ne laisse guère de place à la volonté populaire. Ce n’est donc pas Emmanuel Macron qui a fabriqué un «centrisme» victorieux. C’est ce dernier qui s’est incarné dans le nouveau Chef de l’État. Il a en réalité mis son talent communicationnel et sa lucidité au service d’un climat mental déjà dominant qui cherchait un passeur, un traducteur, une voix, une symbolisation… Cet «homme pressé» en phase avec le rythme de l’époque a clarifié, exposé, verbalisé ce qui circulait déjà dans les esprits. Son coup de maître est d’avoir osé présenter ce centrisme non pas comme une position molle, version du «ne pas choisir» mais, comme un dépassement du clivage droite/gauche.

Mais que pensent le reste des Français, majoritaires, qui ne l’ont pas choisi ? Ils donnèrent leurs suffrages aux deux formations (le Front national et la France insoumise) qui contestent l’européisme technocratique fédéraliste et libéral assumé par nos élites, ou marquèrent leur rejet profond de ces dernières au moyen de l’abstention. Nos compatriotes qui optèrent pour ces deux solutions appartiennent globalement à la « France périphérique » décrite par Christophe Guilluy.

Le plus formidable dans tout cela, c’est que même les électeurs et électrices qui mirent un bulletin Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon dans l’urne (ou tout au moins une bonne part) ne croient pas davantage à l’avenir du clivage droite/gauche -tel qu’il fonctionne aujourd’hui- que ceux qui s’enthousiasmèrent pour Macron. Il importe de bien comprendre que cette césure ne paraît plus crédible, opérationnelle, porteuse d’une dialectique positive, efficace.

Et il est à parier que de nombreux partisans du jeune hôte de l’Élysée cherchent en fait à transcender cette partition droite/gauche, non à trouver un juste milieu entre les deux que l’on appelle le centre. Car celui-ci peut facilement s’altérer en eau tiède ou en immobilisme, en «juste milieu» orléaniste écrivait René Rémond dans Les Droites en France. Dépasser le clivage qui ordonne l’hémicycle exige une démarche beaucoup plus exigeante. L’objectif est d’intégrer les deux syntaxes (la droite et la gauche) dans une plus haute synthèse où le meilleur de chacune des deux peut se retrouver et se marier harmonieusement l’une à l’autre ! Vaste programme, comme aurait dit le Général de Gaulle…

Ceci d’autant plus que cette synthèse une fois réalisée, il faudrait néanmoins laisser s’épanouir opérationnellement à l’intérieur de ce paradigme salutaire, c’est-à-dire au Parlement, des sensibilités différentes dont la confrontation positive et bienveillante -dans le cadre de ce consensus supérieur- autoriserait le progrès collectif (sainement envisagé et non appréhendé comme un processus perpétuel de changement dénué de sens), sans prétendre qu’ils représentent chacun, de façon exclusive, le camp du Bien…

Emmanuel Macron ne reconstruit pas un clivage pertinent en surmontant le conflit droite/gauche, il en dresse l’acte de décès et personnifie le questionnement, pour le moment non résolu, que pose cette explosion de nos repères séculaires. Tout pronostic s’avère par conséquent risqué pour l’instant. Ce qui est certain, c’est que la méthode jupitérienne ne règlera pas notre problème… Il convient qu’une doctrine lisible et puissante émerge de ce «big bang» politique, succédant ainsi à la virtuosité dans la pratique du marketing politique. Au bout du compte, les Français attendent d’abord un chef dont la vocation ne fasse pas de doute, un leader tendu intégralement vers le bien commun et désireux de découvrir de nouveaux chemins, jamais pratiqués, pour tenter de guérir les maux désespérants qui rongent la société française, à commencer par le chômage et le communautarisme.

Photo Soazig de La Moissonnière
Photo Soazig de La Moissonnière
Finalement, le personnage qu’incarnait Jean Gabin en 1961 dans le film «Le Président» de Henri Verneuil n’a pas pris une ride : j’entends par là que les citoyens aspirent toujours à être gouvernés par un individu cuirassé par une telle exigence. Cette scène merveilleuse où Gabin tient en respect l’Assemblée nationale par la puissance de ses convictions, de ses arguments et de sa juste et lumineuse colère, mériterait de devenir un classique permettant l’éducation des politiciens. Il ne fait pas un métier mais il accomplit une mission, il ne choisit pas entre les idées, il entend forger une capacité d’action avec toutes celles qui sont justes, il ne privilégie pas son intérêt immédiat mais celui de la nation sur le long terme, il ne s’enlise pas dans les compromis mais appelle à se rassembler sur des horizons à atteindre, et il refuse la soumission pour toujours lui préférer la volonté d’aller au bout de son désir d’être utile… Il décide, tant qu’on lui fait confiance, mais il ne contraint pas lorsque l’adhésion fait défaut.
L’avenir nous dira si Emmanuel Macron connaît ce film inoubliable et si il en a retenu les leçons…

Eric DELBECQUE est Président de l’ACSE – Il est l’auteur de : Le Bluff sécuritaire Éditions du Cerf

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