Tribune d’Eric Delbecque : Le Président, la loi de Spock et le harcèlement terroriste

Publié le 12 septembre 2016 à  19h17 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h31

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Si des politiciens, des membres de l’intelligentsia et des journalistes de l’Hexagone embarquaient à bord du vaisseau Enterprise dans Star Trek, monsieur Spock leur demanderait immédiatement les raisons pour lesquelles ils ignorent à ce point les ressources de la logique… Rappelez-vous du célèbre vulcain qui accompagne le Capitaine Kirk à la découverte de nouvelles civilisations et de mondes étranges : comme tous ses compatriotes, il croit à la puissance de l’esprit, c’est-à-dire au secours que peut nous offrir la raison. Face à la peur et au déferlement émotionnel, les Vulcains mobilisent leur capacité à penser, à décrypter méthodiquement les événements, les problématiques et les acteurs. D’où ce que j’appelle la loi de Spock : plus les événements se révèlent tragiques et plus il importe de prendre de la distance et de réaliser un diagnostic d’une précision extrême (utilisant toutes les ressources de la raison sans négliger pour autant le facteur humain).
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Or, les dramatiques attentats que nous subissons depuis 2015 nous démontrent que les situations les plus traumatisantes produisent un emballement politico-médiatique qui paralyse la dynamique de diagnostic intellectuel au profit d’un mode d’expression réactif et d’une parole réduite à l’incantation. L’exploration conceptuelle et opérationnelle semble quant à elle refoulée de façon systémique. Le discours de François Hollande de jeudi dernier en témoigne une fois encore.

Ce discours qui devait porter sur la démocratie et le terrorisme fut en réalité le premier acte d’un candidat à la présidentielle, et n’a apporté aucune vision sur la stratégie de sécurité nationale de notre pays. François Hollande n’a développé aucune analyse en profondeur du terrorisme islamiste et n’a esquissé aucune mesure opérationnelle permettant de rénover notre approche du harcèlement terroriste. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : les djihadistes cherchent à produire d’abord un effet psychologique de court terme, la sidération et l’angoisse, et un effet social de moyen/long terme, la fracturation de la cohésion sociale. Il leur faut donc harceler sans cesse les esprits en frappant dans tous les endroits possibles, afin d’instiller l’idée qu’il n’existe aucun sanctuaire, aucun endroit qu’ils ne seraient pas en mesure d’atteindre.

Par ailleurs, le harcèlement terroriste est opérationnellement possible parce qu’il ne repose pas sur une organisation pyramidée avec une structure claire et immuable. Il s’appuie sur sa capacité à mobiliser des personnes radicalisées présentes dans différents pays par une propagande permanente qui utilise les moyens les plus modernes de l’ère digitale.

On ne peut donc plus se contenter d’affirmer que la démocratie triomphera à terme de la barbarie parce que la liberté l’emporte toujours sur tous les totalitarismes. Il importe de consacrer beaucoup d’efforts à comprendre en tout premier lieu comment fonctionne le djihadisme salafiste, comment se structure sa matrice idéologique, et surtout pourquoi elle séduit, et de décortiquer les ressorts psychiques, culturels et sociaux qu’elle utilise (Cf. lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/eric-delbecque) .

Les coups de griffe contre l’opposition, que le Chef de l’État a multiplié, entretient le politiquement correct sur le sujet et alimente des amalgames grossiers qui n’apportent rien au progrès de la lutte contre le terrorisme. Cela ne va pas davantage dans le sens de l’union sociale à laquelle il appelle pourtant depuis des mois. Il ne s’agit bien évidemment pas de militer en faveur d’un Patriot Act et d’un Guantanamo à la française. Ce dont nous avons besoin, c’est de soutenir puissamment un combat contre la radicalisation religieuse, lequel se situe au cœur de la problématique du terrorisme islamiste.

Soulignons également qu’il était assez étrange d’entendre le chef des armées raconter que durant sa jeunesse il croyait que la démocratie était l’avenir du monde et que la guerre appartenait à un monde révolu… Souhaiter que la démocratie progresse n’implique pas de fermer les yeux devant le réel, car notre planète n’a jamais donné le sentiment que les conflits avaient déserté la scène internationale. La guerre traditionnelle (État contre État, nation contre nation) a effectivement reculé : mais cela ne signifie pas que la guerre en soi a disparu du monde. Elle s’est simplement métamorphosée.

C’est à la dynamique de cette mutation que nous contraint précisément de nous intéresser le terrorisme islamiste contemporain. Par conséquent, on doit aller plus loin dans la recherche des causes, accroître notre effort d’exploration généalogique, ceci afin de trouver des réponses opérationnelles adaptées. Nous n’en prenons pas le chemin. Du recul, loin de l’agitation électoraliste, pourrait nous aider à mettre en pratique la loi de Spock…

Eric DELBECQUE Chef du département intelligence stratégique de SIFARIS et Président de ACSE Auteur de : Idéologie sécuritaire et société de surveillance (Vuibert) – atlantico.fr/eric-delbecquebabelio.com/Eric-Delbecque
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