Tribune d’Yves Delafon: ‘Moi, souverainiste’

Publié le 14 mars 2022 à  19h03 - Dernière mise à  jour le 9 décembre 2022 à  14h11

Notre langue est vivante et évolue continuellement, grâce à la vigueur de la francophonie, en France et dans le monde. Le mot «souverainisme» est apparu il y a quelques années à l’initiative de tendances politiques voulant nommer leurs fantasmes révisionnistes de repli sur soi et d’idéalisation d’un passé réducteur. Réalisant ainsi un véritable «hold-up» sémantique, une appropriation habile d’une question fondamentale, la souveraineté.

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Et nous l’avons accepté, collectivement, dans le confort douillet de la certitude que notre système politique, notre démocratie, nos libertés, étaient définitivement acquis. Nous avions d’ailleurs déjà détourné notre attention de nombreux symboles «désuets» comme l’hymne national, le drapeau, l’ordre républicain, l’identité nationale… Comme le coucou s’installe dans le nid des autres oiseaux, les extrêmes ont occupé ces espaces au point de s’identifier comme les valeureux défenseurs des fondamentaux de notre communauté, de notre vivre ensemble. Rien n’est plus faux.

La souveraineté ne se déclare pas, elle est une conséquence qui résulte de choix établis sur le constat, lucide, que les attributs de notre souveraineté se sont, logiquement, réduits de façon inversement proportionnelle à la montée des nouvelles puissances militaires et économiques. Non pas parce que nos dirigeants s’en seraient désintéressés, mais parce que la nature est ainsi faite que la force s’impose aux plus faibles.

La puissance des économies américaine et allemande avait relégué le Franc Français au statut de monnaie exotique dans les échanges internationaux. Y revenir serait y retourner.

La force militaire incomparable des USA, puis de la Russie et de la Chine, ne permettent plus à la France, pourtant première armée européenne, de peser significativement sur son destin (hormis l’extrême nucléaire qui consacrerait sa vitrification) et dans la défense de ses intérêts. La guerre en Ukraine, comme la réalité malienne, en sont des exemples criants.

Notre diplomatie, nourrit à la volonté gaullienne issue de la première moitié du XXe siècle, et malgré de magnifiques envolées oratoires, n’est plus capable, seule, de peser significativement sur la marche du monde ou sur sa préservation.

La notion de souveraineté est par ailleurs indissociable de celle de Nation. Et, là aussi, l’escroquerie de l’extrême droite se justifie par une conception figée, frileuse et fausse de notre identité et de nos origines. Un simple regard sur notre Histoire prouve, non seulement que la géographie de la France n’a jamais été gravée dans le marbre, mais aussi que sa population trouve ses origines dans la diversité de peuples qui se sont fondus (et souvent déchirés) bien que n’ayant ni langue, ni culture, ni gouvernement en commun.

Nos parents ont entrepris la construction de notre Nation, et nous devons poursuivre leur ambition en sachant que décréter son achèvement signerait notre fin.

Alors oui, je suis souverainiste car je souhaite que nous ayons les moyens et les forces de défendre, de préserver et de partager nos libertés. Alors oui, je suis nationaliste car je suis fier de nos valeurs communes, de la diversité de nos cultures, de nos modes de vie partagés, de nos ambitions démocratiques. Alors donc, je suis européen !

Seule une Union Européenne politique renforcée, une Nation Européenne réinventée de souverainetés partagées et de pouvoirs établis sur des principes de subsidiarité nous rendra les forces et les moyens d’être les acteurs de notre futur. Cela nécessite une fermeté bienveillante et la volonté affirmée de bâtir notre Union sur la persuasion et le compromis, plutôt que sur la violence et les larmes comme cela a été le cas jusqu’en 1945.

Cela impose du courage, de l’imagination et la remise en cause de conceptions dépassées du pouvoir. Ce dernier ne peut plus être, ni monolithique, ni centralisé. Si certains sujets doivent, à l’évidence, être confiés à un pouvoir communautaire (défense, environnement/écologie, droit du travail et sa fiscalité, marché intérieur), d’autres doivent rester, et dans certains cas rendus, aux États et aux collectivités locales.

Reconstruisons notre souveraineté, ensemble et ambitieux. Il n’y a pas d’avenir pour la France sans son écriture dans celui de l’Union Européenne. En se souvenant que c’est un effort, une attention, de tous les instants. La barbarie est à la civilisation ce que la rouille est à l’acier. En l’absence de soins, et l’une et l’autre seront vainqueurs.

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