Tribune de Bernadette Leroy : Les neurosciences au service de la Justice

Publié le 28 septembre 2021 à  7h30 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47

«Frappé à l’aide d’un couteau de cuisine, touché à trois reprises, au niveau de la nuque et des avant-bras, l’homme s’était réfugié sur son balcon, fermant les volets pour échapper à la folie furieuse de son épouse. C’était le 16 juillet dernier à Belley. (…)»

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L’expertise psychiatrique ordonnée par le tribunal ayant conclu à une abolition totale de son discernement au moment des faits, compte tenu de sa pathologie, elle a été déclarée irresponsable pénalement pour cause de trouble mental. [[leprogres.fr/faits-divers-justice]]

Il est coutume de lire dans la presse des actes de violence, d’agressions, voire de meurtre, pour lesquels les auteurs sont jugés irresponsables de leurs actes en raison d’une condition psychiatrique. Mais, une évaluation psychiatrique est-elle la seule à pouvoir justifier le caractère irresponsable d’un passage à l’acte ?

On peut distinguer trois grands types de théories qui visent à expliquer le passage à l’acte déviant. Parmi le courant de pensée déterministe, on trouve les adeptes des fondements biologiques, génétiques ou neurologiques et des hypothèses fonctionnalistes qui établissent un lien entre déviance et caractéristiques socio-économiques. Bien que ces deux modèles aient une tendance déterministe, il n’en reste pas moins qu’elles sont en complète opposition. Les théories interactionnistes avancent que ce sont les relations entre les individus et leurs interactions avec leur environnement qui permettent de mieux comprendre les phénomènes déviants. Enfin les théories de l’individualisme soutiennent que ce sont les motivations intrinsèques de l’être humain qui les poussent à agir. Dans ce paradigme deux tendances sont dominantes. D’une part, une interprétation de la déviance qui serait le fruit d’un calcul coûts/bénéfices donc un choix rationnel et d’autre part, une théorie hédoniste c’est à dire que le moteur du passage à l’acte serait la quête du plaisir, le nihilisme et/ou la volonté de tromper l’ennui.

L’ensemble de ces travaux vient souligner l’intérêt d’une réflexion qui ne se contente pas d’identifier les causes et conséquences de la déviance, mais qui s’intéresse à l’individu et aux mécanismes qui le conduisent à avoir certains comportements déviants et donc d’aider la justice à prendre les bonnes décisions.

Nous voyons donc que la place des neurosciences dans la compréhension des comportements déviants ne date pas d’hier. Cependant, aujourd’hui la détermination de l’irresponsabilité d’un protagoniste est faite essentiellement et uniquement à partir d’un prisme psychologique. Pourtant, à l’heure où la science ne cesse d’évoluer et où la compréhension du fonctionnement humain se précise, il est légitime de se demander si une approche biologique ne pourrait pas également poser les jalons d’une compréhension plus fine de l’Homme et, en ce sens, développer de nouvelles manières de considérer la responsabilité ou l’irresponsabilité pénale.

Pour mieux comprendre la contribution que peuvent avoir les neurosciences dans la détermination des subtilités de comportements déviants et donc d’être une aide précieuse à saisir le caractère irresponsable. Il est nécessaire de se représenter le cerveau comme un organe ayant pour principale caractéristique sa formidable capacité à traiter une immensité de signaux générés à la fois par l’environnement et par le corps.

Ainsi, nos actions et réactions quotidiennes sont générées par ce formidable organe qu’est le cerveau. Ce dernier se compose de diverses structures cérébrales qui seraient agencées en deux pôles distincts. Le premier pôle, celui de l’impulsion émotionnelle, correspond au système limbique et à l’amygdale, située dans le lobe temporal interne. L’amygdale évalue notre environnement et ses menaces potentielles. En fonction de l’intensité des menaces détectées, l’amygdale va envoyer des signaux, conduisant ainsi nos aires cérébrales à réagir sans tarder. Le second pôle, celui du contrôle du comportement, correspond au cortex préfrontal, situé à l’avant du cerveau. Le cortex préfrontal va réguler nos réactions, nos émotions et nos comportements. Ces deux pôles sont donc intrinsèquement liés : l’un va faire émerger une émotion, l’autre va la réguler et inhiber des réactions inappropriées. Chacun participe à notre équilibre psychologique et affectif. Or, de par sa localisation, à l’avant du cerveau, le cortex préfrontal peut être sujet à des lésions causées par des accidents de diverses sortes, résultant en une diminution de sa fonction régulatrice et inhibitrice..

Si l’on rapporte ce constat au sujet de la criminalité, pourrait-on en conclure que les criminels passent à l’acte en raison de telles lésions ? Il est estimé que près de 80% des détenus a subi un traumatisme crânien au niveau du cortex préfrontal. De plus, des examens radiologiques cérébraux ont conclu à une différence de fonctionnement et d’anatomie au niveau de ce dernier entre des détenus incarcérés pour des actes agressifs et d’autres, incarcérés pour des actes non-agressifs.

Le cortex préfrontal étant endommagé, il peut ne plus assurer sa fonction régulatrice correctement. Si l’on rajoute à cela un dysfonctionnement au niveau de l’amygdale, nous pourrions donc conclure à une potentielle prédisposition à un passage à l’acte. En effet, une activité de l’amygdale réduite a pour conséquence des difficultés à reconnaître ou à éprouver des émotions. A l’inverse, une augmentation de cette activité peut conduire à une altération des états de conscience et à des comportements difficilement contrôlables.

Cependant, il est important de nuancer ce propos. En effet, toutes les personnes en proie à des comportements agressifs ne présentent pas nécessairement de lésions du cortex préfrontal ou de dérèglement du système limbique. De plus, l’expression de l’agressivité varie selon les individus. Si certains vont être plus enclins à exprimer une agressivité forte et impulsive, d’autres, à l’inverse, seront sujets à une agressivité plus réfléchie et planifiée. D’ailleurs, des études ont été conduites auprès de criminels ayant une propension plus développée à l’un ou l’autre type d’agressivité. Il ressort de ces études que les détenus impulsifs présentaient une faible activité au niveau du cortex préfrontal, et une activité élevée au niveau du système limbique. A l’inverse, les détenus passifs, eux, présentaient seulement une activité excessive du système limbique, régulée plus efficacement par le cortex préfrontal.

Il est donc raisonnable d’avancer que sur la base de données neuroscientifiques et neuropsychologiques, il est actuellement possible de montrer que dans la majorité des cas, des déviants agressifs présentent un dysfonctionnement cérébral préfrontal, qui entraînerait des difficultés de régulation émotionnelle, de contrôle du comportement et une mauvaise estimation des conséquences. En revanche, ce déséquilibre ne suffirait pas à juger un individu irresponsable de ses actes. Nous pouvons donc en déduire que les neurosciences et plus particulièrement la neuropsychologie est une expertise intéressante à la compréhension des prédispositions au passage à l’acte d’un déviant. Mais qu’il serait risqué et réducteur que la justice s’appuie uniquement sur des données d’une évaluation neuropsychologique pour déterminer la responsabilité ou l’irresponsabilité d’un individu qui commet un acte répréhensible.

Il est nécessaire de garder à l’esprit que, l’étude scientifique d’un passage à l’acte doit être pluridisciplinaire c’est-à-dire en s’appuyant sur les disciplines des sciences humaines. Que si les caractéristiques biologiques d’un individu peuvent expliquer, en partie, une propension à l’agressivité, il n’en demeure pas moins qu’elles doivent être couplées à la personnalité de l’individu, ses pathologies psychiatriques, son vécu… Ainsi, une combinaison d’études psychologiques, neuropsychologiques, sociales, sociologiques… est nécessaire à la compréhension du passage à l’acte chez un individu déviant. Une réflexion profonde doit accompagner une éventuelle prise en compte des aspects biologiques des criminels, et un équilibre doit être trouvé entre s’en remettre pleinement à ces derniers, ou, au contraire, les minimiser.

[(Bernadette Leroy est Présidente de l’Association de Criminologie du Bassin Méditerranée (ACBM) Directrice générale – AESATIS)]
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