Tribune de Bernard Valero: Après les élections législatives du 15 mai, le Liban s’avance-t-il vers une nouvelle trajectoire ?

Publié le 28 mai 2022 à  10h11 - Dernière mise à  jour le 8 décembre 2022 à  14h19

Après la terrible guerre civile qui avait ravagé le pays pendant 15 ans (1975-1990), le Liban avait retrouvé la paix (sur la base des accords de Taef) au service de laquelle il avait mis toute sa remarquable capacité de résilience. Au cours des dernières années, le Pays du Cèdre a cependant subi des crises successives auxquelles le système et la classe politiques, paralysés par un mode de fonctionnement communautaire et confessionnel bloqué, s’avéraient incapables d’y faire face.

Bernard Valero © Destimed
Bernard Valero © Destimed

1) Un pays au dessous de la ligne de flottaison.

Petit rappel:
. Le 14 février 2005, en plein centre de Beyrouth, l’assassinat à la voiture piégée de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, déclenchait une violente onde de choc au Liban mais aussi dans son environnement géopolitique régional. Il faudra 15 ans au tribunal spécial des Nations Unies pour prononcer un verdict et condamner à la perpétuité, en 2020, le principal suspect, membre du Hezbollah… que le Parti de Dieu s’est toujours refusé à livrer à la justice internationale.

. Au fil de la descente aux enfers dans laquelle la guerre n’a cessé d’aspirer la Syrie, le Liban a accueilli plus de 1,5 million de réfugiés, alors que la population libanaise compte 6 millions d’habitants. Incessant, ce flot de réfugiés pèse lourd depuis 2011 sur l’économie et sur la population libanaises.

. A partir de 2018, la situation économique et financière du Liban n’a cessé de se dégrader et, se conjuguant funestement avec l’incapacité de la classe politique d’apporter réponses et solutions, entraînait un soulèvement populaire à l’automne 2019, la « Thawra », qui jetait des milliers de citoyens protestataires dans les rues du pays.

Aujourd’hui, on estime a 75% de la population totale le nombre de Libanais qui vivent sous le seuil de pauvreté, le PIB du pays est tombé de 52 milliards de dollars en 2019 a 22 milliards en 2021, la plupart des services publics se sont effondrés, l’inflation galope, les recettes publiques ne représentent plus que 6% du PIB (soit l’un des taux les plus faibles au monde après la Somalie et le Yémen, selon la Banque mondiale), tandis que la Livre libanaise a perdu 200% de sa valeur face au dollar.

. C’est dans ce contexte économique, dramatiquement dégradé, (l’un des 3 pires effondrements économiques que le monde ait connus depuis 1850, d’après la Banque mondiale) que s’est abattue la crise sanitaire en 2020. Le Covid a en effet durement cogné sur le Liban, qui a enduré l’un des plus stricts confinements au monde, et a mis à mal toute perspective immédiate de redressement économique et politique.

. 4 août 2020, la catastrophe de la gigantesque explosion au port de Beyrouth (215 morts, 6 500 blesses, 4 milliards d’euros de dégâts) enfonçait encore un peu plus le Liban dans la tragédie. L’incapacité dans laquelle s’est ensuite retrouvé enferré le juge d’instruction chargé de l’enquête a mis en lumière, une nouvelle fois, l’écheveau des paralysies de la classe politique et la cruelle absence de l’État.

2) Les élections législatives du 15 mai, stop ou encore ?

Après une telle succession d’épreuves, le rendez-vous électoral du 15 mai 2022, visant au renouvellement des 128 sièges de la Chambre des députés, revêtait une signification cruciale pour l’avenir du pays. A-t-il tenu ses promesses et répondu aux espoirs de la population libanaise ? La réponse est forcement nuancée car le verre n’est ni plein ni vide.

. Ce scrutin s’est tout d’abord déroulé dans un climat sécuritaire plutôt calme, l’armée libanaise s’étant largement déployée pour éviter toute flambée de violence. Pour leur part, des centaines d’observateurs électoraux (Nations Unies, Union européenne, Ligue Arabe, Organisation internationale de la Francophonie, Association libanaise pour les élections démocratiques) ont veillé à la régularité des opérations de vote et de dépouillement. Si l’on en juge par les incidents et les irrégularités relevés, tout n’a certes pas été parfait, mais les résultats n’ont pas fait l’objet de contestations majeures.

. Symptôme d’un pays fatigué et usé, le taux de participation (41%) n’a pas été à la hauteur de l’enjeu malgré un taux beaucoup plus élevé des électeurs libanais de l’étranger qui s’étaient rendus aux urnes une semaine auparavant. Fatigue, désenchantement face à l’obligation quotidienne de survie, résignation face aux partis traditionnels qui se partagent le Liban depuis des années à la faveur d’un système électoral et politique taillé à la mesure de leurs seuls intérêts, force est de constater que les Libanais ne se sont pas rués sur les bureaux de vote.

. Nonobstant, et en dépit d’un clientélisme politique fortement ancré, deux résultats du scrutin permettent de penser, voire d’espérer, que la nouvelle Assemblée favorisera une timide évolution :
Le Hezbollah et son allié, le parti Amal, ont perdu la majorité parlementaire sur laquelle ils prospéraient depuis des années, tandis qu’en face, le Parti des Forces libanaises de Samir Geagea domine le camp chrétien et fait reculer le Courant patriotique libre du Président Aoun, allié du Hezbollah.
De leur côté, ce sont 13 candidats indépendants, opposants au système des « Zaims » (les chefs communautaires), qui entrent au Parlement, les uns et les autres avec la volonté de faire bouger le système et d’éviter une nouvelle polarisation parlementaire paralysante entre le Hezbollah et les Forces libanaises.

. Ce frémissement dans les urnes, qui peut faire évoluer les équilibres parlementaires figés depuis des années, est d’importance car il pourrait jouer sur la désignation du futur Premier ministre et du prochain gouvernement. L’enjeu de cette étape à venir est considérable puisqu’il s’agira alors pour la classe politique libanaise, non seulement de convaincre le FMI de débloquer un plan d’aide de 4 milliards de dollars sur 4 ans, mais aussi de convaincre la cinquantaine de pays donateurs, qui s’étaient prudemment gardés jusqu’ici de mettre sur la table les engagements (11 milliards de dollars de prêts et dons) qu’ils avaient pris lors de la conférence économique du Liban pour les réformes et par les entreprises (Conférence CEDRE) qui s’était tenue à Paris, a l’initiative de la France, le 6 avril 2018.

3) «La France continuera de se tenir aux côtés de la population libanaise, comme elle l’a toujours fait»

. Cette déclaration de la porte-parole du Quai d’Orsay au lendemain des élections du 15 mai illustre la détermination des autorités françaises à rester plus que jamais engagées aux côtés des Libanais.
A titre national, avec d’autres partenaires comme en témoigne l’accord franco-saoudien du 26 avril dernier sur un soutien conjoint des deux pays à la population du Liban, ou encore avec ses partenaires européens, la France continuera d’œuvrer afin de permettre au Liban de s’extraire de la crise. Elle le fera avec une exigence forte vis-à-vis de l’ensemble des responsables et autorités publics libanais pour que ceux-ci s’engagent à designer au plus vite un premier Ministre et à former un nouveau gouvernement afin de prendre les mesures nécessaires au redressement du pays et apporter des réponses crédibles aux aspirations de la population.

. Cette indéfectible solidarité de la France avec les Libanais se décline aussi quotidiennement a travers les innombrables initiatives des acteurs de la société civile et au fil des actions de coopération entreprises avec leurs partenaires libanais par les collectivités territoriales françaises.

A cet égard, la politique de coopération portée par la Région Sud est exemplaire. On se souvient du déplacement officiel que Renaud Muselier, Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, avait effectué au Liban en juin 2019, au cours de laquelle il avait impulsé, sur le terrain, les actions de coopération menées par la Région, notamment à Tyr et a Jezzine. De la protection de l’environnement à la coopération éducative, en passant par la culture, l’économie, la médecine, la jeunesse, le patrimoine, ou l’urbanisme, la palette des interventions est large et mobilise de nombreux acteurs du territoire régional, tandis que la catastrophe du port de Beyrouth au cœur de l’été 2020 amenait la Région sud à intensifier son aide d’urgence est humanitaire.

Enfin, lancé le 12 février 2021, le projet « Cefom » de création d’un centre de formation des municipalités au Liban, est porté par la Région sud, en partenariat avec le Centre de la formation publique territoriale (CNFPT), sur financement de l’Agence française de Développement (AFD). Ce projet emblématique vise la formation des agents et des élus des municipalités du Liban par une offre structurée et pérenne de professionnalisation destinée à celles et ceux qui, au niveau le plus proche des populations, sont en charge des politiques publiques. C’est dans ce cadre que la Région sud accueillera du 1er au 4 juin prochain une quinzaine de maires et responsables libanais qui auront notamment l’occasion de rencontrer les villes partenaires du projet, Marseille, Nice et Aix-en-Provence.

Les élections du 15 mai dernier peuvent allumer une lumière au bout du tunnel si les politiques libanais font le pari du courage et de la responsabilité. Le moment est d’importance car il met la classe politique libanaise devant ses responsabilités. C’est à elle que revient la tâche de désarmer la fatalité du destin contrarié d’un pays malmené depuis de trop nombreuses années. L’heure est donc au choix, et au choix urgent car aujourd’hui, sous l’impact des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Liban est l’un des pays méditerranéens le plus fragile et le plus vulnérable pour ses approvisionnements céréaliers. Il est donc crucial de tout mettre en œuvre très vite pour éviter une crise alimentaire, qui pourrait être la crise de trop.

[(Bernard Valero: ancien consul général à Barcelone, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Skopje, ambassadeur de France en Belgique, directeur général de l’Avitem (Agence des villes et territoires durables méditerranéens) et porte-parole du Quai d’Orsay)]

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