Tribune de Bernard Valero: le traité franco-italien du Quirinal ouvre de nouvelles perspectives pour la région sud

Publié le 29 décembre 2021 à  11h31 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47

Signé à Rome le 26 novembre 2021, le Traité franco-italien «pour une coopération bilatérale renforcée» est venu consacrer un « reset » bienvenu des relations entre Rome et Paris. Ce traité assure celles-ci d’un cadre politique et juridique ambitieux et robuste et ouvre de nombreux chemins de coopération qui sont autant d’horizons partages par les deux pays. Parmi ces pistes, la coopération transfrontalière occupe une place remarquée. Elle vient élargir le champ et donner un élan supplémentaire aux relations transfrontalières que la Région et ses collectivités territoriales s’emploient, de longue date, à développer avec leurs partenaires de Ligurie et du Piémont sur près des 2/3 des 515 kilomètres de la frontière entre la France et l’Italie.

Bernard Valero  ©Destimed
Bernard Valero ©Destimed

1) Un Traité qui consacre une «remontada» diplomatique bienvenue

Le principe d’un tel traité de coopération bilatérale avait été posé en janvier 2018 par le Président français, Emmanuel Macron, et le Président du Conseil italien, Paolo Gentilini.

La donne et l’atmosphère politique ayant ensuite changé à Rome, cette prometteuse initiative avait dû marquer le pas face à une dégradation aussi brutale qu’inédite des relations entre Rome et Paris : On se souvient en effet, début 2019, du vice-président du Conseil italien, Luigi di Maio, qui avait rencontré l’un des meneurs du mouvement des gilets jaunes, après que Matteo Salvi, ministre de l’Intérieur, eut appelé à la démission du Président français. Ce furent autant de sorties de route délibérées qui amenèrent Paris à sortir le carton rouge et à décider, en février 2019, du «rappel» de l’ambassadeur de France à Rome, une décision rarissime et une façon fermement diplomatique de dire «basta cosi».

Portée et signification exceptionnelles

Le temps faisant son œuvre, la configuration politique ayant changé à Rome, les diplomates du Quai d’Orsay et de la Farnesina s’attachant à remettre l’ouvrage sur le métier, les deux «sœurs latines» finirent par retrouver les voies d’un apaisement constructif lors du Sommet bilatéral de Naples en février 2020. Cet heureux cheminement s’est donc conclu il y a un mois à peine, au Palais du Quirinal, siège de la Présidence de la République italienne, par la signature d’un traité, de portée et de signification exceptionnelles, comme la France n’en n’avait pas signé depuis 1963, lorsque le traité de l’Élysée avait été paraphé entre la France et l’Allemagne par le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer. C’est dire le degré d’excellence auquel sont parvenues aujourd’hui les relations franco-italiennes.

2) «Un réflexe franco-italien»

L’architecture du Traité du Quirinal s’organise sur 3 niveaux : un préambule, le traité proprement dit (12 articles), et une feuille de route.

Le préambule

Vu de Marseille, le texte ne peut mieux dire les choses puisque son tout premier paragraphe consacre une valeur centrale de la Région sud : «Considérant l’ampleur et la profondeur de l’amitié qui les (la France et l’Italie) unit, ancrée dans l’histoire et la géographie, réaffirmant dans cet esprit leur attachement commun à la Méditerranée, comme carrefour de la civilisation et trait d’union entre les peuples d’Orient et d’Occident, d’Europe et d’Afrique….».
Sont ensuite développées des orientations structurantes dont on peut retenir :
. Le travail en commun au niveau européen en faveur d’une Europe toujours plus démocratique et souveraine.
. Le rapprochement et l’intégration des sociétés civiles.
. La structuration de la relation bilatérale autour d’orientations stratégiques et sur un certain nombre de cadres et d’enceintes de travail en commun.

Le traité

Composé de 12 articles, le Traité du Quirinal établit un agenda commun dans différents domaines : affaires étrangères, sécurité et défense, affaires européennes, politiques migratoires, justice et affaires intérieures, coopération économique, industrielle et numérique, développement social, durable et inclusif, espace, enseignement-formation-recherche-innovation, culture, jeunesse et société civile, coopération transfrontalière.

La feuille de route

Elle décline dans chacun des domaines identifiés par le traité les actions à mener de façon précise, opérationnelle et adaptable dans le temps. Il s’agit-là du programme de travail commun que ce sont assigné les deux parties pour les temps à venir.

3) La coopération transfrontalière a l’honneur

. Le préambule du traité consacre la reconnaissance du «rôle fondamental des collectivités territoriales françaises et italiennes et des autres acteurs locaux pour renforcer les liens d’amitié entre leurs peuples et développer des projets communs».

. Le traité lui même dédit son article 10 à la coopération transfrontalière: «La frontière terrestre franco-italienne constitue un bassin de vie continue ou les populations française et italienne partagent un destin commun…» Il passe en revue le large champs des coopérations transfrontalières existantes en soulignant le soutien des deux États à leur développement et approfondissement tandis qu’une mention appuyée est réservée au «développement d’un réseau de transport ferroviaire, routier et maritime». Un comité de coopération transfrontalière, qui se réunira sur une base annuelle et rassemblera tous les acteurs concernés, est enfin établi.

. La feuille de route pour sa part précise la gouvernance de la coopération transfrontalière organisée autour du comite crée par le traité. Elle identifie par ailleurs trois grands chantiers:
-Améliorer les liaisons transfrontalières.
-Le fonctionnement des secours transfrontaliers.
-Soutenir les espaces de coopération transfrontalières intégrées et favoriser la communication entre les populations des régions frontalières.

4) Apporter une profondeur et un souffle nouveaux aux coopérations transfrontalières

Nul doute que la Région sud et ses collectivités territoriales feront leur miel de ce spectaculaire développement des relations franco-italiennes. La page du transfrontalier entre les acteurs de la région sud et leurs partenaires italiens est loin d’être blanche tant ce sont développées d’innombrables initiatives et projets depuis des années sur chacun des trois grands ensembles géoéconomiques qui jalonnent la frontière : le massif alpin, l’espace maritime et l’étroite bande littorale, urbanisée quasiment en continu, qui court de Grasse à Imperia.

Sur cet acquis et sur l’intimité transfrontalière que celui-ci a favorisée, le traité du Quirinal permet aujourd’hui d’aller plus loin :
. La volonté politique commune franco-italienne, gravée dans le marbre du traité et affichée au plus haut niveau, légitime ce qui a été fait, et donne du sens et une ambition à ce qui sera fait à l’avenir.

Tel que prévu par le traité et présenté dans la feuille de route, le comité de coopération transfrontalière incarne une gouvernance triplement vertueuse :

-Concertation et synergies accrues, côté français, entre les différents paliers territoriaux concernés : Une région, trois départements (Alpes-de-haute-Provence, hautes-Alpes et Alpes maritimes), une Métropole (Nice Côte d’Azur), et de nombreuses communes frontalières.
-Travail collaboratif plus étroit et mieux coordonne entre les acteurs du territoire cote français et l’État.
-Coopération plus efficace et plus cohérente avec l’ensemble des partenaires italiens, (État, régions du Piémont et de Ligurie, provinces et communes).

Alors que l’Europe est mise en exergue comme l’un des points cardinaux du traité, la coopération transfrontalière consacrée par ce même texte ne pourra qu’être plus naturellement légitime et prise en compte par les instances européennes. Dans le cadre de la cohésion et de ses stratégies alpine et méditerranéenne, l’UE intervient déjà par ses programmes et ses financements pour accompagner la coopération transfrontalière franco-italienne.

A cet égard, le «Groupement européen de collectivités territoriales» (GETC) -formé par le Parc national du Mercantour et le parc naturel Alpi Marittime- offre un exemple et une référence emblématiques. Il s’agira désormais d’aller plus loin dans la mobilisation des accompagnements institutionnels et financiers européens. Donner de la profondeur et du souffle à cette coopération transfrontalière signifie également accélérer la réalisation et/ou ouvrir de nouveaux chantiers de coopération: désenclavement de la vallée de la Roya, consolidation juridique et restauration de la ligne Cuneo-Breil-Vintimille, fin des travaux du tunnel de Tende, coopérations entre sécurités civiles, continuité transfrontalière des soins hospitaliers, lutte contre les pollutions marines, développement d’une offre touristique commune et intégrée, resserrement des relations et des échanges entre acteurs économiques, coopérations éducatives et universitaires, protection de l’environnement, etc.

Vitaminée par le Traité du Quirinal, cette coopération transfrontalière, féconde aujourd’hui, est appelée à être demain l’un des moteurs de la relation franco-italienne, un pôle innovant de cohésion territoriale, un espace de mieux vivre ensemble pour les populations concernées et, enfin, une dimension vivante et exemplaire de voisinage entre toutes les collectivités territoriale parties prenantes./.

Bernard Valero a été consul général à Barcelone, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Skopje, ambassadeur de France en Belgique, directeur général de l’Avitem (Agence des villes et territoires durables méditerranéens) et porte-parole du Quai d’Orsay.

[(

A lire aussi

La Méditerranée au temps des incertitudes.)]

Signaler un contenu ou un message illicite sur le site

Articles similaires

Aller au contenu principal