Tribune de Cheick Sidi Diarra: des pistes pour renforcer des relations durables et stables entre le Mali et la France

Publié le 1 mars 2022 à  7h30 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  15h50

Cheick Sidi Diarra, diplomate malien, ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des pays les moins avancés, des pays en développement sans littoral et des petits États insulaires en développement, soumet à la discussion un certain nombre d’éléments visant à contribuer à réparer et à renforcer des relations durables et stables entre le Mali et la France.

Cheick Sidi Diarra ©DR
Cheick Sidi Diarra ©DR

Les relations entre la France et le Mali ont été particulières depuis l’accession de ce pays à l’indépendance.

Les relations Mali-France ne sont pas un long fleuve tranquille

Elles ont toujours été jalonnées de soubresauts cycliques donnant l’impression qu’il persiste un contentieux historique qui attend toujours d’être vidé. Sinon comment expliquer autrement, à peine sorti de la crise de l’éclatement de la Fédération du Mali, le 20 août 1960, que des événements se soient succédé en cascade, éloignant un peu plus l’ancienne colonie de la métropole ? Qu’il s’agisse de la proclamation de l’indépendance du Mali, le 22 septembre 1960, de la fermeture des bases françaises au Mali en janvier 1961, de la sortie de la zone franc en juillet 1962, puis du retour au sein de la même zone en mai 1967 ; qu’il s’agisse de la première réforme de l’enseignement d’octobre 1962 ou du rapprochement progressif du Mali du bloc de l’Est pendant la même période ; qu’il s’agisse des tensions nées bien plus tard du discours de La Baule dans les années 1990, qui ont donné le ton pour le processus de démocratisation en Afrique et des tensions qui s’en sont suivies ; qu’il s’agisse de la guerre en Libye, qui a été la source de l’instabilité au Sahel, tout a été sujet de discorde entre le Mali et la France. Même les intentions et actions les plus nobles comme l’intervention militaire française, à la demande des autorités maliennes à partir de janvier 2013, se terminent dans l’acrimonie.

Pourtant ce qui lie les deux pays est plus profond qu’il n’y parait

L’histoire coloniale au Mali, qui a duré 70 ans, faite de conquêtes, de résistance et souvent de subjugation, a laissé des traces indélébiles. Elle a même façonné la personnalité de l’Africain en général et du Malien en particulier. L’une des implications du fait colonial aura été le rapprochement culturel pour ne pas dire l’assimilation culturelle contre laquelle les Maliens sont vent debout aujourd’hui.

Cet état de fait a été renforcé par la langue française qui est devenue la langue officielle, reléguant les langues nationales au second rang. L’ouverture des comptoirs français au Soudan français, comptoirs qui ont évolué dans leur dénomination après l’accession à l’indépendance du Mali, a façonné la structure de l’économie et du commerce entre les deux pays, rendant l’un très dépendant de l’autre. Les soubresauts, qui surviennent de manière cyclique, rappellent cet état de dépendance ainsi que le désir irrépressible de les faire évoluer vers des relations plus équilibrées dans lesquelles chaque acteur sort gagnant. Voilà, à mon avis, tout l’enjeu de la relation entre le Mali et la France.

Quelques suggestions pour une relation durable et apaisée entre le Mali et la France:

Le Sommet Afrique-France de Montpellier du 8 octobre 2021 aura permis d’entendre la voix de la jeunesse africaine en général et malienne en particulier sur l’état des relations Afrique-France. Les échanges ont été sans langue de bois et avec la plus grande candeur.

L’avantage de cette démarche était que le message n’était pas lié. Il n’était lié ni à des intérêts de gestion du pouvoir, ni par les contingences du moment. Cette approche, bien que ne concernant pas les décideurs du jour, présente l’avantage de projeter les relations Afrique-France dans un futur où le passif de l’histoire est apuré, où les intérêts de toutes les parties sont pris en compte, d’où tous les acteurs sortent gagnants.

Quels sont les jalons à poser pour y parvenir ?

1- Décomplexer les relations entre le Mali et la France :

Le sentiment ambiant prévalant au Mali est l’attitude dominatrice de la métropole en particulier sur les décideurs du pays, qui donnent l’impression d’une oppression.
La langue française, au lieu d’être un instrument de rapprochement est perçue d’aliénation culturelle et de domination.

Un travail mémoriel est nécessaire à mon avis. Ce travail mémoriel devrait mettre en valeur et promouvoir l’apport des peuples coloniaux dans les luttes honorables que la France a menées pour préserver son indépendance et sa souveraineté (1ère et 2e guerres mondiales), l’apport de l’histoire et de la culture multiséculaires du Mali à la civilisation de l’universel, l’apport des arts et de la musique du Mali, l’apport de l’architecture soudanienne. Pour y parvenir, une transcription de l’histoire du Mali par les Africains et par les Maliens serait nécessaire en raison de la tradition orale très marquée. Une meilleure connaissance de ces valeurs et hauts faits en métropole pourrait apaiser les relations et entraîner plus de compréhension entre les deux nations.

2 – Changer la nature des relations économiques et commerciales entre les deux pays :

Les relations économiques et commerciales entre le Mali et la France, bien qu’ayant changé de nom, sont restées inchangées depuis les indépendances. C’est le volet des relations qui suscite le plus de frustration en raison du sentiment d’exploitation tous azimuts. Le sentiment dominant est que la France exploite nos matières premières, sans frais, pour alimenter les besoins de son économie. Et quand elle n’en a pas un besoin immédiat, elle se les approprie quand même, y compris au prix de guerres sanglantes, de coups d’État ou de rébellions provoqués. Voilà la perception que les Africains en général, les Maliens en particulier se font des relations avec la France. Ils ont également le sentiment que leurs dirigeants sont à la solde de la France et que la survie de ceux-ci dépend de la préservation des intérêts de la métropole.

Comment faire évoluer les relations économiques et commerciales entre le Mali et la France ?

-A) Renforcer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises françaises.
Ce volet semble peu mis en valeur, à l’exception de la société Orange. Si les autres le font, qu’elles mettent en exergue les actions qu’elles posent en la matière ; par ailleurs la France doit mettre en œuvre les standards de transparence en matière de d’investissements, de dividendes rapatriés et d’extraction minière, le cas échéant.

-B) L’absence de transformation locale et le faible taux d’intégration local.
Le taux élevé d’intégration local est le moyen le plus sûr de créer des emplois locaux, de créer de la plus-value locale et de générer des taxes locales pour le pays. Les entreprises françaises au Mali le font peu.

-C) Le transfert de savoir-faire. Les conventions d’investissements doivent contenir des clauses de transfert de savoir-faire.
Cela n’existe pas avec les entreprises françaises. Elles investissent peu dans les secteurs primaire et secondaire, qui sont des secteurs vitaux pour le Mali. Au Mali, la France est spécialisée dans le secteur tertiaire, dans le commerce et services en particulier. Le secteur tertiaire, sans transfert de savoir-faire, accroît le chiffre d’affaires et les dividendes sans créer de plus-value pour le Mali.

-D) Il faut assumer un rôle d’incubateur de capitaines d’industrie locaux.
Un tel rôle est essentiel. Le résultat en sera de développer un sentiment d’appropriation nationale de l’économie. Pour y parvenir, l’aide publique au développement doit évoluer dans son acception actuelle.

S’il est vrai que l’aide à la résilience de la population à travers la satisfaction des besoins essentiels de base doit demeurer, il est également indispensable d’accroître le soutien à la réalisation des objectifs de l’Aide au commerce et de la facilitation du commerce (renforcement des infrastructures et des connaissances liées au commerce), la standardisation de la qualité des biens et services. Donc, à défaut d’augmenter le volume de l’aide publique au développement, il faut déplacer le curseur en faveur des investissements productifs.

L’un des obstacles majeurs à la promotion de capitaines d’industrie locaux demeure l’accès au financement. La France pourrait contribuer à contourner cette difficulté en prenant une participation dans les facilités nationales d’appui au secteur privé.

3- dissiper le complexe du Franc CFA :

Les Africains en général, les Maliens en particulier ont le sentiment que la monnaie héritée de la période coloniale contribue à perpétuer la dépendance, la supériorité de la métropole sur les anciennes colonies. Il y a une question de fond et un problème de perception qui sont liés à la question.

La question de fond mérite une analyse en profondeur par les spécialistes. La France doit créer un espace pour encourager ce débat sans chercher à l’influencer. La France devra également encourager et accompagner le processus de création de l’ECO de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest NDLR). Elle devra s’abstenir des actes freinant cet élan d’intégration.

S’agissant de l’aspect perception, la France devrait sans tarder poser des actes réduisant sa mainmise sur la monnaie : présence au Conseil d’Administration, réserves de change etc. Elle doit encourager la diversification des partenaires économiques et commerciaux pour le Mali.

4- contribuer au partage des connaissances sous une forme plus adaptée aux besoins du marché du travail :

La création d’un Centre de Recherche/Développement multidisciplinaire au Mali est aujourd’hui un «must» parce que le futur de l’économie sera celui de «l’économie du savoir». Les biens et services qui intègrent le maximum de connaissance scientifique et de savoir-faire ont plus de valeur. J’aime à illustrer cela par le fait qu’il faut 2 à 3 tonnes de coton brut pour acheter un téléphone intelligent.

La France pourrait appuyer la mise en place d’une telle institution dans les filières dans lesquelles le Mali a un avantage comparatif (agronomie, élevage, bio médicale, NTICs etc.). Elle pourrait encourager les partenariats avec les centres de recherche français, une fois la structure mise en place.

La formation académique doit se renforcer en qualité et en quantité. Les filières de prédilection doivent porter sur les sciences et leurs applications, la formation des formateurs dans les filières professionnelles. Les sciences sociales seront réservées à ceux qui veulent faire carrière dans l’académie.

Enfin, les restrictions liées au relèvement des frais d’inscription et à l’obtention des visas doivent levées concernant les étudiants qui remplissent les conditions d’admission.

5- de la mobilité des populations :

La migration ne doit pas être perçue seulement dans ses aspects négatifs. Ayant eu l’honneur de présider, à New York, la première réunion des États parties à la Convention des Nations Unies sur les droits des migrants et de leurs familles, je sais de quoi je parle.

La mobilité est dans les gènes de l’Homme depuis toujours. C’est ainsi que les premiers hommes ont migré de l’Afrique vers l’Asie et l’Europe. Cela a produit les fantastiques résultats que l’on connaît.

On ne peut pas garder les hommes en cage.

C’est pourquoi une gestion intelligente de la migration à travers un partenariat entre trois principaux acteurs est indispensable. Il s’agit de l’État d’origine, de l’État de transit et de l’État d’accueil. Cela éviterait les débordements qu’on connaît présentement.

Par ailleurs, investir dans la formation professionnelle du migrant et dans l’apprentissage lui permet de voler de ses propres ailes au retour dans son pays d’origine. Enfin, un petit fonds d’investissement à son profit, une fois de retour chez lui, l’encouragerait davantage à la mobilité. L’arme fatale dans les politiques de mobilité est l’assurance donnée au migrant de pouvoir revenir en métropole ; cela l’incite à repartir.

Cela a toujours été la politique d’immigration des États-Unis, qui permet au visiteur malien de faire des entrées multiples sur une période de 5 ans, avec ou sans permis de travail. Cela marche parfaitement bien. Les bénéficiaires de visa y restent jusqu’à 6 mois, puis ils repartent. Une violation donne lieu à une interdiction de séjour de 10 ans. Ce serait peut-être un modèle à émuler pendant un certain temps.

6- accepter le principe de la diversification des partenariats du Mali en matière de sécurité :

Cet état de fait s’impose de lui-même dans le contexte actuel caractérisé par les relations rendues entre la France et le Mali. La France doit éviter de s’inviter dans les questions de sécurité sans être invitée. Elle doit travailler à la désescalade dans ses relations tendues avec le Mali. Elle doit toujours être prête à partager son savoir-faire en matière de défense et de sécurité chaque fois que le Mali en fera la demande.
Ce sont là éléments que j’ai relevés pouvant contribuer à réparer et à renforcer des relations durables et stables entre le Mali et la France.
Je les soumets à discussion.

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