Tribune de Grégory Vignier: L’immobilisme en marche ?

Publié le 27 juin 2022 à  12h15 - Dernière mise à  jour le 8 décembre 2022 à  16h10

Non. Il n’y a pas eu de crise démocratique le dimanche 19 juin 2022. Ceux qui ont voulu voter l’ont fait. Ceux qui ne l’ont pas fait en ont eu le droit. Dans l’intervalle, aucune loi ni institution républicaine n’a été amendée ou supprimée. Rien n’a altéré le fonctionnement structurel de notre sainte démocratie.

Grégory Vignier ©LD
Grégory Vignier ©LD

Le 19 juin 2022, il n’y a pas eu non plus de crise politique. Une crise, c’est d’abord «une grave pénurie de quelque chose», rappelle le Larousse. Et de partis ou de candidats politiques, il n’en a pas manqué. Ni de propositions, fussent-elles bonnes ou mauvaises ; à chacun de juger. La crise vient plutôt de l’électeur. Un sur deux n’est pas venu voter. Les raisons sont nombreuses, autant que de commentateurs : désintérêt, aversion, protestation, déception. Souvent cumulables.

Spécificité française ?

Septembre 2021, 50% de participation aux législatives marocaines. 30% pour l’Algérie en juin de cette même année. 41% En Tunisie. En Italie et en Espagne, les dernières élections législatives ont également battu leur record d’abstention. D’ailleurs, aucune majorité n’avait remporté le suffrage, obligeant à de pénibles tractations ayant paralysé ces démocraties de très longs mois.

Il serait pourtant présomptueux d’affirmer que les citoyens se désintéressent de leur avenir ou conditions de vie : les mouvements sociaux et revendications n’ont jamais été aussi fréquents, le dégagisme et le vote populaire rarement aussi intenses parmi les 126 millions habitants de la mare nostrum.

Et maintenant ?

Un état gouverné par un président de la République élu avec 20% des inscrits au 1er tour, plus faible score de la 5e république après Chirac en 2002 (19,8%). Et un parti présidentiel pris au piège de sa propre stratégie, qui a récolté 12% des inscrits, et cherche des alliés ayant récolté encore moins.

Et demain ?

Des citoyens qui devraient assister -à grande échelle- au remake des 2 dernières années en Région Sud : des alliances politiques impensables entre adversaires d’hier, qui redeviendront sans doute adversaires demain. A la faveur d’intérêts particuliers plus que de collectifs ? Des réformes sociétales indispensables dont le LA sera joué par le centre, mais qui seront colorées au minimum de dièses ou de bémols, selon les accords de coalitions arrachés sur le moment.

Des groupes parlementaires qui imploseront, minés par leurs désaccords internes de s’allier ou non avec l’adversaire d’hier en certaines circonstances. Des « frondeurs » isolés ou bannis, des commentateurs «de petites phrases» H24 sur le pont des Buzzmédias, des militants résignés par l’illisibilité des choix de leurs leaders. Et à 24 mois d’une fin de quinquennat sans sortant, chacun tentera d’exister par tous les moyens, enfonçant un peu plus l’intérêt collectif dans des promesses pieuses.

Bien sûr, tous les futurs sont possibles : comment imaginer celui de nations intrinsèquement liées entre elles parfois économiquement, culturellement, socialement, sécuritairement, tandis que leurs peuples détournent le regard vers d’autres formes et outils de démocratie ? Comment un gouvernement et 577 députés vont renouer le dialogue populaire sans populisme, réparer une promesse républicaine abimée par 3 piliers en grande souffrance que sont l’Éducation, la Santé, la Justice ?

La réflexion n’est plus de savoir si le populisme ou la gouvernance par l’extrême fonctionne : le Brésil, les USA, l’Espagne, L’Italie et bien d’autres en ont essuyé les graves conséquences avant de corriger radicalement leur trajectoire. Emmanuel Macron avait eu en 2017 la clairvoyance de déterrer le chemin oublié de la démocratie citoyenne : un renouvellement (inachevé) du paysage politique à travers l’engagement de la société civile, de référendums citoyens, et une extinction progressive des éléphants de gauche et des barons de droite.

Cette même société civile lui a aujourd’hui répondu «chiche», en investissant les autres partis politiques, l’obligeant maintenant à digérer dans son projet cette ouverture qui lui avait permis d’accéder au pouvoir. Convaincu lors d’un 1er quinquennat jupitérien que «seul on va plus vite», le voilà arrivé au «ensemble on va plus loin», par la force de la société civile et des urnes.

C’est une bonne nouvelle en soit : la très grande majorité des élus et citoyens partagent le même diagnostic : une crise environnementale aux lourdes et multiples conséquences, et des inégalités sociales trop marquées. Et quoi de mieux qu’associer ses adversaires aux solutions pour enrichir une trajectoire commune ? Finalement et comme toujours, le collectif (même bordélique) est le vrai ferment d’une démocratie apaisée.

L’avenir appartient à ceux qui l’imaginent, et sans rêver.

[(Grégory Vignier est spécialiste des questions sociales et de prospective sociétale pour les territoires. Chargé d’enseignement vacataire à Aix Marseille Université. Citoyen engagé.)]

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