Tribune de Lucile Yapo. Le mauvais procès fait à la police ou l’imprudence du tribunal de l’opinion

Publié le 17 juin 2019 à  8h36 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h29

Les manifestations des Gilets Jaunes, investies par les black blocs et autres casseurs depuis plusieurs mois, ont porté à la une de l’agenda médiatique un triste procès des forces de police et de gendarmerie. Les gardiens de la paix, et par extension le gouvernement, sont régulièrement accusés de répression brutale à l’égard des «manifestants» – les fameuses «violences policières», qui resteraient toujours impunies. Ce procès permanent oblige à revenir sur la réalité des rapports entre policiers et citoyens : loin du fantasme d’un système organisé de violences visant la population sur ordre des puissants, le maintien de l’ordre- garantie de nos libertés les plus fondamentales – est assuré par des hommes et des femmes ordinaires dans leurs limites, exceptionnels dans leur engagement.

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©  Lucile Yapo
© Lucile Yapo

Il s’agit d’abord de garder en tête que les policiers sont des êtres humains susceptibles de manquements à l’éthique professionnelle, sanctionnés par la loi. Cela ne saurait être dissocié de la pression psychologique titanesque qu’ils subissent : le comportement des CRS et gendarmes mobiles est louable -et doit être loué- dans une écrasante majorité des cas. Dans les situations qui sont effectivement condamnables, les auteurs font l’objet d’enquêtes administratives et le cas échéant de poursuites pénales -ce que le procureur de Paris, Rémy Heitz, a réaffirmé le 30 mai 2019. Depuis le début de la crise des Gilets Jaunes, 174 enquêtes ont été ouvertes auprès des inspections générales (police et gendarmerie) et sont susceptibles d’évoluer vers les tribunaux : uniforme ou non, toute infraction au Code pénal et à la déontologie de la profession sera sanctionnée.

Les vidéos qui tournent sur les réseaux sociaux sont des éléments pouvant aider la justice mais ne constituent en aucun cas la démonstration absolue d’une réalité -les faits s’inscrivant souvent dans un contexte bien plus complexe, il revient à la justice de les analyser en détail. Contrairement à ce que certains commentateurs aiment à penser, l’appareil d’État n’encourage pas les forces de l’ordre à faire usage de la violence sauvage ou de la brutalité. L’administration n’est pas non plus complaisante avec les forces de l’ordre. L’expression «violences policières» doit donc être employée avec la plus grande prudence, sous peine de relayer l’idée dangereuse que les professionnels chargés de notre protection forment un bras armé uniformisé au service aveugle du pouvoir, couvert par un dispositif d’impunité généralisé. Les policiers et gendarmes sont pourtant des citoyens : indépendamment de leur travail, ils peuvent adhérer au ressenti ou à certaines revendications des véritables Gilets Jaunes. Toutefois, ils ont choisi d’investir une part importante de leur vie au service du respect de la loi -car ils sont convaincus que c’est dans la légalité que doivent se structurer les désaccords, afin de rester audibles et porteurs de sens.

Il serait hasardeux de faire découler de cette humanité des gardiens de la paix un parallèle entre les «violences policières» et les dérapages du mouvement des Gilets Jaunes. Deux éléments majeurs diffèrent. D’abord, les conditions de travail des forces de l’ordre, extrêmement difficiles, sont à prendre en compte : face à des insultes et des agressions répétées, ils doivent obligatoirement garder leur sang-froid. Plus encore, la fonction même des policiers et gendarmes coupe court à cette comparaison : le recours légitime à la force est partie intégrante de leurs prérogatives -certes en derniers recours, mais cela marque une nette différence avec les manifestants violents qui n’ont aucun droit à dégrader l’espace public ou à attaquer quiconque. Dès lors, la véritable question est celle de la légitimité et de la proportionnalité : l’appareil de sécurité a-t-il fait usage de la force de façon légitime et proportionnelle ?

Les reproches adressés à la police se fondent sur l’idée que les manifestations sont un lieu d’affrontement entre les «gros bras» du gouvernement, provocateurs et brutaux, et d’honnêtes citoyens, parfois «momentanément égarés», sinon révoltés dont la cause excuse la faute. Le politiquement correct et la complaisance à l’égard des manifestants les plus violents contribuent tout autant à dénigrer les policiers et les gendarmes qu’à encourager le non-respect de l’ordre républicain -pourtant principe fondateur de l’État de droit, dont l’appareil de sécurité est le premier protecteur. Si exprimer son mécontentement est une liberté fondamentale, cela n’est pas synonyme d’agressions ou de dégradations.

Le cœur du problème réside en l’accentuation d’une «culture de la violence» portée notamment par l’ultragauche. Les black blocs, en investissant les manifestations, cherchent à provoquer les policiers et gendarmes en espérant des dérapages qui permettraient d’accréditer la thèse de l’explosion des «violences policières». Les fauteurs de trouble renchérissent ensuite en «représailles» et donnent naissance à un effroyable cercle vicieux. Les argumentations fallacieuses encouragent tacitement la pratique répétée de l’opposition violente face aux forces de l’ordre, sans tenir compte, par exemple, du nombre d’agressions subies par des gendarmes ou des policiers depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes.

Mettre l’accent sur le partage d’une culture commune de sécurité semble indispensable. Le respect de l’ordre, la fermeté contre les violences et donc la diminution des « bavures » policières ne pourront se réaliser qu’avec le concours de la responsabilisation de chacun. La manipulation opérée par des groupes minoritaires radicaux et violents qui consiste à faire des policiers et gendarmes des boucs émissaires pourrait avoir des conséquences désastreuses. A l’heure où des agitateurs appellent les forces de l’ordre au suicide – elles qui sont dans un tel état de lassitude morale et physique que 28 suicides sont déjà recensés en 2019 –, la question n’est plus de savoir qui des policiers ou des manifestants passent pour les « méchants », mais de décider quel modèle de société nous voulons voir gagner.
Lucile Yapo est adjointe au maire de Villejuif (94), en charge de la jeunesse.

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