Tribune de Salomé Vion. Reconnaissance faciale dans l’espace public : prolifération d’une technologie risquée

Publié le 29 septembre 2021 à  8h58 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47

Tant critiquée pour son potentiel de surveillance de masse et invisible, que convoitée pour ses bénéfices sécuritaires, la reconnaissance faciale ne cesse de faire parler d’elle. Actuellement restreinte à l’usage expérimental, l’aspiration à généraliser cette technologie dans l’espace public, se fait chaque jour plus évidente.

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Une technologie à hauts risques

La reconnaissance faciale est un dispositif biométrique qui détient deux fonctions : l’identification et l’authentification. L’identification permet de répondre à la question qui suit : qui est la personne qui se présente à nous ? L’authentification permet quant à elle, de vérifier que la personne qui se présente est réellement celle qu’elle prétend être. La reconnaissance faciale constitue un dispositif biométrique particulier. En effet, c’est le seul dispositif capable de collecter les données à distance. Là où sont exigées des actions positives -tendre le doigt pour la reconnaissance digitale, prononcer des paroles pour la reconnaissance vocale ou approcher son œil pour la reconnaissance oculaire- la reconnaissance faciale ne requiert aucune action spécifique. Il est donc extrêmement aisé de collecter des données biométriques (qualifiées de «sensibles» par le Règlement Général sur la Protection des Données) sans l’accord de son propriétaire.

La protection des libertés individuelles s’arrêterait-elle là où commence la défense de la sécurité publique ? Imaginez qu’une personne soit identifiée à la sortie d’une mosquée ou lors d’un meeting politique. Imaginez à quel point il serait facile de récupérer en plus de ses données biométriques (identité de la personne), d’autres données sensibles comme des données indiquant les opinions religieuses ou politiques. Suivant le postulat qu’il faut surveiller tout le monde pour n’en condamner qu’un, la France pourrait tendre vers la «dictature parfaite» tant redoutée, d’Aldous Huxley. C’est à dire, une «dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s‘évader, un système d‘esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l‘amour de leur servitude».

Un contexte propice à la prolifération de la reconnaissance faciale

La société d’aujourd’hui impose de répondre rapidement aux exigences des consommateurs 2.0. Parmi ces nouvelles exigences, le confort numérique se place en tête d’affiche. De ce point de vue, la reconnaissance faciale peut s’adapter à cette forte demande. En l’identifiant distance, la simple présence de l’individu lui permettra d’accéder au lieu qu’il convoite sans qu’il lui soit nécessaire d’effectuer une quelconque action. Elles s’opposent alors aux traditionnels mots de passe qui nécessitent une action volontaire de la part de l’individu ainsi qu’une possibilité d’être oubliés.

Le contexte sécuritaire dans lequel se développe la reconnaissance faciale est également porteur de manifestations positives quant à sa généralisation. La peur des attentats a fait naître un sentiment d’insécurité constant pour la population française. De ce sentiment d’insécurité peut découler la mise en place d’une «politique de la peur» qui prendrait racine dans le fait pour les autorités publiques, d’assoir leur légitimité en tentant de rassurer tout un peuple. Est ainsi illustré le lien entre deux notions insécables. Le sentiment d’insécurité effraie et influence le comportement humain.

Pour ne plus le ressentir, les usagers semblent prêts à faire des compromis ; et potentiellement, accepter plus facilement l’instauration de la reconnaissance faciale comme instrument sécuritaire. Le contexte actuel qui tend favorablement à la généralisation de la reconnaissance faciale impose l’anticipation des conséquences de cette dernière.

La nécessité d’anticiper les conséquences à la généralisation de la reconnaissance faciale

Dans le cadre expérimental, le traitement des données à caractère personnel a pour base légale le consentement. Ce sont les citoyens, qui ont le choix -comme l’expérimentation de la reconnaissance faciale lors du carnaval de Nice- d’accéder à la zone par une entrée soumise à la reconnaissance faciale, ou non. Si la reconnaissance faciale était généralisée dans l’espace public, elle ne pourrait plus se baser sur le consentement. En effet, une personne ayant commis une infraction et recherchée pour cela, serait très naturellement, non consentante pour se faire identifier via un dispositif de reconnaissance faciale. La base légale la plus adaptée serait donc la mission d’intérêt public. La CNIL confirme d’ailleurs ce choix en affirmant que si ce dispositif était généralisé et utilisé à des fins de sécurité ou de prévention, il n’aurait plus lieu de faire application du Règlement Général sur la Protection des Données, mais de la Directive Police justice du 27 avril 2016, dont le consentement des personnes ne peut constituer une base juridique valide au traitement des données à caractère personnel.

Le principal changement entre expérimentation et généralisation réside donc dans le fait que les citoyens n’auront plus le choix d’être identifiés via la reconnaissance faciale, mais cette technologie s’imposerait à eux. En plus du haut risque de détournement d’usage, naît le risque de l’instauration d’un déséquilibre entre la protection des droits et libertés fondamentales, et la promotion de la sécurité publique, en faveur de cette dernière. La nécessité de pallier ce déséquilibre pourrait se manifester dans la mise en place de finalités strictes et justifiées pour l’utilisation de la reconnaissance faciale, ainsi que dans le respect des garanties octroyées aux individus.

Une évaluation des besoins paraît donc primordiale afin d’établir des strictes finalités. Par suite et pour vérifier que les finalités soient correctement justifiées, il faudra répondre négativement à la question suivante : existe-il des moyens moins intrusifs pour les droits et libertés fondamentales qui parviendraient au même résultat quant à l’objectif sécuritaire ? Sur les garanties octroyées, les textes nationaux et internationaux établissent déjà de nombreuses garanties à l’égard des individus. L’urgence reviendrait donc à établir des mécanismes rigoureux permettant d’assurer leurs respects.

La refonte du cadre normatif apparaît indispensable tant les nouveaux enjeux bousculent les codes actuels. Et puisque les problématiques relatives à la prolifération de la reconnaissance faciale dans l’espace public sont généralement communes à l’Europe, pourquoi ne pas instaurer une réforme globale à l’échelle européenne ? Et puisque l’humain sera le premier impacté par l’instauration de cette technologie, comment le placer au cœur du développement ? Au vu des risques considérables, il n’est plus uniquement question de savoir ce qui est possible d’un point de vue technique ou juridique, mais de prendre en considération ce qui est souhaitable sur le plan humain en démocratie.

Finalement, l’instauration d’une politique naissante où l’encadrement est encore à prévoir est une véritable aubaine. Il s’agirait d’éviter le célèbre adage de Raymond Aron : «Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux».

[(Salomé Vion est titulaire d’un master I Droit du numérique – termine un double diplôme franco-espagnol- master II Droit du cyberespace : technologies et innovations numériques et un master espagnol de biodroit (« Derecho, Ética y Ciencia »). Dans le cadre de ce cursus universitaire, elle a réalisé un mémoire de recherche sur le thème suivant : « La reconnaissance faciale dans l’espace public ».)]

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