Tribune de Yvon Berland, Jean-Paul de Gaudemar et Cathy Racon-Bouzon: « A Marseille, ne pas tout faire pour réussir la rentrée du 11 mai, c’est accepter le décrochage scolaire de milliers d’enfants »

Publié le 9 mai 2020 à  9h17 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47

Yvon Berland, Cathy Racon-Bouzon et Jean-Paul de Gaudemar (Photo archive Bruno Angelica)
Yvon Berland, Cathy Racon-Bouzon et Jean-Paul de Gaudemar (Photo archive Bruno Angelica)

La réussite de l’exceptionnelle rentrée scolaire du 11 Mai est un volet essentiel de la réussite du déconfinement et du redémarrage de notre pays après le Covid. Si nous avions mis l’école au cœur de notre programme électoral dans la campagne des municipales à Marseille de mars, c’est parce que nous savons qu’elle est le précipité de toutes les inégalités. Elle les reflète, elle en est une des sources principales mais en même temps elle est le creuset de toute reconstruction. Toute ambition ne peut que partir d’elle. Marseille ne pourra jamais être la ville éducative du XXIe siècle ni même simplement sortir de ses impasses actuelles si elle ne commence pas par rénover ses écoles, les doter des outils et des conditions de travail indispensables mais aussi réduire les inégalités entre écoles et transformer profondément la relation de la ville et de ses citoyens à l’école. Surtout là où le besoin d’école est le plus fort. Et il est si fort dans tant de quartiers.

C’était vrai avant le Covid. Après, l’urgence est encore plus grande. Tant de témoignages démontrent que les principales victimes de la fermeture des écoles, due à l’épidémie, sont les élèves des quartiers populaires dont une proportion importante a disparu du radar des enseignants et de leurs écoles, avec des risques considérables de décrochage durable, ou à tout le moins de retards scolaires aggravés. La scolarité de ces enfants, peut-être leur avenir, peuvent avoir pris un coup difficilement surmontable.

Les soignants ont été et sont admirables parce qu’ils mènent un combat sans relâche contre le virus malgré l’état des hôpitaux, malgré leurs conditions de travail difficiles, et face à une maladie dont ils ignoraient et ignorent encore presque tout. Mais ils ont été et sont aussi admirables dans le combat contre les inégalités face à la maladie. Faute de pouvoir accueillir toutes les personnes présentant des symptômes, ils ont choisi de donner une priorité aux cas les plus graves, notamment ceux pour lesquels un diagnostic vital est engagé. Si les Français les applaudissent chaque soir, c’est parce qu’ils veulent saluer ce professionnalisme volontaire et imaginatif, soucieux d’accomplir sa mission malgré ses si nombreuses contraintes d’exercice et démontrant ainsi par l’exemple combien notre système de santé mérite d’être soutenu.

C’est un défi semblable qui attend les enseignants et les autres personnels du système éducatif en cette rentrée exceptionnelle du 11 Mai. Comme les soignants, ils vont exercer dans des conditions difficiles. Pour respecter les contraintes de sécurité sanitaire, ils ne pourront pas accueillir tout de suite tous les élèves. Ils devront respecter et faire respecter de nombreuses contraintes dont les gestes barrières. Mais en même temps, ils vont offrir une chance à tous ces enfants que le confinement a éloignés de l’école et que l’école a perdus de vue depuis des semaines, malgré les efforts faits par les enseignants en matière de travail à distance. Dans certains quartiers, notamment les plus pauvres de la ville, le pourcentage en est considérable. Ces enfants sont en grave danger, au moins de décrochage scolaire difficilement rattrapable. Ce sont ces enfants qui doivent être prioritairement accueillis. Les enseignants savent parfaitement les identifier, que ce soit à l’école primaire, au collège ou au lycée. Et, parce qu’ils sont comme les soignants soucieux du bon accomplissement de leur mission, ils sauront surmonter toutes ces contraintes. Mieux, ils sauront les transformer en atouts pédagogiques, grâce à la petite taille des groupes accueillis. Même la distanciation sociale pourra être utilisée comme une occasion de prêter plus de temps et d’attention aux situations individuelles des élèves les plus fragiles. Nous faisons confiance à leur professionnalisme et à leur imagination créatrice.

Mais pour autant, les enseignants et les autres personnels auront besoin d’être portés par le même élan de solidarité et de confiance que celui dont bénéficient les soignants. Nous devons être avec eux, derrière eux, tous, municipalités, centrale et de secteurs, autorités académiques mais aussi parents, associations et finalement toute la ville, tout entière concernée par la réussite de son école. Comme les soignants nous devrons les applaudir chaque jour. Pour les remercier mais aussi pour enjoindre tous les responsables à tout faire pour que leurs conditions de travail soient à la hauteur de leur mission exemplaire. A ceux qui prétendent que cette réouverture n’a lieu que pour des raisons économiques, nous disons qu’ils laissent croire que l’école n’est qu’une commodité pour les parents qui travaillent, nous disons qu’ils oublient la fonction essentielle de l’école, celle d’éduquer, celle qui, pour des milliers d’enfants, est la première chance de leur vie. A ceux qui inquiètent ou s’inquiètent de cette rentrée, nous disons qu’il y a pire que « jouer avec le feu », c’est priver de lumière des enfants dans l’obscurité.

Yvon Berland est Professeur Émérite de Médecine – Doyen Honoraire de la faculté de Médecine de Marseille- Président Honoraire d’Aix Marseille université – Jean Paul de Gaudemar – Ancien recteur de l’Académie Aix Marseille – Cathy Racon-Bouzon est députée LREM des Bouches-du-Rhône

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