Tribune du Pr. Gérard Bramoullé: à propos du budget 2018 de la Métropole Aix-Marseille Provence

Publié le 21 décembre 2017 à  15h04 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h50

En mai dernier, Gérard Bramoullé, 1er adjoint de la ville d’Aix-en-Provence, vice-président métropolitain, membre de la commission métropolitaine, « Finances et administration générale » publiait un essai intitulé «Metropolis 2017 (ed.Prolégomènes) montrant «l’impasse financière dans laquelle se trouve la métropole Aix-Marseille Provence». Ce jeudi 14 décembre était présenté au conseil métropolitain le budget primitif pour l’exercice 2018. «Sans doute inquiets des vérités que le grand argentier de la ville d’Aix-en-Provence allait dire, les partisans de cette métropole ont essayé de m’empêcher de m’exprimer (déconnexion de la console de prise de parole, dysfonctionnement des micros , vociférations cherchant à couvrir la voix de l’intervenant, etc.)», indique-t-il. Et, «en tant que contribution à un fonctionnement démocratique des débats», il revient dans cette Tribune sur l’analyse du Budget Primitif (BP) 2018 qu’il a présentée en séance.

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Le BP 2018 est intéressant car il confirme l’essai du mois de mai : avec les chiffres de ce budget, la métropole, telle qu’elle est bâtie et qu’elle fonctionne, se réfute elle- même. Ce BP est économiquement mortifère, territorialement injuste, et légalement fragile.
1. Économiquement mortifère…
…. car il entérine un effondrement des investissements métropolitains. En 2016, le budget principal (hors budgets annexes) des 6 communautés composants l’aire métropolitaine proposait plus de 600 millions d’euros d’investissements. En 2017, le premier budget principal élaboré par la seule métropole ne proposait plus que 477 millions d’euros d’investissements et en 2018, le chiffre tombe à 407 millions ! En 2 ans, l’existence de la métropole fait perdre près de 200 millions d’investissements à nos territoires. Quand on connait le rôle clé des investissements dans la croissance économique et l’emploi, cet effondrement ne peut que peser négativement sur la situation économique des territoires. Pourquoi l’installation de la métropole ne permet pas de maintenir le volume antérieur de l’investissement ? Parce qu’elle est incapable de le financer, en respectant le Pacte financier des communes, à cause de la dette héritée de la CUM et du SAN OUEST. Pour financer des investissements, il faut, à côté des subventions d’équipements, de l’autofinancement (épargne) et des emprunts. Or, l’autofinancement du BP 2018 est trop faible. Dans le budget principal (hors des transferts de compétence), le virement de la section de fonctionnement à la section d’investissement chute de 82% par rapport à 2017, pour ne produire que 6 millions d’euros. En ajoutant les amortissements, l’épargne nette ne génère que 15,7 millions, alors que le pacte financier préconise 159 millions d’épargne nette ( 39% d’autofinancement des investissements) pour avoir une bonne trajectoire financière. (Si l’on ajoute à l’épargne nette les 120 millions de charges de la dette liés à la part des annuités correspondant au remboursement du capital, on obtient l’épargne brute , elle plombée par poids de la dette.)

Quant aux emprunts, le budget principal prévoit encore d’accroître la dette de 298 millions [[Presque 10% de ce montant est souscrit par l’Agence France Locale. Une agence qui est en fait une banque dont la ville de Marseille et la métropole sont actionnaires et qui est spécialisée dans les emprunts obligataires. Des emprunts très dangereux en période de hausse des taux, car alors leur titrisation (leurs obligations) voit leur valeur baisser; au point que la métropole doit garantir à 100% les emprunts effectués pour que l’Agence soit protégée de ce risque. Une garantie qui transfère le risque à la métropole…]] quand le pacte financier préconise de se limiter à 94 millions (23% des investissements). Ainsi, dès l’exercice 2018, l’encours de le dette atteint 1,9 milliards, montant qui ne devrait être atteint que plus tard, et montant -seuil au delà duquel les budgets à venir ne pourront être équilibrés sauf à faire sauter les garde-fous du pacte. Le BP 2018 effondre les investissements à cause du poids de la dette passée, mais continue à charger la dette…. pour payer des annuités . La métropole est ainsi dans une spirale infernale mortifère, et ressemble à un «trou noir» dans lequel sont absorbées les forces vives des territoires.

2 . Territorialement injuste.
Le budget principal comporte deux types de lignes budgétaires : celles qui définissent les crédits disponibles pour le «centre» (de la métropole), et les dotations affectées à la «périphérie» ( les territoires). Pour 2018, il faut peut-être faire des économies sur les dépenses, mais la répartition des efforts, des crédits entre le centre et la périphérie est injuste:
-pourquoi les crédits de fonctionnement des territoires chutent de 11,5 % et ceux du centre seulement de 5% ?
-pourquoi les crédits d’investissements des territoires chutent de 18% , alors que ceux du centre augmentent de 6% ?
Tous les territoires sont injustement traités, et leurs investissements de 2018 -328 millions- représentent à peine plus que la moitié de ceux de 2016. La métropole vampirise les territoires au nom d’une conception supra- communale et non inter-communale de cette institution.

Le sort le plus inacceptable est celui du Pays d’Aix . Seul territoire pour lequel l’engagement de maintenir les montants de la Dotation de Solidarité Communale n’est pas respecté (manque plus de 4 millions), le Pays d’Aix est le plus mal traité. Sa dotation globale de gestion n’est que 7% du budget principal, alors qu’il représente 40% des communes (36 sur 92) , 42,3 % de la superficie de l’aire métropolitaine, et 21% des ressources fiscales totales. Le Pays d’Aix est le territoire qui a le dynamisme fiscal le plus important, ses ressources fiscales ayant augmentées en 2017 de 12,5 millions, alors que la CUM n’a produit que 8,5 millions de plus sur la même période. Ce dynamisme ne va pas durer quant on sait qu’en 2018 sa dotation des investissements chute de près de 80 millions depuis 2016: BP2016 = 220 millions – BP2017 = 170 millions – BP2018 = 146 millions. Et la chute ne peut que s’accélérer en 2019… Alors même que le Pays d’Aix pouvait financer 220 millions d’investissements sans déstabiliser son budget. L’indignation que soulève l’objectivité des chiffres réveille une protestation morale quand on sait que cette injustice est due aux errements passées , en particulier des responsables de la gestion de la CUM, les mêmes qui contraignent aujourd’hui injustement nos territoires.
Raymond Aron :«Le recours aux procédés de contraintes pour sortir de crises que l’on a soi-même crées ou aggravées, me parait très typique de la manière dont on glisse vers des régimes totalitaires» ( Croire en la démocratie, 1933-1944, ed. Pluriel, 2017).

3- Légalement fragile…
…par la façon dont sont traités les transferts de compétences des communes vers la métropole. Ces transferts de compétence s’accompagnent de transferts de moyens qui affectent les allocations de compensation des communes et donc le budget 2018. Les transferts de moyens sont normalement déterminés avec les évaluations de la CLECT (commission locale d’évaluation) sur la base des informations fournies par les communes. Or, le calendrier pour la collecte des données par les communes a été trop serré; la précipitation s’accompagne alors d’une improvisation institutionnelle engendrant une insécurité juridique. La métropole n’étant pas en mesure d’assurer le fonctionnement des compétences transférables, et refusant d’appliquer la souplesse recommandée par le Premier ministre, en particulier pour le transfert de la compétence «eau et assainissement», propose un montage institutionnel fragile. Les communes apprennent le 20 novembre qu’il va y avoir des conventions de gestion confiant aux communes l’exécution des compétences transférées. Ces conventions sont transmises le 28 novembre, sans concertation, et intégrées au BP 2018 du 14 décembre. Mais si les compétences sont dites transférées, les personnels ne sont pas toujours transférés car il n’est pas encore possible (budgétairement ? ) d’homogénéiser leurs situations.
En outre, les remboursements des dépenses effectuées par les communes en application des conventions de gestion sont plafonnées par les évaluations de la CLECT qui peuvent être différentes des dépenses effectives. Est-il légal de transférer une compétence sans transférer le personnel correspondant? Est-il normal d’imposer aux communes des remboursements des conventions de gestions différentes de leurs dépenses effectives ? N’est-ce pas introduire un doute sur la sincérité du budget ?

Gérard Bramoullé est également un économiste. Professeur de sciences économiques, il a enseigné à l’université Aix-Marseille III et fut le doyen de la faculté d’économie appliquée

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