Tribune du Pr. Gilbert Benhayoun – 2005. Le retrait israélien de la Bande de Gaza

Publié le 9 août 2017 à  19h06 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h19

Il y a 12 ans, en août 2005, commençaient les opérations d’évacuation des civils israéliens de la Bande de Gaza où résidait à l’époque 1.7 million de palestiniens et occupée depuis juin 1967, ainsi que de quatre implantations situées dans le nord de la Cisjordanie. La décision de ce désengagement du nord de la Cisjordanie ouvrait la possibilité ultérieure d’un désengagement total de l’ensemble des territoires palestiniens. Cependant, cette politique d’extension du retrait a été remise en cause, d’une part parce qu’en avril 2006 Ariel Sharon a été démis de ses fonctions de Premier ministre, à la suite d’une attaque cérébrale, et d’autre part, parce qu’en juillet de cette même année débutait le conflit entre Israël et le Hezbollah libanais.

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Le plan de désengagement consistait, d’une part, à réduire au maximum la présence d’israéliens dans les territoires palestiniens, et d’autre part, à renforcer la sécurité du pays. Cette décision fut, à notre sens, courageuse et positive. D’ailleurs la communauté internationale ne s’y est pas trompée, approuvant et même louant la décision d’Ariel Sharon, espérant sans doute une relance du processus de paix, bloqué depuis des années, et une occasion de reprendre en main la Feuille de Route, proposée par le Président Bush en avril 2003, seul document accepté en principe par l’ensemble des parties au conflit. Le plan, présenté en avril 2004 par Sharon, alors Premier ministre, s’est heurté à l’opposition de la majorité de son propre parti, le Likoud, et a entraîné la démission de Netanyahu, ministre des Finances d’alors. Malgré cette opposition, le plan avait reçu l’aval du Conseil des ministres et du Parlement. Une autre victoire fut que le 9 juin 2005, la Cour Suprême a considéré (dix voix contre une) que toute loi qui s’opposerait à ce plan serait inapplicable car le territoire saisi après une guerre ne fait pas partie d’Israël. Cette décision de désengagement fut prise explicitement de manière unilatérale et sa mise en œuvre fut également décidée unilatéralement. Si le caractère unilatéral de la décision peut se comprendre et ne porte pas à des critiques graves, en revanche le fait de n’avoir pas coordonné avec les Palestiniens les opérations concrètes sur le terrain d’évacuation n’est pas exempte de critiques. Reprenons.

1. La décision unilatérale.

Ariel Sharon, estimant que les Palestiniens n’étaient pas prêts à accepter les paramètres de la Feuille de Route, du moins, tels que ceux-ci étaient interprétés par lui, décidait de manière unilatérale le désengagement. Au fond, puisque la négociation n’avait pas permis d’aboutir au divorce à l’amiable, restait alors, selon un commentateur, cité par le professeur Alain Bockel [[A. Bockel, «Le retrait israélien de Gaza et ses conséquences sur le droit international.» Annuaire français de droit international, 2005]], la répudiation, le divorce supposant l’intervention d’un juge ou le consentement mutuel. Il concevait alors le Plan de Désengagement sans rechercher la coopération avec les Palestiniens. A cette époque, Mohamed Dahlan, ministre de l’Autorité palestinienne, alors responsable de la sécurité à Gaza, notait l’atmosphère de non coopération concernant les opérations de retrait, pour la regretter : «As far as I can see there has been no cooperation… when we declared our willingness to cooperate, Israel backtracked dozen of steps». Quatre raisons peuvent expliquer la décision du retrait. En premier, il considérait, à tort ou à raison, qu’il n’avait pas de partenaires en face avec qui négocier. La seconde, concernait la réaction internationale qu’il espérait positive. Ainsi, le vote du Conseil des ministres intervint le 24 octobre, quelques jours avant les élections présidentielles américaines. La troisième relevait de considérations de politique intérieure. Les sondages indiquaient qu’à cette époque 60 à 70 % des Israéliens étaient en faveur du désengagement. Enfin, la quatrième, sans conteste la plus importante, est la prise en compte des réalités démographiques. Les trois autres sont secondaires. Il est fort probable que ce sont les considérations démographiques qui ont incité A. Sharon à décider le retrait de Gaza. Quelques chiffres. En 2003, à la veille du retrait, le pourcentage de la population juive d’Israël, en y incluant ceux qui vivent à Jérusalem-est et dans les hauteurs du Golan, était de 76.3% (71.1% en 2020). Si on prend comme base l’ensemble de la population vivant à l’ouest du Jourdain, et comprenant Israël, la Cisjordanie et la Bande de Gaza, alors le pourcentage de juifs n’était plus que de 49% (40% en 2020). La population juive aurait été minoritaire et le rêve sioniste de construire un État pour les juifs, trop souvent persécutés, s’évanouissait. Depuis la loi fondamentale de 1992, Israël se définissait comme un État juif et démocratique. L’annexion de l’ensemble des territoires palestiniens aurait remis en cause les fondements de l’identité d’Israël. En revanche, en évacuant la Bande de Gaza, cette «menace démographique» était écartée, le pourcentage de la population juive dans l’ensemble constitué d’Israël et de la Cisjordanie passait alors à 57% et Israël peut continuer à se définir en tant qu’État juif et démocratique. Un autre aspect positif du retrait est qu’une frontière séparant les Israéliens des habitants de Gaza était clairement définie. Rappelons, à cet égard, qu’entre Israël et les territoires palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, une ligne de démarcation, dite ligne verte, les séparent depuis 1949, il ne s’agit pas d’une frontière au sens juridique du terme. Le retrait des troupes israéliennes trace de facto une frontière.

2. La mise en œuvre unilatérale.

En termes diplomatiques et politiques, la logique aurait commandé d’organiser le retrait avec l’accord de Mahmoud Abbas, qui venait de prendre la place de Yasser Arafat, et, à tout le moins, de coordonner avec lui les opérations de retrait. Ce ne fut pas le cas. Israël quittait la Bande Gaza, sans se préoccuper de la suite. Aussi, le mouvement islamiste, le Hamas, s’est empressé d’annoncer publiquement que le crédit du retrait lui revenait, augmentant ainsi sa popularité auprès de la population. Aussi, en 2006/2007 le mouvement islamiste, branche palestinienne des Frères Musulmans, prenait le contrôle total de Gaza, chassant de manière brutale l’Autorité palestinienne, qui était dirigée, depuis Ramallah, par Mahmoud Abbas. Mohamed Dahlan avait dû alors s’enfuir pour les pays du Golfe. Le retrait avait créé un précédent, indiquant, par voie de conséquence, qu’Israël était prêt à opérer un désengagement unilatéral de 100% d’un territoire conquis en 1967, sans rien demander en retour. Pour Amos Yadlin et Gilead Sher [[Amos Yadlin, Gilead Sher, «The Disengagement, Twelve Years On : Implications, Lessons, and an Eye toward the Future.», INSS, août 2017]], il aurait été plus avisé de conserver une implantation israélienne au nord de la Bande de Gaza, pour pouvoir négocier son retrait ultérieur dans le cadre de négociations sur un futur accord, «as a bargaining chip for future negociations for an agreement. Leaving a settlement bloc (…) and refraining from evacuating the entire Jewish population could have provided a basis for similar processes in a future West Bank measure. It could also have provided Israel with security advantages, and reduced the pain and cost of evacuation». Sur le plan interne, le rapatriement des 7 500 colons n’a pas été correctement préparé. C’est ce que la Commission d’enquête notait dans son rapport officiel, pour qui l’État a échoué dans son traitement des évacués, et n’a pas correctement organiser les opérations de réinstallation en Israël. La Commission avait alors conclu que la responsabilité de cet échec incombait au Premier ministre.

En conclusion quelles leçons pour le futur peut-on tirer de cette opération ?

En premier, la décision du retrait pose la question de savoir si la solution de deux États est encore valable aujourd’hui. Pour Yadlin et Sher, si la solution de deux États est prioritaire et si Israël veut conserver le double caractère, d’être à la fois un État démocratique et juif, alors la décision du retrait de Gaza était louable. D’ailleurs, cette solution a encore aujourd’hui la faveur aussi bien des Israéliens que des Palestiniens, mais pour ceux-ci dans une moindre proportion. Un sondage effectué conjointement auprès des populations israélienne et palestinienne en février 2017 indiquait que 55% des Israéliens (50% des juifs et 82% des arabes) et 44% (47% en mars 2017) des Palestiniens se prononçaient en faveur d’une solution à deux États [[Ce qui est intéressant à noter sont les réponses données par les israéliens et les palestiniens concernant leur propre estimation de ce que pensent les israéliens et les palestiniens. Les israéliens ont tendance à sous-estimer la solution de deux Etats. Ils répondent que d’après eux seulement 26% des israéliens seraient en faveur d’une telle solution et 63% s’opposeraient. L’auto-estimation des palestiniens est, en revanche, correcte : 41% seraient, chez eux, en faveur de la solution à deux États.]].
La seconde leçon est qu’il est préférable pour les deux parties d’arriver à la solution de deux États à partir de négociations. Toute opération ultérieure de retrait doit s’effectuer, du côté israélien, de manière programmée, afin d’éviter le sentiment de non préparation qui, jusqu’à aujourd’hui est reprochée par les Israéliens. Du côté Palestinien, il est difficile de concevoir des négociations sérieuses tant que la division entre le Hamas et le Fatah perdure. Il faut espérer que les négociations actuelles patronnées par les Égyptiens aboutissent à réconcilier les deux parties. Enfin, il serait souhaitable que les pays arabes de la région, l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, s’impliquent et participent aux futures négociations, peut-être dans le cadre de l’Initiative Arabe de Paix de 2002.

Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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