Tribune du Pr. Gilbert Benhayoun: Autre temps, autres mœurs. En mer Méditerranée, un convoi d’exilés d’Espagne à Marseille en 1492

Publié le 8 septembre 2021 à  12h27 - Dernière mise à  jour le 9 décembre 2022 à  14h16

Par une loi du 17 septembre 1394, le roi de France, Charles VI avait décidé d’expulser «sans privilège in exception» les juifs qui demeuraient encore dans son royaume. L’édit se permettait d’ajouter «comme les juifs sont responsables de la famine, avec leurs départs nous ne souffrirons plus jamais». Ils partiront vers l’Allemagne, les États ottomans, la Palestine, la Savoie, les États du Pape, la Provence.

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Environ un siècle après, l’histoire se répète. Le 31 mars 1492, la reine Isabelle de Castille et son mari Ferdinand d’Aragon signent un édit d’expulsion par lequel ils laissent aux juifs d’Espagne jusqu’au 31 juillet pour se convertir ou quitter le pays.

Plus d’une centaine de milliers de juifs et de marranes (faux convertis) choisissent l’exil. Ils s’établissent dans les États musulmans d’Afrique du Nord, à Salonique, cité grecque sous souveraineté ottomane, ou encore au Portugal ou dans les États du Pape, où leur sécurité est assurée. Dans cette ambiance de migration massive forcée, un événement surprenant va concerner la ville de Marseille.

En août 1492, un certain Bartholomée laufredi, capitaine d’un galion, originaire de la ville de Nice, intercepte 118 juifs aragonais, les avait capturés et amenés sous bonne garde sur ce galion, dans le port de Marseille, où il les retenait prisonniers. L’intention avouée du capitaine était, soit de faire racheter ces malheureux captifs par une communauté juive prête à payer la rançon exigée, soit, à défaut de trouver acquéreur, de les vendre comme esclaves.

Les juifs de Marseille et d’Aix décidèrent alors de racheter ces pauvres gens. Une Commission fut constituée qui se chargea d’emprunter à Charles Forbin, de Marseille, 1 500 écus d’or, que celui-ci remis au capitaine Bartholomée pour le rachat des juifs. Ceux-ci s’engagèrent alors solidairement à rembourser Charles Forbin dans un délai de quatre mois, «avec la condition expresse que si ces 1,500 écus n’étaient pas payés dans le délai prescrit, ledit Charles Forbin pouvait s’emparer desdits Juifs, tant hommes que femmes, tant adultes qu’enfants, les transporter où il lui plairait, les vendre comme serfs ou esclaves, comme il lui conviendrait».

Les juifs de Marseille et d’Aix s’engagèrent à nourrir et entretenir ces juifs rachetés et à les empêcher de fuir pendant les quatre mois fixés. Pour garantie de l’exécution de cet engagement la communauté juive donnât en hypothèque leurs biens et droits et soumettant l’exécution devant «les Cours du Saint-Père le Pape et son vice-auditeur en Avignon, celles du Châtelet de Paris, du petit sceau royal, de Montpellier, d’Avignon, de Nîmes, de la chambre des comptes d’Aix, de Marseille statut nouveau et ancien, de Naples, de Nice, de Gênes, de Messine et toutes autres cours du monde, tant spirituelles que temporelles.»

Quelques-uns des juifs réfugiés ayant probablement souhaité se convertir au catholicisme, et ce afin de recouvrer leur liberté, il fut convenu que pour chaque personne baptisée, les juifs de Marseille et d’Aix payeraient à Charles Forbin cent écus d’or, en dédommagement de la perte que lui faisait subir leur conversion au christianisme.

Citons les noms de quelques familles de réfugiés : Roeti, Aym, Manoa, Loro, Mossé, Caro, Astruga, Genda, Zonana, Cento, Goysica, Gento, Alfassa, Abram, Ordonda, Escaldo, Soli, Liben, Rogai, Carasol, Abentsenhor, Embron, Rogat, Sasson, Bonafhila…

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