Tribune du Pr. Gilbert Benhayoun – Égypte et Israël : Une coopération économique

Publié le 23 septembre 2017 à  9h52 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h38

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La coopération entre Israël et l’Égypte est, depuis la menace islamique qui pèse sur toute la région, en particulier dans le Sinaï égyptien, importante et peu connue. Elle couvre différents aspects. Frédéric Encel, dans une interview accordée à France24, le 2 juillet 2015, mettait l’accent sur un des aspects, le renseignement. «L’Égypte et Israël échangent des renseignements sur des activistes, des jihadistes en puissance. Israël, qui dispose de drones performants, livre des informations sur des mouvements de petits groupes dans le Sinaï. Et puis, il y a les échanges qui se font via les renseignements américains, puisque les États-Unis sont les alliés militaires à la fois de l’Égypte et d’Israël». Ce champ de la coopération est important certes, cependant, il existe un autre domaine où elle se développe, et qui fait moins la Une des médias, c’est la coopération économique. Depuis la signature du traité de paix en 1979, la coopération était non seulement modeste mais aussi fluctuante car trop dépendante du contexte politique et, en particulier, des relations entre les Israéliens et les Palestiniens. En mai 1980, un accord commercial fût signé, et bien qu’un Comité mixte fût mis en place, la coopération restait à un niveau très faible. C’était une coopération froide. Or, depuis quelques années, et surtout depuis l’arrivée de Morsi à la tête de l’Égypte en 2011, on est passé assez rapidement d’une coopération froide à une coopération stratégique. Sur le plan économique, elle se développe dans deux secteurs, l’énergie et le textile. Cette coopération est importante pour l’Égypte dans la mesure où ce pays est confronté à une crise budgétaire et économique grave et à un chômage structurel important. Cette note ne concernera que la coopération entre Israël et l’Égypte dans le secteur textile.

La coopération dans le secteur textile, la création des QIZ, (Qualifying Industrial Zones)

A la suite des accords d’Oslo de septembre 1993, et afin de soutenir le processus de paix entre Israël et les pays arabes, le Congrès américain décidât en 1996 d’établir des Zones industrielles en Cisjordanie et à Gaza. Puis la mesure fut étendue à la Jordanie et à l’Égypte. Il s’agissait concrètement d’accorder à ces pays la possibilité d’exporter des produits textiles aux États-Unis sans payer les taxes à l’importation et sans limitation de quotas, à condition que ces produits intègrent une partie israélienne non négligeable de la valeur ajoutée, soit 11.7%. Les QIZ sont ainsi des zones de production, en l’occurrence de produits textiles, localisées en Égypte. Les zones concernées pourront bénéficier des avantages de l’accord de libre-échange signé entre Israël et les États-Unis, qui stipulait que les produits exportés vers les Etats-Unis seraient exemptés de taxes à l’importation.

En 1996, l’objectif visait, en plus des bénéfices attendus et espérés sur le plan économique, de contribuer à la réussite du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, et plus globalement au Moyen-Orient.
Sur le plan économique, cet accord devait :
– pour Israël, permettre le développement de ses exportations, et « donner une légitimité aux relations d’affaires qui existaient entre les deux partenaires pendant des années sans reconnaissance publique » (Arab Finance);
– pour l’Égypte, de bénéficier de l’ouverture du marché américain, ce qui devait inciter les producteurs égyptiens à accroître leur compétitivité, et en même temps à éviter les inconvénients qui s’annonçaient à l’époque des changements dans les régimes de quotas textiles de l’OMC ;
– pour les États-Unis, il s’agissait, sur le plan économique, de diversifier leurs importations. Les considérations politiques n’ont pas été absentes. En 2004, Washington poursuivait une stratégie à plus long terme au Moyen-Orient qui visait à promouvoir la stabilité politique et économique en augmentant le commerce et les investissements des pays régionaux avec les États-Unis. Les américains ont donc considéré le protocole QIZ comme un outil efficace pour encourager l’Égypte à libéraliser son économie.

Depuis, l’Égypte a souhaité et obtenu une réduction du pourcentage d’entrants deproduits israéliens, aussi en 2008 il est passé de 11.7% à 10.5%, et en principe il devrait, après accord du Parlement israélien, passer à 8.5%. En 2017, les deux partenaires décident d’étendre la coopération au secteur du marketing et des ventes aux États-Unis. Lors d’un salon du textile qui s’est tenu à New York au début de l’année, les responsables israélien et égyptiens ont décidé d’un commun accord que le stand d’exposition serait mixte. Aussi, les visiteurs du Salon ont été tout surpris de voir ensemble les drapeaux des deux pays côte à côte.

De gauche à droite : Muhamed Kassem of World Trading Company (Egypte), Ashraf El Rabiey, Responsible QIZ en Egypte, et Gabby Bar, co-chairman of Israel’s QIZ at TexWorld USA. (Jason Gewitz | CNBC)
De gauche à droite : Muhamed Kassem of World Trading Company (Egypte), Ashraf El Rabiey, Responsible QIZ en Egypte, et Gabby Bar, co-chairman of Israel’s QIZ at TexWorld USA. (Jason Gewitz | CNBC)

Les zones sont situées dans les régions d’Alexandrie, du Caire, du centre du Delta, du Canal de Suez et de la Haute Égypte. Il est prévu que le choix pour qu’une région accueille un QIZ doit être validé par les deux parties, la décision devant être basée sur le potentiel d’exportation, et le nombre d’emplois créés. Un comité mixte surveille au respect des modalités de l’accord.
Evaluation. Le bilan est positif, ainsi pour Arab Finance « cet accord a permis de sauver l’industrie textile égyptienne, a profité à des milliers d’entreprises et créé des centaines de milliers d’emplois ». Pour l’Égypte, il s’agissait, à l’époque, de sauver un secteur en crise qui subissait la concurrence de pays asiatiques, comme le Bangladesh, l’Inde, la Chine ou le Pakistan. Après la création des QIZ, les exportations égyptiennes de vêtements sont passées de 288,3 millions $ en 2005 à 636,2 en 2006 et 842,4 en 2015.
En 2015, les QIZ avaient créé 280 000 emplois. Les économistes [[Israel Austin Carter, Yun Gong, Jeffrey B. Nugent,”Measuring Trade Advantages of the Qualifying Industrial Zones Program of Jordan and Egypt Offered by the United States for Having Signed Peace Treaties with Israel”, Topics in Middle Eastern and African Economies vol. 17, No. 2, mai 2015]] qui ont tenté d’évaluer les effets des QIZ arrivent à la conclusion selon laquelle l’accord signé par l’Égypte avec Israël et les États-Unis a eu et a encore des effets positifs sur l’économie égyptienne et constitue un facteur de paix : «Finally, given the very special features and objectives of the QIZs that have required trade and cooperation among businessmen in formerly warring countries, we feel that the positive trade creation effects observed in our research underscore the potential for business initiatives to contribute to a wide variety of benefits, especially the goal of achieving peace.»

Total des importations égyptiennes aux États-Unis en % du total des importations américaines

1992
0,676%
434 millions$
2001
0.405 %
882 millions$
2005
1.840 %
2 090 millions$
2012
1.916 %
3 000 millions$
Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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