Tribune du Pr. Gilbert Benhayoun: Israël, Palestine : Un seul État, deux États ?

Publié le 2 juin 2022 à  11h56 - Dernière mise à  jour le 8 décembre 2022 à  14h18

Israël a, depuis de longues années, décidé que, faute de solution acceptable au conflit qui l’oppose aux Palestiniens, il s’en tiendrait à la politique du statu quo, avec, dans l’esprit des dirigeants, de manière probablement inconsciente, cet aphorisme d’Henri Queuille, qu’«il n’est pas de problème dont l’absence de solution ne finisse par en venir à bout». Cette formule laisse entendre que tout conflit, même le plus réfractaire, a une fin. Certes, mais laquelle ? Concernant le conflit entre Israéliens et Palestiniens la question aujourd’hui est de savoir comment il va se terminer. Va-t-il se résoudre par une solution à deux États ? Un État binational ? Une confédération entre Israël, et le futur État palestinien ? L’imagination n’est pas infinie, les scénarios envisageables sont, en nombre, limités.

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L’idée de la solution à un État, de la Méditerranée au Jourdain, dans lequel Israéliens et Palestiniens bénéficieraient des mêmes droits a souvent été évoquée et rencontre un écho de plus en plus favorable auprès de la population palestinienne. Les partisans de cette solution estiment que la solution à deux États, perd chaque jour de sa pertinence, compte tenu du fait que la Ligne Verte -«frontière qui sépare Israël de la Cisjordanie»- s’estompe et que la population israélienne des implantations en Cisjordanie a de plus en plus tendance à se développer.

Un sondage effectué du 16 au 20 mars 2022 [[Palestinian Center for Policy and Survey Research, Dr. Khalil Shikaki.]], auprès de la population palestinienne, montre que le soutien à une solution à deux États demeure le même qu’il y a trois mois, tandis que le soutien à une solution à un seul État, avec les mêmes droits pour les Israéliens et les Palestiniens s’accroît d’un tiers durant la même période. Le problème est que ce mouvement de la population palestinienne de plus en plus tentée par une solution à un État ne constitue pas une force politique organisée, car les dirigeants palestiniens eux-mêmes ne sont pas en faveur de cette solution. Ils se prononcent plutôt en faveur d’une solution à deux États indépendants. De plus, les réponses de Palestiniens en faveur d’un seul État ne sont pas exempt d’ambigüité, car la nature de l’État unique n’est pas spécifiée. S’agira-t-il d’un État laïc et démocratique ou d’un État religieux, comme le souhaiterait les partisans du Hamas ? En conséquence, ce mouvement en faveur de la solution à un État, se garde bien d’évoquer la question de la nature du futur État unique.

Par ailleurs, pour Leilah Farsakh [[Leilah Farsakh, The One-State Solution and the Israeli-Palestinian Conflict: Palestinian Challenges and Prospects, Middle East Journal, Winter 2011, Vol. 65, No. 1.]], Palestinienne et professeur agrégé de sciences politiques à l’Université du Massachusetts à Boston, «l’activisme palestinien pour « l’État unique » semble plus soucieux d’affirmer les droits des Palestiniens et de garder la cause palestinienne visible, plutôt que de chercher à convertir les Israéliens à leur cause». Elle a parfaitement conscience, et probablement avec elle, la majorité de la population palestinienne, que cette solution à un État unique rencontrera, non seulement l’opposition écrasante de l’opinion israélienne, mais aussi le manque de soutien international. Le soutien à la solution à un seul État traduit en fait «l’importance de redéfinir la lutte en termes de droits, et non simplement en termes d’État.» Elle ajoute que, lorsqu’il s’agit d’influencer la direction palestinienne, «les partisans d’un État espèrent que le volume de leur voix sera entendu, ou plutôt, attendent qu’une nouvelle direction émerge des cendres de la défaite de la direction palestinienne».

Dans une analyse bien documentée issue d’un think tank israélien, The National Institut for National Security Studies [[Pnina Sharvit Baruch, “Resolving the Israeli-Palestinian Conflict: The viability of One State Models” INSS, Memorandum No. 217, December 2021.]], plusieurs modèles de sortie de crise ont été examinés, sauf celui de la solution à deux États pour deux peuples : un seul État, une zone autonome palestinienne en Cisjordanie faisant partie de l’État d’Israël, un État fédéral, enfin, une confédération israélo-palestinienne.

Leur conclusion, n’est qu’aucun de ces modèles n’a de chances d’aboutir à une solution permanente, stable et réussie au conflit. La raison principale est le fort potentiel de friction entre Israéliens et Palestiniens du fait de la liberté de circulation. Compte tenu de la profonde hostilité entre les deux populations, observée depuis des années, des différences culturelles, sociales et économiques, tous les modèles examinés entraîneront de violents conflits internes et finalement rendront l’État instable.

Pour l’auteur de l’étude, Pnina Sharvit Baruch, dans tous les modèles où les Palestiniens font partie d’un État juif sans pouvoir réaliser leur identité nationale, l’hostilité entre les peuples ne fera qu’augmenter au fil des années. De plus, refuser aux Palestiniens tous leurs droits, non seulement porterait un coup fatal au caractère démocratique d’Israël, mais cela approfondira l’hostilité et conduira inévitablement à la violence qui pourrait dégénérer en guerre civile.

Par ailleurs, accorder aux Palestiniens des droits civils complets et égaux modifiera la nature juive de l’État. Compte tenu du paramètre démographique, la population musulmane sera majoritaire, aussi soit Israël continuera à se définir comme État juif mais sera de moins en moins démocratique, soit le caractère démocratique l’emporte et, par voie de conséquence, l’État ne sera plus juif, ce qui était le fondement du projet sioniste. Enfin, l’adoption de ses modèles imposera un lourd fardeau économique à Israël, car l’État devra engager de fortes dépenses afin de subvenir aux besoins des nouveaux résidents palestiniens qui rejoindront l’État, car l’objectif de chercher à réduire les écarts de niveaux de vie au sein de l’État unique ou de la confédération sera essentiel pour assurer la stabilité politique. A titre de comparaison, en 2020, l’écart de niveau de vie entre Israël et la Palestine est de 1 à 14, alors qu’entre les États-Unis et le Mexique il n’est que (!) de 1 à 8, et il n’est pas nécessaire de rappeler les problèmes que pose l’immigration clandestine du Mexique vers les États-Unis.

Finalement, pour Pnina Sharvit Baruch, «Contrairement aux modèles analysés ici, qui reposent sur l’idée d’un lien continu entre les peuples juif et palestinien de la région entre la mer Méditerranée et le Jourdain, la solution à deux États repose sur l’idée de séparation. Cette solution présente des lacunes importantes, car elle nécessite de diviser la terre et l’évacuation des colonies, tout en posant certains risques pour la sécurité. Néanmoins, comme le montre clairement l’analyse, l’impossibilité d’un modèle basée sur l’union des deux peuples comme solution stable au conflit conduit inévitablement à la conclusion que, malgré ses défauts, la séparation est en effet la meilleure solution au conflit israélo-palestinien.»

[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]

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