Tribune du Pr.Gilbert Benhayoun – Israéliens et Palestiniens à propos du « triangle »

Publié le 4 août 2017 à  19h27 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h19

Ces dernières semaines, le Premier ministre israélien a discuté avec les Américains de la possibilité de retracer la ligne verte ou ligne de démarcation qui sépare Israéliens et Palestiniens. L’idée serait qu’Israël pourrait annexer les blocs d’implantations juives situées à l’Est de la ligne verte et, en contrepartie, Israël céderait aux Palestiniens la région du Wadi Ara. Cette zone, souvent appelée « le triangle », est actuellement peuplée de Palestiniens, environ 300 000, qui possèdent, depuis 1949, la nationalité israélienne.

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Cette zone est située dans le district de Haïfa au Nord d’Israël, et la ville principale en est Umm-El-Fahm (voir carte). La conséquence en serait que non seulement ce territoire passerait sous souveraineté palestinienne mais également les arabes israéliens qui y vivent. Aussi, après l’échange, ces habitants (environ 100 000, selon Netanyahu) hériteraient de la nationalité palestinienne. Pour Netanyahu, cet échange devrait concerner les implantations de Ma’ale Adumim, Givat Ze’ev, Beitar Illit and Efrat (environ 130 000 habitants).

Cette idée a ressurgi au lendemain de l’attentat commis le 14 juillet qui a coûté la vie à deux policiers israéliens à Jérusalem, près du Mont du Temple ou mosquée Al-Aqsa, selon la terminologie israélienne ou palestinienne. Ceux qui ont commis l’attentat, au nombre de trois, étaient originaires d’Umm-El-Fahm, ville située dans cette région du Wadi Ara. Durant leurs funérailles, dans cette cité, on a entendu des appels à poursuivre les attentats (Cf. Haaretz du 27 juillet 2017).
L’idée n’est pas récente. C’est l’actuel ministre de la défense, Avigdor Liberman, qui, en 2014, l’avait proposée. Cet échange serait, pour lui, conforme au droit international, à condition que toutes les parties y consentent, y compris les arabes israéliens, qui changeraient de nationalité du jour au lendemain. Liberman a réagi à l’annonce de cette proposition et s’adressant à Netanyahu il le félicite ainsi : « Mr le premier ministre, bienvenue au club ! « .

Cette proposition divise les Israéliens arabes ou juifs, et est fortement combattue par les Palestiniens. Les arabes israéliens s’opposent à cette idée et ont manifesté, à l’époque, leur désir de rester Israéliens. Un sondage effectué en janvier 2014 indiquait que les deux tiers des arabes israéliens se déclaraient fermement opposés à ce transfert, seulement 31% souhaitaient changer de nationalité et devenir citoyens palestiniens. Il serait, à cet égard, intéressant d’effectuer un tel sondage dans les semaines qui viennent. En 2014, le maire de Umm-El-Fahm prévenait que, dans cette hypothèse, il ferait appel à la Cour Suprême israélienne aux fins d’éviter l’annulation de la nationalité israélienne aux habitants du Wadi Ara, cette proposition lui paraissait immorale. Pour Liberman ce rejet est hypocrite, car dans le passé les arabes israéliens s’étaient fortement identifiés à la cause palestinienne, rejetant le droit à l’existence d’Israël et s’alignant sur ceux qui souhaitaient détruire son caractère juif. De manière ironique il ajoutait : »Les arabes de Wadi Ara deviennent subitement adorateurs du sionisme, alors que le jour de l’Indépendance d’Israël ils arborent des drapeaux noirs pour marquer le jour de la Nakba (« la catastrophe »), des drapeaux du Hamas et des photos de Nasrallah (chef du Hezbollah), bref de tous ceux qui ouvertement nient le droit d’Israël d’exister comme État juif. »

Du côté des juifs israéliens, beaucoup considèrent cette idée, à l’instar du maire d’Umm-El-Fahm, comme, au pire immorale, au minimum impraticable. Shimon Péres, aujourd’hui disparu, s’était exprimé sur cette proposition de Lieberman. Pour lui, « Israël ne peut annuler la nationalité de citoyens du seul fait qu’ils sont arabes. Ils possèdent les mêmes droits que tous les autres citoyens« . Pour Gidéon Sa’ar (ex-ministre de l’Intérieur, membre du Likoud, et se préparant, semble-il, à détrôner Nétanyahu de son poste de premier ministre), tout accord devra spécifier que la population arabe israélienne continuera à vivre en territoire israélien : « En tant que ministre de l’Intérieur, je considère que la nationalité israélienne n’est pas une marchandise que l’on peut échanger dans le cadre d’un accord politique« . L’actuel ministre de l’Agriculture, Yair Shamir, pourtant n°2 du parti de Liberman (en 2014), s’opposait également à cette idée de transfert. Pour leur part, les députés arabes israéliens considéraient l’idée du transfert de population arabe comme « raciste ». Ces jours-ci, un député arabe israélien, Aida Touma-Souliman réagissait ainsi à la proposition du Premier ministre « The cat is out of the bag and Netanyahu has shown his true colors regarding the Arab population, » (…) « Lieberman’s plan has been adopted by the prime minister« (…) « The Ara residents are not only Israeli citizens, they’re also indigenous people who dwell on their land, and are not to be compared with settlers dwelling on another nation’s land. We the Arab citizens aren’t part of any such equation and aren’t willing to pay the price again for Israel’s policy of occupation and settlements. »

En 2011, une étude [[David Makovsky, Sheli Chabon, Jennifer Logan , « Imagining the Border, Options for Resolving the Israeli-Palestinian Territotial Issue », The Washington Institute for Near East Policy, 2011]] réalisée par un think tank américain, The Washington Institute for Near East Policy (Winep) avait repris l’idée du transfert de Liberman et avait tenté de mesurer son impact démographique. Pour les auteurs, cet échange concernerait 220 000 habitants (rappelons que Nétanyahu n’a évoqué que le chiffre de 100 000), sur 1 555 700 arabes (2011), soit 14%. Avant transfert le pourcentage de juifs était estimé à 75.48% de la population totale israélienne. Après transfert, il passerait à 77.71%. Pour les auteurs la différence est modeste, elle ne modifie pas l’équilibre démographique entre juifs et arabes. Faut-il, dans ces conditions, risquer de créer une division dans la société israélienne et s’attirer, à coup sûr, les critiques de la communauté internationale? Faut-il ramener le problème de l’insertion, encore imparfaite, des arabes israéliens, à une simple équation démographique ? Le prix nous semble trop élevé pour un résultat loin d’être acquis. A moins qu’il ne s’agit, de la part du Premier ministre, que d’un argument politique lui attirant les louanges de la partie droitière de son électorat. Si c’est le cas, il participerait à approfondir les divisions qui minent la société israélienne.

Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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