Tribune du Pr. Gilbert Benhayoun: La Cour Suprême en Israël, principale autorité « palliative » des manquements du politique

Publié le 19 décembre 2016 à  17h50 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h46

La Cour suprême en Israël est la plus haute instance judiciaire. Elle est composée de 15 membres nommés par un comité indépendant de 9 membres. La composition du Comité de sélection est la suivante : le ministre de la Justice, trois membres de la Knesset, deux membres représentant l’ordre des avocats et trois juges de la Cour suprême. Les pouvoirs de la Cour sont importants. Elle assure le contrôle juridictionnel des décisions gouvernementales ainsi que le contrôle de constitutionnalité des lois. Elle est, par ailleurs, cour d’appel pour le pénal et le civil. Elle intervient aussi bien dans les sphères politiques que militaires. A ce titre, ses décisions ont rendu le Juge ordonnateur de ce que l’armée a ou non le droit de faire.

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Pour Samia Chouchane [[Samia Chouchane, «La judiciarisation de l’éthique militaire en Israël», Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 20/2009]] «la Cour suprême israélienne est devenue l’un des principaux « producteurs » de l’éthique militaire israélienne, que l’on peut considérer comme l’une des manifestations principales de la judiciarisation de l’espace politique».
La Cour suprême s’est également déclarée compétente dans les affaires relatives au conflit avec les Palestiniens. Ainsi ce conflit s’est, au fil des décisions, judiciarisé. La judiciarisation peut être défini comme étant «la capacité pour l’autorité judiciaire à créer des normes et des contraintes au détriment des pouvoirs exécutifs et législatifs». Ainsi, le juge devient un arbitre, une sorte «d’autorité palliative des manquements des différents acteurs (leaders, administrations…)». (S. Chouchane)
En résumé, pour Samia Chouchane [[Samia Chouchane, «La judiciarisation de l’éthique militaire en Israël», Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 20/2009]] : «La Cour suprême israélienne est devenue l’un des principaux « producteurs » de l’éthique militaire israélienne, que l’on peut considérer comme l’une des manifestations principales de la judiciarisation de l’espace politique». En fait, elle est devenue, au fil de ses décisions, productrice de l’éthique aussi bien militaire que politique. Pour Aharon Barak, président de la Cour Suprême israélienne de 1995 à 2006, «Le souci de la Cour suprême (…) se rapporte à une action rectificative englobant le système tout entier. Cette action rectificative doit viser deux objectifs principaux: combler le fossé qui existe entre le droit et la société et sauvegarder la démocratie». Il ajoute, qu’au vu de l’importance du contrôle de la constitutionnalité des lois par le pouvoir judiciaire, de l’intégration de dispositions en matière de droits de l’homme dans les Constitutions, «le second rôle -sauvegarder la démocratie- est devenu prépondérant».
Aussi, il n’est pas surprenant que l’importance de ses pouvoirs, ses interventions fréquentes dans tous les domaines font qu’elle a souvent fait l’objet de critiques. On lui reproche, en particulier la droite, son «hyper activisme». Ainsi, ces dernières semaines, la Cour est entrée ouvertement en conflit avec la ministre de la justice, Ayelet Shaked dans plusieurs affaires.

1. La question de la nomination des juges à la Cour suprême. L’année prochaine quatre nouveaux membres devront être désignés par le Comité de sélection pour remplacer quatre sortants, dont l’actuelle Présidente, Miriam Naor [[Le mandat de Miriam Naor se termine en octobre 2017. Elle devrait être remplacée par une autre femme, Esther Hayot.]]. Pour être coopté, toute candidature doit obtenir sept voix sur neuf, aussi tout candidat doit recevoir l’aval d’au moins un juge sur les trois représentants de la Cour suprême dans le Comité de sélection. Ce mode de sélection rend indispensable un dialogue et une concertation entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. Or, à ce sujet, le litige vient de ce qu’un député, membre du même parti de la ministre de la Justice, vient de déposer une proposition de loi visant à modifier la procédure de vote au sein du Comité de sélection. Si le texte est voté, il suffira de la majorité simple (cinq contre quatre) pour être membre de la Cour suprême. Ainsi, un nouveau membre pourra être choisi sans l’aval des trois représentants de la Cour suprême. Le pouvoir politique pourra ainsi passer outre l’avis des juges de la Cour suprême. Cette réforme permettrait à Ayelet Shaked d’avoir la main sur la nomination de certains juges. Pour l’actuelle présidente, Miriam Naor, trop c’est trop. Elle a écrit une lettre ouverte au ministre de la Justice, lui reprochant de vouloir chercher à modifier «les règles du jeu» et lui signifiant qu’elle ne pourra siéger avec la ministre lors du vote des futurs membres, avec «un pistolet sur la tempe». Pour Naor, le silence de la ministre indique qu’elle est en faveur du texte de loi qui sera proposé à la Knesset. Et, dans l’hypothèse où le texte est adopté, elle menace de déclarer anticonstitutionnelle toute modification du mode de sélection des juges à la Cour suprême. De manière prémonitoire, Aharon Barak avait, il y a dix ans, envisagé cette situation. Dans un article paru en France [[Aharon Barak, « L’exercice de la fonction juridictionnelle vu par un juge : le rôle de la Cour Suprême dans une démocratie ». Revue Française de Droit Constitutionnel », PUF, 2006/2 n°66.]], il déclarait : «Que réserve le futur en ce qui concerne la relation entre les pouvoirs de l’État ? J’imagine que les critiques sur la « non-responsabilité » continueront. Puisque ces arguments ne réussiront pas à affaiblir l’engagement des juges de remplir leur rôle, ils seront vraisemblablement dirigés vers le mode de sélection des juges. La pression pour politiser les nominations de juges dans les Cours suprêmes des démocraties s’accroîtra. J’espère que les différentes démocraties s’opposeront à cette pression et qu’elles prendront des mesures affirmatives pour réduire la politisation des nominations des juges là où elle existe». Affaire à suivre…

2. La seconde affaire concerne le statut juridique de la Cisjordanie. En mai de cette année, Ayelet Shaked annonce, lors d’un colloque qu’elle déposera un projet de loi concernant le statut juridique de la Cisjordanie [[Tamar Pileggi, « Shaked revives bid to extent civil law to settlements », The Times of Israel, 2 mai 2016]] . Lors de son intervention elle a annoncé son intention d’obliger l’armée, qui officiellement, a compétence sur les affaires administratives en Cisjordanie, à appliquer aux implantations israéliennes situées en Cisjordanie, les textes en vigueur en Israël, tout en maintenant la loi martiale sur les Palestiniens, considérant que les colons sont discriminés par rapport aux Israéliens vivant à l’intérieur d’Israël, puisque soumis à la loi militaire. La réaction de l’opposition a été très vive. Pour Tsipi Livni, de l’Union sioniste (parti de Herzog), si les idées du ministre de la Justice entrent en application cela devrait conduite à la création d’un État binational, avec une majorité palestinienne au Parlement. Ce serait la fin de la solution de deux états, la mise en place de deux systèmes juridiques dans un seul état, une montée de la pression internationale et au bout du compte, la possibilité donnée aux 2.5 millions de Palestiniens de Cisjordanie de voter aux législatives. Pour elle : «Le gouvernement d’extrême droite a lentement commencé le processus d’annexion».
Dans l’hypothèse où un texte qui irait dans ce sens serait voté, il est fort probable que la Cour suprême aura à intervenir. Il est plus que probable que ces provocations de la ministre de la Justice et du parti auquel elle appartient, relèvent de la cuisine interne. Elles visent probablement à s’opposer, à l’intérieur de la majorité gouvernementale actuelle, à l’actuel premier ministre, Benjamin Netanyahu. Cependant elles ont des répercussions au niveau international. Illustration de ce qu’exprimait Kissinger qui faisait remarquer qu’Israël n’a pas de politique étrangère, il n’a qu’une politique intérieure.
…un peu moins sérieux (peut-être pas !). La Cour suprême israélienne vient d’enjoindre au gouvernement d’expliquer pourquoi les matchs de football se déroulent le jour du shabbat. Aussi, a-t-elle demandé des explications au Procureur général, sur le fait de savoir pourquoi les dispositions de la loi sur le repos hebdomadaire ne sont pas intégralement appliquées dans le monde du football. Celui-ci est tenu de répondre d’ici début février. Affaire à suivre…

Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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