Tribune du Pr. Gilbert Benhayoun : La place de l’école en Israël

Publié le 4 septembre 2017 à  20h38 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h36

L’école, mieux que toute autre institution, nous donne une idée de la division de la société israélienne. Israël possède un système éducatif hétérogène [[Wolff, L. “Education in Israel : Divided Schools, Divided Society”, Moment, 8 mai 2017]]. De l’école primaire au lycée, les élèves sont répartis entre quatre systèmes, trois pour ceux qui s’expriment en hébreu (écoles laïques, écoles religieuses, écoles ultra-orthodoxes) et le quatrième qui s’adresse à la communauté qui parle arabe (arabes musulmans, arabes chrétiens, druzes, bédouins). Ces quatre systèmes éducatifs fonctionnent quasiment de manière indépendante les uns des autres.

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Le plus important est le secteur de l’école publique et laïque, (en hébreu, mamlachti) qui représente 39% des élèves des écoles élémentaires. Ces écoles s’adressent principalement aux familles juives non pratiquantes, mais également à quelques enfants arabes. Dans les années 80, elles regroupaient 70% de l’ensemble des enfants scolarisés. Elles proposent un programme général, comportant très peu de contenu religieux. Le second secteur est celui des écoles religieuses (mamlachti dati). Il représente 14% des enfants en école primaire. Il s’agit d’enfants juifs religieux mais non ultra-orthodoxes, de familles généralement sionistes. Beaucoup de ces écoles se trouvent en Cisjordanie. Le programme adopté dans ces écoles est le même que celui des écoles laïques, auquel s’ajoutent des études religieuses intensives. Beaucoup des parents et des instituteurs sont des «religieux nationaux» qui estiment avoir droit sur les terres entre la Méditerranée et le Jourdain. Politiquement, ils sont représentés par l’actuel ministre de l’Éducation, Naftali Bennet. Le troisième secteur qui recense 22% des enfants est celui des écoles ultra-orthodoxes (mamlachti dati-torani harédi). Enfin, dans le système des écoles en langue arabe, on compte 25% des élèves, et pratiquement tous les instituteurs sont arabes. Le programme est officiellement celui des écoles juives laïques, y compris l’histoire de la création d’Israël et du sionisme.

Les performances scolaires

D’après l’enquête PISA 2012, les performances des élèves israéliens de 15 ans en mathématiques sont au-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Notons cependant que de 2006 à 2012 l’amélioration du score, en particulier en mathématiques, a été plus rapide que celle de la moyenne OCDE. Ce qu’il faut noter sont les très importantes différences de performance entre les élèves des écoles arabes et des écoles ultra-orthodoxes, d’une part, et les autres élèves d’autre part [[OCDE, « Éducation Policy Outlook ». Israel avril 2016]]. Les premiers n’obtiennent que des résultats médiocres aux tests PISA. En 2013, 51.3 % des élèves des écoles ultra-orthodoxes complètent leurs études secondaires, ils sont 98.2% dans les autres écoles juives. 9% des premiers obtiennent leurs diplômes contre 72.2% pour les élèves des écoles juives non orthodoxes. Dans les écoles dont les cours sont en arabes, les pourcentages sont respectivement de 82.2% et 45.7%. Notons, pour être complet que la situation s’est améliorée ces dernières années.

Ayant complété les études secondaires (%)
2008
2013
Juifs ultra-orthodoxes
34.0
51.3
Cours en langue arabe
76.8
82.2

La division. Les élèves appartenant à chacun des systèmes n’ont pas ou peu de contact entre eux, de plus les instituteurs juifs laïcs sont exclus des écoles religieuses ou ultra-orthodoxes juives. Il n’y a pas non plus d’enseignants juifs dans les écoles arabes, et d’enseignants arabes dans les écoles juives. Certaines tentatives, initiées par des ONG, ont tenté de construire des ponts entre les élèves juifs et arabes. Mais ces efforts se sont vite révélés insuffisants, d’autant qu’ils n’étaient pas financés par la puissance publique. Cependant notons une exception notable. Un financement public a permis à des d’instituteurs arabes de venir enseigner l’arabe dans le secteur des écoles juives laïques. Par contre, avec Gideon Saar, ministre de l’éducation nationale de 2009 à 2013, un tournant a été pris. Il a été alors décidé de supprimer des livres scolaires les approches parallèles juive et arabe de la guerre d’indépendance de 1948. Aujourd’hui, avec l’actuel ministre de l’éducation, Naftali Bennet, les livres d’histoire et d’éducation civique, reflètent plus qu’auparavant le point de vue des juifs religieux nationalistes.

Pour l’actuel Président d’Israël, Rivlin, la société israélienne devrait reposer sur quatre piliers : une sensation de sécurité pour chacun des quatre groupes d’élèves, une responsabilité partagée, l’équité, et enfin, le plus difficile à réaliser, un caractère partagé de se sentir «Israéliens». Il appartient à l’école, selon lui, d’être à l’avant-garde de ces efforts. Mais pour l’instant cela reste un vœu pieux, les quatre tribus et leurs leaders considèrent qu’il y a peu d’intérêt à aller dans ce sens. Pour Laurence Wolff, ils voient cette démarche comme un jeu à somme nulle [[Ce que l’un perd, l’autre le gagne]]. Plus les programmes respecteraient l’autre point de vue, plus le groupe s’affaiblirait. Elle conclut ainsi : «Tant que les attitudes ne changeront pas, les valeurs que les enfants apprennent à l’école continueront à s’opposer à cet objectif louable : assurer le futur d’Israël comme État, juste et démocratique.» Inutile d’ajouter que cette vision est très minoritaire en Israël. L’immense majorité des juifs israéliens souhaitent conserver le caractère d’Israël comme État juif et démocratique. En 2016, The Israel Democraty Institute posait la question suivante aux israéliens, aussi bien juifs qu’arabes, et les réponses indiquent clairement que la composante juive l’emporte sur la composante démocratique.
2016- Y-a-t-il un bon équilibre entre les composantes juives et démocratique du pays?

juifs
arabes
un bon équilibre
29%
7%
juive plus que démocratique
39%
80%
démocratique plus que juive
25%
9%
Ne sait pas
7%
4%

La perception qu’ont les israéliens arabes qu’Israël est avant tout un État juif (80%) sonne comme au moins un regret, au plus, un reproche. Le débat de savoir si Israël doit être juif plus que démocratique ou démocratique plus que juif vient de rebondir ces jours-ci. Lors d’une conférence publique, le 29 août dernier, la ministre de la Justice israélienne, Ayelet Shaked, a donné clairement son avis sur la question. Pour elle, la Cour Suprême en Israël donne trop d’importance aux droits individuels, n’accordant que peu de considération au sionisme et au fait que la majorité de la population en Israël est juive. Cette position a été fortement critiquée, en particulier par la gauche israélienne. Le débat est ouvert depuis de longues années en Israël, avant même… la création de l’État en 1948. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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