Tribune du Pr. Hagay Sobol : Avec le recul de Daesh en Syrie existe-t-il un risque de confrontation entre la Russie et les USA ?

Publié le 25 septembre 2017 à  9h37 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h39

Avec le recul de Daesh en Syrie, paradoxalement, les dangers s’accroissent pour la maîtrise des territoires libérés ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses en entrainant malgré eux les USA et la Russie dans un combat frontal. La récente attaque d’une usine de fabrication de missiles iraniens et d’armes chimiques à Masayaf en Syrie, attribuée à Israël, le renforcement de la présence du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution à la frontière nord de l’État hébreu sont-ils les prémices d’une confrontation généralisée ? Ou au contraire, est-ce le signe d’un rééquilibrage des forces entre les USA et la Russie, avec leur coalition respective, dont la clé serait la prise de l’important bastion de Daesh à Deïr ez Zor ?

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Daesh, sous sa forme étatique, subit à son tour ce que l’organisation terroriste a infligé à la Syrie et à l’Irak. De leur côté, l’Iran, le Hezbollah libanais et les troupes du régime syrien, comblent le vide au détriment des autres forces, en particulier les Kurdes, ayant contribué à la défaite des djihadistes sunnites.

L’ambition de Téhéran est double. D’une part, la constitution d’un « corridor chiite », c’est-à-dire une continuité territoriale allant de l’Afghanistan jusqu’au Liban. Et d’autre part l’encerclement d’Israël en ouvrant un nouveau front au Nord à partir des frontières Syro-libanaises et via le Hamas à Gaza au Sud. Loin d’apaiser les tensions, ces objectifs sont de nature à embraser à nouveau la région alors que l’EI (État Islamique) vit ses derniers instants.

Si pour l’heure, la Coalition mise en place par les USA semble laisser carte blanche à la théocratie chiite et ses affidés, alliés de la Russie, dans le même temps, une série d’événements majeurs se sont produits, dans un laps de temps très court, qui mis en perspective peuvent être interprétés comme une sévère mise en garde à Téhéran et ses alliés, où Moscou joue un rôle pour le moins ambiguë.

Le renforcement du mandat de la FINUL au Liban

Tout d’abord, le 30 août, le mandat de la FINUL, la force intérimaire de l’ONU au Liban, a été reconduit et renforcé par le Conseil de Sécurité. Même si le Hezbollah n’est pas nommé explicitement, à la demande du Kremlin, il vise à entraver son action et en particulier son réarmement. Objectif qui aurait déjà dû être atteint par la mise en place de la résolution 1701 de 2006, alors qu’aujourd’hui la milice chiite possède près de 150 000 missiles pointés sur les agglomérations israéliennes. Il est utile d’insister sur le fait que sous cette forme, la Russie pourtant alliée de la Syrie et de l’Iran, a soutenu la résolution.

L’ONU accuse le régime syrien de crime de guerre

Ensuite, l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad, la fameuse «ligne rouge d’Obama», a été condamnée pour la première fois par l’ONU, le 6 septembre dernier. En effet, les Nations Unies accusent le gouvernement syrien de crime de guerre pour l’utilisation de gaz de combat à Khan Cheikoun ayant causé des centaines de victimes. Ces armes de destruction massive étant très probablement produites sur le site de Masayaf cyniquement dénommé «centre de recherche» par les autorités syriennes.

Bombardement du site de Masayaf attribué à Israël

Quelques heures après cette condamnation, dans la nuit du 6 au 7 septembre, le complexe de Masayef a subi une attaque aérienne d’origine indéterminée causant de très sérieux dégâts. Le site de fabrication de missiles iraniens et d’armes chimiques utilisées contre le peuple syrien a été détruit. Le régime alaouite -branche du chiisme-, l’a fermement condamné et a attribué cette attaque à Israël qui ne l’a pas revendiqué, comme c’est habituellement l’usage. En revanche, d’anciens hauts responsables de Tsahal ont reconnu que l’État Hébreu avait par le passé déjà mené une centaine d’attaques similaires, et commenté la nature de la cible de la présente opération. Le Premier Ministre ainsi que le ministre de la Défense de l’État hébreu ont, pour leur part, réaffirmé clairement les limites à ne pas dépasser en Syrie : le transfert d’armes sophistiquées au Hezbollah, un corridor chiite de Téhéran à la Méditerranée et l’ouverture d’un nouveau front au Nord contre Israël.

La plus grande manœuvre militaire d’Israël depuis 20 ans

Enfin, Israël a lancé le 4 septembre sa plus grande manœuvre militaire depuis 20 ans, intégrant l’infanterie, la marine, l’aviation et les renseignements. Durant une dizaine de jours, des dizaines de milliers de soldats se sont entraînés à combattre le Hezbollah lors d’exercices sur le terrain et par des simulations informatiques. Ce déploiement de force, officiellement adressé à Hassan Nasrallah et ses miliciens libanais, doit être interprété avant tout comme une démonstration de ce que les troupes chiites pourraient subir si une confrontation directe entre Israël et l’Iran devait avoir lieux, en Syrie ou ailleurs.

Que veut la Russie ?

Poutine, allié de l’Iran et de la Syrie, s’entretient régulièrement avec leur plus grand ennemi, Israël, jusqu’à mettre en place un canal de communication étroit afin d’éviter des affrontements involontaires entre les deux armées. Dans ce contexte, et sachant que les radars russes quadrillent toute la région, on peut difficilement imaginer que les opérateurs n’ont pas vu sur leurs écrans les jets israéliens réalisant leur mission à Masayef. Par ailleurs, à l’image de la Chine avec Piongyang, Moscou tolère de moins en moins les prises de décision non concertées de ses alliés perses et alaouites. Ce jeu dangereux pourraient mettre en péril une stratégie savamment mise en place ayant permis à la Russie de reprendre pied dans cette région avec le succès que l’on sait. Ainsi, il est plus essentiel pour la Russie de protéger ses bases militaires (aéroport et installation navale) de Lattaquié et Tartous donnant sur la Méditerranée que de préserver le régime de Bachar el-Assad, ou d’accompagner les visées hégémoniques perses. Mais dans le même temps, le Président russe ne peut négliger les débouchés économiques iraniens. Aussi, faire passer le message par Israéliens interposés paraît la meilleure solution. Pour l’État Hébreu, c’est également le moyen de faire comprendre à tous les protagonistes, y compris ses alliés américains qu’aucune solution ne sera acceptée en Syrie si elle brade ses impératifs sécuritaires.

Que veulent les USA ?

La politique de Donald Trump semble difficile à décrypter. Alors que le Président américain, au nom de la constitution d’une « zone de désescalade », avait retiré, sans contrepartie, ses troupes du sud de la Syrie, aussitôt occupées par les Russes et ses affidés, il se lance désormais dans une opération visant à ravir aux mains de Daesh le point stratégique de Deïr ez Zor dans la vallée de l’Euphrate. Officiellement, il s’agit d’une manœuvre en tenaille conjointe entre les USA, la Coalition et les Kurdes d’une part, et d’autre part la Russie, l’armée de Bachar, l’Iran et ses supplétifs. Mais en réalité, celui qui contrôlera ce point stratégique déterminera l’avenir de toute la région et en particulier pourra mettre un frein aux ambitions de Téhéran, en brisant son rêve d’un «corridor chiite». La crise Nord-Coréenne a peut-être joué un rôle dans le revirement de Washington qui a pris conscience du danger que pouvaient représenter deux régimes nucléaires incontrôlables, pouvant à tout instant menacer la sécurité du monde.

Existe-t-il un risque de confrontation généralisée ?

Le risque d’un affrontement direct entre la Russie et les USA va dépendre de la volonté de chacune des parties de poser des limites dans cette partie de «poker menteur». A priori, il paraît peu probable que cela dégénère en guerre ouverte entre un Donald Trump, certes imprévisible, et un Vladimir Poutine déterminé mais pragmatique, car les deux Présidents semblent en phase pour ne pas laisser la bride sur le coup des Mollahs perses et refréner leurs ambitions hégémoniques. Cependant, l’ancien agent du KGB, souvent adepte de la manière forte, n’hésitera pas à aller le plus loin possible pour tester les réactions de son adversaire. Mais en cas de surenchère américaine, le Maître du Kremlin, si la situation l’imposait, pourrait-être amené à entamer des négociations dans l’unique but d’arriver à ses fins.
En ce qui concerne le locataire de la Maison Blanche, tout dépendra de la priorité qu’il donnera entre les dossiers Nord-Coréen et syriens. Dans cette perspective, on ne peut exclure que les deux puissances nucléaires potentielles jouent une partition à deux voix coordonnant leurs positions en fonction des réactions de la communauté internationale et en particulier des USA.
Mais l’Amérique et la Russie devront tenir compte également des impératifs sécuritaires israéliens dont les deux superpuissances avaient apparemment fait l’impasse lors de leur précédent accord. D’autant plus, que l’État Hébreu n’est pas seul puisqu’il partage avec les grands pays sunnites, l’Égypte, la Jordanie et les États du Golfe, les mêmes craintes vis-à-vis de l’Iran et ses supplétifs. Ce dangers ayant contribué à forger une coalition de fait.
Quant aux Kurdes, soutenus par les forces aériennes US, ils se sont montrés d’une redoutable efficacité contre Daesh. Ils en ont payé un lourd tribut. Aussi, ils ne laisseront certainement pas passer facilement la chance historique d’obtenir enfin un Kurdistan indépendant malgré les très fortes pressions exercées par le gouvernement central irakien ou les Turcs, alignés sur la politique de Téhéran. Le recours à la force ou un étranglement économique pour empêcher leur l’indépendance pourrait fort bien, par un effet domino, entrainer les différentes populations Kurdes, de la Turquie à l’Iran, dans la lutte armée.

Chaque front définit ses alliances, et chacun semble jouer sa propre partition

Cependant, la complexité du confit est telle que tout peut arriver. Chaque front définit ses alliances, et chacun semble jouer sa propre partition, ce qui est propice aux dérapages incontrôlés. Il ne sert à rien de couper les têtes de l’hydre, en s’en prenant uniquement à Daesh par exemple, car elles repoussent et ce faisant, le conflit s’étant, jusqu’à s’inviter dans les pays occidentaux. Aussi, il n’y aura pas de résolution de la guerre en Syrie, ni de paix au Moyen-Orient, sans la résolution des conflits sous-jacents, et en particulier au sein du monde musulman, entre sunnites et chiites.

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