Tribune du Pr. Hagay Sobol: Oui, Israël est une démocratie

Publié le 29 mars 2023 à  7h47 - Dernière mise à  jour le 11 avril 2023 à  16h57

Israël vient de donner une leçon de démocratie à tous ceux qui oublieraient qu’on ne peut invoquer impunément la voix du peuple sans la respecter. Face au mécontentement général, le Premier ministre Netanyahou a dû reculer et geler son projet de refonte judiciaire radicale.

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A peine élu, Benjamin Netanyahou et sa coalition ont mené un blitz législatif devant aboutir à une refonte judiciaire majeure. Le point d’orgue étant la nomination par le gouvernement des Juges de la Cour Suprême, seul contrepouvoir en l’absence de Chambre Haute. L’opposition craignant que cela n’entraine un changement de régime, avec une perte d’indépendance de la justice, a vivement contestée la réforme jusqu’à mobiliser tous les secteurs de la société israélienne.

Un colosse aux pieds d’argile

Bibi, comme le surnomment ses supporters, présidant pour la 6e fois aux destinés de l’État hébreu pouvait s’enorgueillir de sa longévité politique. Il était aux commandes d’une majorité homogène conservatrice forte de 64 députés sur les 120 que compte la Knesset (le parlement israélien) ; contrastant avec la « coalition hétéroclite » précédente, dirigée par Naftali Bennett et Yaïr Lapid, de seulement 61 députés, alliant le centre droit, la gauche et un parti arabe. Le Premier ministre (PM) n’avait plus qu’à s’atteler à la réforme du système judiciaire lui permettant de nommer les juges qui devraient statuer sur son compte dans les trois dossiers pour lesquels il est inculpé.

Cependant, Netanyahou a été très vite dépassé par les éléments les plus radicaux de sa majorité qui confondant élection avec un blanc-seing ont multiplié les provocations et les menaces de quitter la coalition, révélant ainsi le caractère autoritaire, clivant et fragile de ce gouvernement. La contestation a très rapidement pris de l’ampleur jusqu’à gagner les rangs de la majorité. L’instabilité croissante à fini par inquiéter les alliés de l’État hébreu, en premier lieu les USA mais également les pays arabes ayant signé des accords de paix et a impacté de manière notable l’économie.

Une séquence dramatique

Après 12 semaines, la contestation touche désormais tous les secteurs de la société israélienne, quelle que soit l’origine, juifs ou non-juifs, laïcs ou religieux, tous les bords politiques et classes sociales. Elle mobilise jusqu’aux éléments les plus critiques du pays, l’armée (commandos d’élite, unité de guerre cybernétique, pilotes) ou les services de renseignement. Mais rien n’a convaincu jusque-là le PM d’abandonner son projet.

Conscient des fissures apparaissant dans l’appareil sécuritaire, et dont pourraient profiter les ennemis de l’État Juif (Iran, Hezbollah, Hamas, Djihad islamique Palestinien), le ministre de la Défense, Yoav Galant s’est officiellement prononcé pour un gel de la refonte judiciaire. Cette prise de position a été sanctionnée par Netanyahou qui l’a limogé sur le champ. Il n’en fallait pas plus pour jeter spontanément plus de 800 000 israéliens (pour une population de 9 millions d’habitants) dans les rues. Une grève générale a été décrétée par la plus grande centrale syndicale du pays (La Histadrout), tous les vols de l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv ont été annulés, les employés du service public (écoles, hôpitaux) et du privé, avec le soutien du patronat, ont répondu présent. Une mobilisation sans précédent qui a dû être enviée par la plupart des leaders syndicaux de par le monde, en tout premier lieu Philippe Martinez de la CGT qui n’a jamais de mots assez durs envers Israël. De son côté, la coalition n’a réussi à rassembler que quelques milliers de personnes. Malgré l’ampleur du mouvement, il n’y a eu que peu d’incidents.

Le lendemain et après de longues heures d’attente, le PM s’est finalement adressé à la nation. Prenant des accents prophétiques et citant le «Jugement de Salomon». Il a voulu se placer en rassembleur, alors qu’il porte l’entière responsabilité de la crise politique. Il s’est résigné à annoncer le gel du processus législatif jusqu’à la prochaine session parlementaire, et a appelé à des négociations avec ses adversaires. Ce qui a fait dire à l’un des leaders de l’opposition Benny Gantz, ancien chef d’État-major de Tsahal et ex-partenaire politique de Netanyahou: «Mieux vaut tard que jamais !». D’ailleurs, le monde économique ne s’y est pas trompé, avec un renforcement quasi immédiat du Shekel (la monnaie israélienne) face au Dollar et à l’Euro.

« Beaucoup de bruits pour rien ? »

Il était temps qu’une décision d’apaisement soit prise tant les tensions étaient exacerbées. Certains ont même brandi la menace de guerre civile. Le gel temporaire de la réforme juridique, répondant aux aspirations d’une large majorité de la population, va permettre d’entamer le dialogue entre les parties et de négocier un texte plus consensuel.

Le Président de l’État, Isaac Herzog, et les leaders de l’opposition souhaitent sanctuariser les Lois Fondamentales dans une constitution en bonne et due forme. Afin que plus jamais, elles ne soient menacées au gré des alternances au pouvoir. Aucun d’eux n’accorde une confiance aveugle au Premier ministre connu pour sa rouerie politique. Il faudra donc autre chose que de vaines promesses pour qu’ils lui accordent leur crédit. Il en va de même pour tous ceux qui se sont mobilisés, et le sont encore, qui menacent en cas de poursuite du processus législatif, en l’état, de durcir le mouvement jusqu’à faire tomber le gouvernement.

Cette pause ne règle pas les problèmes judiciaires de Netanyahou, loin de là. Aussi, va-t-il tenter de la mettre à profit pour colmater les brèches béantes de sa coalition qui d’après les derniers sondages n’aurait plus la majorité. Avec l’espoir de sauvegarder, au sein de la réforme, la clause qui lui permettrait d’échapper à la justice. Dans le même temps, il pourrait essayer de modifier sa coalition en y agrégeant les partis centristes au détriment des partis d’extrêmes droites incontrôlables, en mettant l’accent sur l’urgence absolue de contrer la menace nucléaire iranienne.

La résilience du peuple israélien attaché à l’État de droit

En définitive, Netanyahou ressort très affaibli de cette crise et n’a atteint aucun de ses objectifs. Il a en outre affaibli sa coalition ainsi que le pays tout entier qui paye un tribut exorbitant pour le salut d’une seule personne (la journée de paralysie générale a couté plus de 250 millions d’euro). Plus le temps passe et plus l’horloge du jugement avance.

Le contraste est saisissant avec le peuple israélien qui a fait preuve de maturité et de responsabilité. Il a démontré son attachement à l’État de droit et à la démocratie. Il n’est pas un peuple qui se laisse mener à la baguette et ne s’est pas fracturé sous les coups de boutoirs des extrémistes. Ces derniers ne représentent qu’une faible fraction de la population. Ils sont arrivés au pouvoir uniquement pour assurer la majorité à Benjamin Netanyahou ayant maille à partir avec la justice.

Cette leçon peut être méditée par tous les ennemis d’Israël qui tablaient sur l’effondrement du pays se sabordant de lui-même sans qu’ils n’interviennent, les caricatures rivalisant d’inventivité dans la presse arabe et iranienne. Aujourd’hui, la démocratie israélienne, celle de tous ses citoyens, juifs et non-juifs, ressort renforcée. La confrontation va céder le pas au débat et au besoin à l’alternance politique. C’est cela la force d’une démocratie, de la seule démocratie du Moyen-Orient. Si les dirigeants des autres États de la région ne le comprennent pas, leur population pourrait bien s’en inspirer et élargir le cercle des pays des accords d’Abraham.

[(Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée, il est vice-président du Think tank « Le Mouvement ». Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif « Tous Enfants d’Abraham ». )]

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